Il se trouve que dans les jours précédents cette initiative, le syndicat « Solidaires » de cette fac a tenu à faire parler de lui en tentant d’abord de faire interdire administrativement cette soirée (cf document ci dessous), avant d’appeler à une manifestation devant la salle, manif dont l’objectif n’était je crois pas très clair (protester ? perturber ? empêcher ?)

 

Le degré de bêtise déployé à cette occasion par Solidaires laisse pantois.


Il n’y a rien dans la présentation de l’initiative de l’université qui pouvait laisser penser à la moindre offensive islamophobe de leur part, sauf à penser que toute critique de la notion d’ « islamophobie » et de l’utilisation politique qui en est faite est intrinsèquement et profondément raciste. La seule chose que je perçois de l’affiche, c’est que les organisateurs ont de l’humour, parce que le dessin est bien marrant.

Quant aux croisés de Solidaires, eux, ils savaient par contre que tout cela est en fait partie prenante d’une offensive raciste qui se cache derrière la lecture du texte ;  car, voyez-vous, ils sont extra-lucides, chez Solidaires. Dans toute leur prose, jamais on ne comprends où est le racisme là dedans, parce qu’à part déblatérer dans le vide, ils ne pointent absolument rien de précis. Au final, ce qu’ils ont fait, c’est du pur procès d’intention, en version conspirationniste.
Le coup de « Dans le contexte actuel la critique de la critique de l’islamophobie est forcément raciste », ça me rappelle un peu le très stalinien « Dans le contexte actuel, la critique de l’URSS est forcément impérialiste et anticommuniste »

Bref, si le but de tout ça avait été de donner une illustration de la pertinence du titre du texte de Charb, ils ne s’y seraient pas pris autrement.

Je voudrais simplement publier à ce sujet le témoignage d’un ami qui est prof dans cette fac, et que tout cela a bien énervé, à juste titre. On  perçoit dans sa description la profondeur de la « fracture culturelle » qui existe désormais  dans l’extrême gauche sur ce sujet, qui s’est me semble-t-il encore bien accrue depuis l’époque des premiers débats autour du voile islamique. Et on voit aussi être confirmée l’analyse selon laquelle les délires gauchistes plus ou moins racialistes  du type « Indigène de la République », ça ne mobilise pas grand monde dans les quartiers populaires à forte population immigrée et/ou musulmane, et que tout cela ne concerne  au final que quelque chose de l’ordre de 2 profs de socio et  3 de leurs étudiant-e-s.

YK

  • Retour d’un œil curieux (et quelque peu indigné) venu scruter l’entrée de la représentation-débat de la pièce de Charb prévue tout à l’heure à Paris-Diderot, et dont le syndicat Solidaires-étudiants avait promis d’empêcher la tenue.

17h25. Nul antiracisme politique à l’horizon. Tout cela n’aurait-il été qu’un emballement d’électrons ? Devant l’entrée des lieux, quelques membres de la sécurité de la fac. Une camionnette de flics a fait le voyage ; elle stationne tout près, et a craché deux ou trois pandores en armure. Sur le trottoir, une poignée de cinquantenaires. J’avise un visage familier : une vieille connaissance de feue la LCR, du temps où la fac était encore à Jussieu. Je l’aborde sans savoir pour quel camp il est là. Ses premières paroles me rassurent ; sa boussole indique toujours le nord. Il voulait assister au spectacle, est déçu d’apprendre qu’il fallait réserver. Il a quitté le NPA, disant ne plus y supporter l’influence du PIR et autres courants de la même eau croupie. Un autre se joint à la conversation : un militant du POID, qui sera rejoint par un de ses camarades quelques minutes plus tard.

