La gauche révolutionnaire désigne l’ensemble des formations politiques qui sont en principe favorables à une révolution pour mettre fin au capitalisme, en s’appuyant sur des précédents historiques comme la Commune de Paris ou la Guerre d’Espagne ; en France, ces groupes se nomment NPA, Alternative Libertaire, CNT, Fédération Anarchiste… Leurs militants ne sont pas très nombreux, mais ils bénéficient d’une bonne image chez toute une population sensible aux idées libertaires, trotskistes, antifascistes, révolutionnaires. Nous allons voir comment ces groupes ont été manipulés, épurés, restructurés pour servir des objectifs de guerre, de la simple propagande jusqu’au recrutement de combattants.
La guerre en question, c’est avant tout celle de Syrie, qui a commencé par ce qu’on n’ose plus appeler « Printemps Arabe », tant ces événements furent une catastrophe pour le monde Arabo-musulman, avec l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans en Tunisie et en Égypte et la destruction de la Libye et du Yémen. Au début des années 2000, la gauche révolutionnaire était encore fidèle à ses positions traditionnelles : anti-capitalisme, anti-impérialisme, anti-sionisme. La guerre d’Iraq en 2003 avait été l’occasion de manifestations qui la dénonçaient pour ce qu’elle était : une guerre d’agression, sous des prétextes mensongers. Et les manifestants ne se faisaient traiter d’« Husseinistes », d’admirateurs de Saddam, que par les néoconservateurs habituels. En 2004, le journal d’Alternative Libertaire dénonçait les projets étasuniens pour le « Grand Moyen-Orient », c’est-à-dire « la déstabilisation, la chute des régimes locaux, et un « remodelage » des territoires. » Citation : « Bush a précisé la portée de la guerre qui se préparait : « Un Irak libéré pourra montrer comment la liberté peut transformer cette région qui revêt une importance extrême, en apportant espoir et progrès à des millions de personnes (…) Pour d’autres nations de la région, un nouveau régime en Irak servirait d’exemple spectaculaire et impressionnant de la liberté. » En ce qui concerne les pouvoirs en place, l’avertissement est clair. […] La question qui se pose maintenant est « qui sera le suivant ? » L’extrême droite chrétienne milite pour un règlement définitif de la question palestinienne qui passe par l’installation de régimes à la botte des USA en Syrie et au Liban, et qui donne carte blanche à la droite israélienne pour organiser la purification ethnique des territoires occupés.»
Un tel article serait aujourd’hui inimaginable dans ce journal, son auteur serait traité de conspirationniste, d’ami des dictateurs, de « rouge-brun » ou carrément de fasciste. En 2004 toujours, le même journal dénonçait un début de collusion entre extrème-gauche et « islamisme », sans vraiment comprendre toutefois ce que signifiait cet « islamisme ». Ce mot est utilisé par ceux qui ne comprennent pas la nature du phénomène, comme par ceux qui veulent semer la confusion entre l’islam et la secte wahhabite. Le wahhabisme a été rendu tout-puissant au cours du XXème siècle par les États-Unis, qui ont fait de la famille Saoud leur principal allié arabe au Moyen-Orient. Dans le silence général en Occident, les Saoud ont cherché à se poser en leader du monde Arabo-musulman ; ils ont construit des mosquées dans le monde entier où est enseignée leur doctrine obscurantiste et dévoyée, leur logique sectaire. Depuis des décennies, ils modifient les consciences, détruisent les cultures. Cela n’a rien à voir avec la religion : il s’agit d’impérialisme culturel et de fascisme.
Les Occidentaux se sont alliés aux Saoud car ils étaient les plus anti-communistes, les plus fanatiques, les plus à même de mettre les musulmans au pas, et les plus serviles. Parallèlement, les Frères Musulmans et Al Qaïda, tous deux liés à la CIA, ont tissé un réseau international, politique pour le premier et militaire pour le second. Les Frères Musulmans sont une sorte de franc-maçonnerie musulmane, ils ont été abondamment financés par le Qatar et la Turquie (Erdogan lui-même en est membre).
