Un projet de nouveau stade de foot surgit et enfle à Nantes. Le promoteur immobilier, la maire et l’homme d’affaires (domicilié dans « le paradis des riches français », la Belgique), discutaient dans l’ombre depuis des mois. Le deuxième cercle des élus municipaux ignorait l’affaire. Mais la décision est prise : un nouveau stade sera construit. Ce sera à quelques mètres du premier. La métropole leur vendra le stade actuel et les terrains autour. Le symbole est gros. L’hyper-modernité, l’absurdité frappent ! On veut détruire un stade fonctionnel : vanté il y a encore seulement quelques mois pour ses qualités (avant le retournement de veste des édiles), déjà sur la liste pour des matchs de la coupe du monde de rugby 2023 et des JO de 2024. On veut concasser des tonnes de béton, tordre de la ferraille. On veut consommer du sable, mettre des camions sur le bitume. Mais certainement que le chantier et le projet dans son ensemble seront greenwashés. En fait, ils le sont déjà.

Avec le stade c’est une vingtaine d’hectares que veulent aménager le promoteur et l’homme d’affaires (cité dans les Panama Papers). Un vrai morceau de ville. Les deux s’associent pour l’occasion dans une nouvelle société : YelloPark, déjà rebaptisée YellOpaque. Ça ne coûtera rien à la collectivité, c’est gagnant-gagnant, disent-ils. Des milliers de mètres carrés de logements, bureaux, commerces, parking, hôtel, clinique du sport… L’opération est 100 % privée (c’est sans compter « les équipements collatéraux » à la charge de la collectivité, le chiffre de 18 millions d’euros circule : voiries, passerelle, etc.). La culbute est assurée. Elle est prometteuse. L’emplacement est béton, très bon même : accessible par le périphérique, desservi par le tramway, dans un quartier en pleine mutation-expansion-valorisation (aujourd’hui, disons, 2 500 €/m2 pour un appartement neuf), dans une métropole dynamique et attractive, à deux pas du parc de la Roseraie et de l’Erdre. Le promoteur et l’homme d’affaires (s’affairant dans les produits pour la « médecine esthétique ») ont planté leurs griffes et ne voudront pas lâcher un fruit si juteux.

Le promoteur a la concertation dans les mains. Grand saigneur, il donne quelques exemples de questions sur le site web de la dite concertation : « Doit-on envisager d’agrandir le projet de maison de quartier ? Quel serait l’emplacement idéal du nouveau stade ? Doit-on intégrer dans la programmation une halle gourmande/marché ou bien un nouvel équipement ? Doit-on végétaliser au maximum les façades des bâtiments ? L’agriculture urbaine doit-elle être envisagée dans ce nouveau quartier ? Quel lien avec l’Erdre et les quartiers avoisinants ? Le stationnement doit-il être en surface et/ou en sous-sol ? Comment gérer au mieux les flux avec le Parc des Expositions ? Peut-on prévoir des vespasiennes publiques pour éviter certaines nuisances ? Doit-on avoir une stratégie handicap dans le projet YP ? »

Cette concertation est une énième mascarade. Les manœuvres en sous-main se devinent dans la presse. Tout dit clairement que la co-construction, le dialogue citoyen à la nantaise, Nantes capitale verte, sont pure hypocrisie, des leurres, des pipeaux dans lesquels on souffle pour capter l’attention. Ils n’existent que pour faire oublier le bulldozer qui s’agite, détruit déjà ici, s’avance pour détruire là-bas demain : dans les landes, les anciennes carrières, les tenues maraîchères, dans les parcs ouverts. La métropolisation, autrement dit la ville capitaliste, la ville néo-libérale, a horreur du vide, des terrains vagues – c’est étranges étrangetés, vanitas de nos précaires conditions –, des lieux autogérés, de tout ce qui échappe à son contrôle. Il faut quadriller, mettre en concurrence les personnes et les territoires, exploiter. Le néo-libéralisme capte et broie des quartiers entiers, populations comprises. Le stade vendu, détruit, reconstruit, privatisé, raconte ça, sur un mode superlatif. Les auteurs de ces manœuvres le disent haut et clair, sûrs de leur puissance, impunité. Ils croient appâter avec la promesse du plus beau stade de France, en agitant la marionnette clinquante d’un starchitecte. Ils croient stupéfier par la rapidité, la sournoiserie de leur jeu, sidérer par le décor, le spectacle d’un futur… Ce futur est déjà ce qu’ils imposent chaque jour, mais en plus gras, dégoulinant. Ils promettent un stade connecté, pour commander un maillot ou un soda sans bouger de sa place (et engranger du data au passage), et jettent à la poubelle l’ancien comme un « vieux » smartphone ! Ils n’ont de considération que pour ce qui est périssable, pour la marchandise disparaissant aussitôt dans sa consommation.

Avec ce projet de stade, la ville passe dans une autre division, celle des bulles spéculatives et délirantes de la planète foot. Interviewé par la presse, l’homme d’affaires (surnommé Kita Jong-Un par quelques supporters, puisque pratiquant apparemment « répression, interdiction, intimidation et sanction ») parle beaucoup des sponsors, des entreprises abonnées, des « populations VIP », du doublement des loges et des salons, des services qu’attendent ceux « prêts à se les offrir »… C’est le stade Classe affaires. Avec ce projet, la ville entre sur coup de pied arrêté dans les filets du stade capital. Ce projet est un concentré de la métropolisation, du néo-libéralisme le plus brutal, peut-être parce que le plus policé, le plus masqué derrière les sourires avenants, la passion du sport. Le néo-libéralisme s’exhibe là, sans vergogne. Il affiche la misère, la grande vacuité de sa langue, la superficialité sans fond de ses motivations. Lui qui se répand partout à l’échelle du monde, il n’en perçoit que ce que ses appétits sans limite y projettent : business plan, relations intéressées, chiffres, évaluations, taux de rentabilité, dividendes… Sa réalité est celle-ci, totalement. Il rabat la pluridimensionnalité du monde sur un axe unique. Le rentable est sa seule fin ; la précarisation, la destruction, l’obsolescence, ses moyens. Il saccage. Il pollue. Il détruit. À chaque instant, ses défis, ses challenges, son attractivité, sa compétitivité, font vivre l’enfer sur terre. Tous les jours, il prouve que, hors des logiques de l’argent, rien n’a de valeur à ses yeux, que rien n’a de qualité, de saveur, de profondeur. Lui et ses valets veulent tout sacrifier sur l’autel du lucratif. C’est son ADN et il n’aura de cesse que d’avoir, dans le bûcher de ses appétits, de sa faim, consumer le monde entier. Avec ce projet, hautement symbolique, c’est une nouvelle fois ce message qu’ils envoient : tout est consommable à volonté, destructible à loisir.

Face à ce message, cette morgue et ce mépris, comment ne pas se dire encore une fois que cette avidité, dopée à l’hyper-consommation du temps et de l’espace, des hommes et des lieux, de toute chose, appelle en retour la résistance ? Comment ne pas se dire que le sabotage d’un tel dessein sera toujours le juste retour des choses ? Comment ne pas se dire qu’ils l’ont bien cherché ?