17h30. L’heure du spectacle. L’université va-t-elle pouvoir commettre son crime raciste en toute quiétude ? Un petit groupe – environ deux douzaines – arrive enfin, dans le calme. Tous sont très jeunes, hormis deux ou trois à la vingtaine bien entamée. Je reconnais l’animateur de Solidaires, que j’apostrophe mais qui choisit de m’ignorer ; une thésarde de socio qui pendant les petites AG de la loi-travail, défendait les autonomes et leurs violences ; une autre étudiante de la même discipline, venue me solliciter la semaine passée pour les sans papiers, et qui n’a pas donné suite ; un jeune anarchoide qui anime chaque semaine une cantine végane sur le parvis – il avait décliné il y a quelques mois la participation à une manifestation : selon lui, tandis que nous gérions l’accessoire en arpentant les rues, lui et sa gamelle fumante faisaient le vrai travail de fond.

Des cartons sortent, où sont inscrits des slogans : « Islamophobie, ça suffit ». « Les facs ouvertes aux migrants, pas au bla-bla » (du bla-bla ? Moi qui croyait l’affaire motivée par de la propagande raciste, j’en serais presque déçu). Ce petit monde se met sagement sur le côté, sans nulle intention d’affronter qui que ce soit. En fait d’action censée empêcher l’évenement, il s’agit donc d’une représentation théâtrale outdoor ; un festival off, en quelque sorte, Charb assurant le in – à titre posthume, hélas.

Un petit caillou grippe le happening : parmi les quelques quinquagénaires présents depuis le début, et qui se sont tous révélés être peu sensibles à la dialectique de l’antiracisme politique, l’un semble plus remonté que les autres. Chaque fois que quelques étudiants tentent de se prendre en photo afin d’immortaliser l’événement, l’importun se glisse dans le cadre, brandissant la couverture du livre de Charb devant les petits cartons. Coïncidence troublante ou complot ourdi par le camp racisto-islamophobe, l’empêcheur de censurer en rond a le mauvais goût d’être manifestement maghrébin – peut-être le seul de l’assemblée. Il en faudrait bien davantage (nul ne sait quoi, au juste) pour ébranler les certitudes de nos antiracistes politiques. Le ton monte (un peu). Quelques slogans partent. D’un côté : « Islamistes, fascistes, racistes, barrez-vous » (ma mémoire garantit l’énumération, pas l’injonction finale). De l’autre : « Islamophobie ? Y en a marre. » Quelques autres trucs que j’ai oubliés : « Y en a marre. » On se lâche un peu : « Laïcité ? Y en a marre ! ». Ha. Suis-je abusé par mon indéfectible espérance en la nature humaine ? Je crois déceler un moment de flottement.

Un des cinquantenaires présents tient une caméra. Il se présente : Antonio Fischetti, chercheur et journaliste rescapé de Charlie. Il tente de saisir quelques images du petit groupe. Le sang du jeune anarchoide ne fait qu’un tour. Il se plante face à l’importun, visage presque contre visage – comme plusieurs de ses compagnons, il a entre-temps recouvert le sien d’un foulard. Diantre, le théâtre, même amateur, exige un minimum d’accessoires. Je m’invite dans le jeu de chiens de faïence, usant sans vergogne de mes vingt centimètres et mes trente kilos supplémentaires. Je lui demande à quoi il joue. Lui : « Il veut nous filmer, on sait pourquoi ! ». Moi : « Ah oui ? Et pourquoi à ton avis ? Il est de Charlie Hebdo. Et puis, quand on ne veut pas être filmé, on ne manifeste pas. » Lui : « Hin hin hin » (sic). L’idée que l’abus de haricots verts, s’il est excellent pour l’antiracisme politique, puisse nuire au sens de la répartie, me traverse fugitivement l’esprit. Le responsable de Solidaires, lui, ne se départit pas de son calme ; il doit se voir comme un Churchill promettant à ses troupes de la boue, du sang et des larmes, mais dont la victoire finale lui vaudra d’être auréolé par l’Histoire. Je me dis qu’il y a quarante ans, ce libertaire aurait sans doute fait un bon maoïste.

L’heure tourne, je dois partir. Les 30 000 autres étudiants de la fac, ou presque, n’étaient pas au courant du petit drame qui se jouait ce soir, pas plus que les milliers de salariés du site. La nuit tombe, il pleut. Pas trop, mais un peu quand même. C’est vraiment un hiver pourri. Heureusement, demain il y a manif.

 

– Christophe Darmangeat  –