On peut se gratter la tête et traiter de fou celui qui dénonce la collusion entre les groupes terroristes pseudo-islamistes et le Pentagone, tant les media dominants font tout pour nous empêcher de comprendre, mais au bout d’un moment les faits et les preuves s’accumulent, et la plus évidente est la complicité et l’alliance totale entre l’OTAN, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et Israël (les Saoud et Israël ne font même plus semblant de ne pas s’entendre), sous le commandement des États-Unis. Les militants dévoyés de la pseudo-gauche ont adopté le réflexe de protéger les États-Unis en disant que la Russie ou la Chine sont, eux aussi, des pays impérialistes, et qu’ils ne sont pas moins dangereux. C’est tout simplement faux. Le budget militaire des États-Unis est égal à la somme de tous les budgets militaires de tous les autres pays du monde. Ils possèdent des bases partout (environ 800 hors de leur territoire), et il serait bon de prendre conscience qu’ils mettent le monde à feu et à sang, qu’ils sont les seuls à avoir utilisé l’arme atomique, qu’ils n’hésitent pas à utiliser des armes chimiques ou radioactives, et que rien que depuis le début des années 2000 ils ont détruit des pays, massacré des millions de personne, pour le seul profit de l’oligarchie qui contrôle l’armée impériale qu’est l’OTAN. Ils ont clairement la prétention de dominer le monde et ils ont clairement choisi la guerre comme moyen d’y parvenir. Et pourtant en France les gens ne tremblent pas d’effroi à la simple évocation de la CIA. Le mot « CIA » évoque le mystère, le cinéma, le complot et immédiatement l’autocensure vient : il ne faut pas croire aux théories du complot. Il s’agit de conditionnement et de contrôle de la pensée. Personne ne veut s’avouer manipulé, même si tout le monde peut comprendre l’intérêt du « neuromarketing » par exemple, et assister à sa mise en œuvre.
Il va de soi que les gens qui nous gouvernent et les chefs militaires s’intéressent de près à la manipulation des consciences et des opinions, et qu’ils financent la recherche scientifique allant dans ce sens. La guerre mondiale en cours au Moyen-Orient est l’occasion pour eux de faire des essais grandeur nature. Certaines choses ont marché, en particulier l’autocensure qu’ils ont réussi à installer au sein de la gauche révolutionnaire.
PHASE I : L’ÉPURATION
5 ans après les articles précités, en 2009, Alternative Libertaire avait adopté une nouvelle ligne : la tendance était à la chasse aux « conspis ». Le journal publie donc une série d’articles désolants de mauvaise foi, dans lesquels sont amalgamés les gens qui remettent en cause la version officielle du 11 septembre et ceux qui croient aux illuminatis ou aux extra-terrestres : tous des imbéciles qui dérivent vers l’extrême-droite.
A cette époque, de nombreux sites apparaissent, des sites étranges qui dressent des listes. Le mouvement « antifa », bizarrement, ne s’intéresse plus vraiment au FN ou aux néo-nazis, mais décide d’opérer un tri au sein de la gauche ; des gens comme Etienne Chouard, Michel Collon, Annie Lacroix-Riz ou Jean Bricmont sont soudainement considérés comme des fascistes, les « antifas » viennent faire le coup de poing lors de leurs apparitions publiques, ils sont calomniés, leurs auditeurs insultés et ridiculisés, traités de « conspirationnistes », « confusionnistes », « campistes », « rouge-bruns », « amis des dictateurs »… Le point commun entre toutes les personnalités incriminées, c’est bien sûr leur anti-impérialisme et leur critique des media dominants. Dans une logique pour le coup véritablement confusionniste, les faux « antifas » vont répandre l’idée que si vous vous opposez à la guerre en Libye, c’est que vous êtes un admirateur de Qadhafi. Si vous n’êtes pas avec les « rebelles syriens », c’est que vous adorez Assad. Si vous critiquez les États-Unis, vous êtes un idolâtre de Poutine. Dans tous les cas vous êtes assimilé au fascisme. Le site « confusionnisme.info » va exceller dans ce registre, jusqu’à ce que l’UPR, cible de leurs calomnies, révèle le vrai visage de l’animatrice de ce site, et sa proximité avec les néoconservateurs étasuniens.
Il a suffi aux manipulateurs d’aller dans le sens d’un sectarisme déjà présent dans ces milieux : « pas de dialogue avec l’extrême-droite ». C’est un véritable terrorisme intellectuel qui fut instauré, et internet a été très utilisé dans ce but ; il est certainement moins cher et plus simple de troller des forums que d’infiltrer des agents. Résultat : toute parole dissidente fut assimilée à l’extrême-droite. C’est une stratégie de la boule puante. Le dialogue devint impossible, et de nombreux militants furent mis de côté, tandis que les autres surveillaient leur langage. Sur les forums internet affiliés à la gauche révolutionnaire, comme le forum anarchiste, le forum anarchiste révolutionnaire, le forum libertaire, la chasse était ouverte. Bientôt le simple fait d’évoquer la CIA devint impossible ; ça tombait bien : la guerre allait commencer.
