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Lorsque Clara Zetkin termine sa visite dans les locaux des femmes musulmanes, elles se mettent à chanter l’internationale.

C’est le chant des peuples opprimés, jailli des cendres ensanglantées de la Commune, en 1871, et souvent entonnée depuis quand la révolte gronde.

Là, c’est en 1924-25, en Union soviétique, plus précisément à Tiflis, dans la république géorgienne. Zetkin, militante féministe socialiste, y effectuait un reportage. Il sera publié en 1926 sous le titre « Dans le Caucase libéré », aux éditions Literatur und Politik, à Vienne. Un des chapitres raconte cette visite.

Les femmes musulmanes qu’elle rencontre là ont formé un club. À vrai dire, c’est le parti communiste local qui en a pris l’initiative. Mais c’est leur club, elles s’y sentent bien et elles en sont fières. Ce lieu représente un espace de liberté, hors des griffes et des bondieuseries des mollahs, de leurs maris autoritaires et machos, de toute l’étouffante atmosphère féodale qui relègue la femme au rang de sous-être. Là, elles ne sont pas « sous », elles sont sœurs de la fraternité humaine.

L’idée du club résulte d’une analyse politique. À l’époque, années vingt, la ville de Tiflis comptait beaucoup d’immigrés, des « réfugiés économiques » comme d’aucuns diraient aujourd’hui: des gens descendus des montagnes et plaines environnantes dans l’espoir de trouver dans la grande ville lointaine une vie moins dure. Ce sont des gens pauvres, par la force des choses peu instruits, écrasés par les superstitions de la religion. Ils ne vont pas trouver un travail très gratifiant, des petits boulots, mal payés, des « emplois atypiques » et « précaires » pour utiliser les mots du jour.

Pour les femmes immigrées, c’est pire. Leur fonction socioéconomique, source d’un certain respect dans le microcosme familial et villageois d’origine, a été balayée. En ville, elles ne servent à rien ou presque. Ce ne sont ni les mollahs ni leur mari clochardisé qui vont leur tendre une main. Elles vont devoir s’émanciper par leurs propres forces. Clara Zetkin raconte cela mille fois mieux.

L’histoire ne manque pas d’être instructive encore aujourd’hui. En toile de fond, ce qui est mis en discussion ici, c’est l’accueil des réfugiés, ce sont les politiques d’immigration. Aujourd’hui comme hier, à Tiflis, les « arrivants » traînent dans leurs maigres bagages un lourd héritage mental fait de coutumes et de croyances d’un autre temps. Comment « gérer » cela?

Dans l’ancienne Union soviétique, le chemin à suivre s’imposait telle une évidence. L’objectif était de poser les fondations de « l’homme nouveau », de la « femme nouvelle », émancipés, maîtres de leur destin, égaux parmi les égaux, donc socialistes. C’est un long et patient travail comportant de nombreux jalons. Le club des femmes musulmanes à Tiflis était une petite pierre apportée à cet édifice.

Voilà qui interroge les pratiques mises en œuvres aujourd’hui sous nos cieux. Mais Clara Zetkin raconte cela mille fois mieux. 64 pages, 10€, éditions LitPol, novembre 2017: Zetkin