On les empêche de boire en été. On leur refuse un hébergement d’urgence en hiver. On détruit systématiquement leurs abris précaires. On les oblige à prendre des risques insensés pour franchir une frontière, comme s’ils n’avaient pas suffisamment frôlé la mort et souffert dans leur chair. On entrave leurs maigres possibilités de demander officiellement l’asile. Et on criminalise celles et ceux qui oseraient leur venir en aide. Ce « on » n’est pas l’Amérique de Trump, qui construit son mur anti-latino à la frontière mexicaine. Ce « on » n’est pas non plus le gouvernement polonais qui refuse l’asile au moindre réfugié, ni son homologue hongrois qui recrute des « chasseurs de migrants » [1]. Ce « on » est le gouvernement français, son affable président Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Celui-ci planche sur une circulaire qui remettrait en cause l’hébergement d’urgence inconditionnel pour tout être humain, quel que soit son statut [2].

Les mesures anti-régulations et anti-égalitaristes ont d’abord déferlé contre le droit du travail et une fiscalité qui ne redistribuera plus les richesses. Certains ont pu trouver une maigre consolation en s’imaginant qu’avec le projet néolibéral du « président des riches », l’aspect « libéral » laisserait un peu l’Autre, le migrant, en paix. De Calais aux vallées des Hautes-Alpes, en passant par le quartier de La Chapelle à Paris, cette illusion s’est vite estompée. Aucune place pour les migrants dans la « start-up nation ». A moins de jouer à la mortifère loterie de la sélection « naturelle », de survivre à la Libye puis à la Méditerranée et enfin au passage des cols alpins (à écouter, ce reportage de France Culture), d’accepter une multitude d’humiliations une fois arrivé en France, de tenir trois mois enfermé dans un centre de rétention, comme le prévoit la loi sur l’immigration en préparation, et d’échapper à l’expulsion. Avec l’espoir de pouvoir un jour, peut-être, nettoyer les bureaux design, ramasser les poubelles cool ou livrer les repas disruptifs de la start-up nation. Enjoy !

Pour ces migrants, leurs enfants et leurs petits-enfants devenus Français, les barrières grillagées ne se sont point affaissées pour autant. Accéder à un logement, trouver un emploi ou obtenir un crédit sera plus compliqué que si l’on est blanc, circuler dans l’espace public sans se faire contrôler constituera une gageure, comme le montre inlassablement les enquêtes successives sur l’état des discriminations en France, des discriminations qui continuent de frapper ceux qui les ont précédés en d’autres temps. Et s’ils – et surtout elles – osent exprimer une critique, un point de vue différent, ou se rendre trop visible, c’est la sanction, que leur histoire familiale soit empreinte ou non d’une migration. Même dans les hautes sphères de la société.

On se souvient de la violence des insultes racistes proférées à l’encontre de l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira, notamment lors de la « Manif pour tous ». On observe une campagne de dénigrement qui vise depuis l’automne la députée insoumise Danièle Obono pour ne pas s’être scandalisée face à des réunions organisés spécifiquement pour et par des « racisés », cibles de discriminations. Et c’est toujours la « start-up nation » qui exclut de son Conseil national du numérique, la militante antiraciste Rokhaya Diallo à cause de ses prises de position. « La France doit, une bonne fois, conjurer ses démons, sinon elle risque le pire »écritl’historien et sociologue Jean Baubérot dans Mediapart. Un demi-siècle après les dernières décolonisations, cela commence à faire long.

https://www.bastamag.net/Mais-ou-donc-voyez-vous-un-racisme-d-Etat