On pourra objecter que c’est une vision complètement farfelue et paranoïaque d’imaginer que la CIA ou d’autres puissent s’intéresser aux groupuscules libertaires français, qui ne représentent que quelques centaines de militants. Mais si on considère le projet global, qui est de faire passer des guerres d’agression impérialistes pour des révolutions, on comprend mieux l’intérêt : il s’agit de prendre le contrôle de tous les groupes de gauche révolutionnaire, dans tous les pays occidentaux, pour y rendre inaudible l’anti-impérialisme et, par solidarité révolutionnaire, leur faire applaudir la guerre. Car le mouvement révolutionnaire brise un tabou intéressant : il rend acceptable le fait que dans un pays, une minorité prenne le pouvoir par la violence. La violence et la destruction y sont considérés comme un mal nécessaire pour passer à une société censée être plus juste. Quant à savoir si les responsables de cette manipulation sont la CIA, le Mossad, le MI6 ou tout simplement les Opérations Psychologiques de l’armée étasunienne (qui ne cachent pas du tout leurs buts et leurs moyens), impossible de le savoir, mais c’était dans l’intérêt de l’alliance OTAN/Saoud/Israël qui a provoqué cette guerre.
Au sujet du 11 septembre, est-il vraiment si farfelu de se demander pourquoi les États-Unis maintiennent avec l’Arabie Saoudite des liens aussi étroits, alors que toute l’enquête incrimine ce pays ? Et pourquoi l’ensemble des pays occidentaux qui se prétendent en « guerre contre le terrorisme » ne cessent d’étaler leur amitié et de vendre des armes au principal pourvoyeur idéologique et financier du terrorisme pseudo-islamiste ?
PHASE II : LA RÉVOLUTION DES FRÈRES MUSULMANS
L’immolation par le feu d’un commerçant tunisien en décembre 2010 est-elle le fruit d’un complot ? Sans doute pas, mais ce qui est sûr et certain, c’est que ce fut le prétexte au lancement d’une opération préparée de longue date (le remodelage du Grand Moyen-Orient, comme le dénonçait Alternative Libertaire en 2004). Toute la pseudo-gauche, du PS à la Fédération Anarchiste, va s’enthousiasmer pour le « Printemps Arabe ». Seuls quelques grincheux déjà mis au ban de la gauche, ostracisés, ridiculisés, vont être sceptiques, se demander si les États-Unis ne seraient pas encore en train de rejouer l’air des Révolutions de Couleur (Ukraine, Géorgie, Kirghizistan…). Et ceux, très rares, qui comprenaient un peu ce que signifiait l’« islamisme », ne pouvaient que craindre l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans ou d’autres forces alliées au fascisme wahhabite.
Les groupes de gauche révolutionnaire, NPA et Alternative Libertaire en tête, ne vont pas se contenter d’applaudir les révolutions, ils vont réclamer une solidarité internationale et distiller une propagande insidieuse. Comme pour Milosevic, Hussein, Qadhafi il s’agit d’abord de faire passer Bachar al Assad, l’ophtalmologue, pour le nouvel Hitler, un sadique prenant plaisir à mutiler des enfants. Il suffira pour cela d’emboîter le pas à la gigantesque machine de propagande destinée au grand public, à partir d’attentats sous faux drapeau, d’images fabriquées… Ce n’est pas l’objet de cet article de décortiquer la fabrication du récit officiel de la guerre syrienne, cet article-là s’y intéresse plus en profondeur.
Dans les media de la gauche révolutionnaire, la propagande va s’articuler autour de plusieurs idées-force :
1) La banalisation des Frères Musulmans et la relativisation de la menace sectaire.
Pour les besoins de la propagande, il va falloir dire que les Frères Musulmans ne sont pas si dangereux, qu’ils peuvent même être des alliés. En mars 2011, dans un article hallucinant avec le recul historique, Alternative Libertaire nous apprend qu’ils « semblent aujourd’hui sur la voie sinon d’une sécularisation, du moins d’une scission très nette entre démocrates et partisans d’un mouvement islamiste plus strict ». En Égypte et en Tunisie, les Frères sont présentés comme composante indispensable de la révolution, tiraillés entre conservatisme et démocratie. Alternative Libertaire accepte et fait accepter l’idée que les Frères peuvent faire partie d’un révolution démocratique, sociale et libertaire.
Il est bon de rappeler que dans les années 70, ils ont mené une vaste campagne de terrorisme en Syrie, faisant des centaines de morts. C’était déjà l’expression de l’impérialisme des États-Unis et des Saoud. La réponse du pouvoir au début des années 80 syrien fut brutale : c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le massacre de Hama. Une note de la DIA évoque 2000 victimes dans les rangs des Frères Musulmans, mais les chiffres vont être gonflés pour les besoins de la propagande de guerre. Les propagandistes vont donc régulièrement parler du massacre de Hama comme du massacre de 40000 civils, par sadisme de la part du pouvoir syrien, sans jamais évoquer les crimes des Frères Musulmans qui en sont la cause : « Hama, ville syrienne, théâtre en 1982 d’un massacre de sa population perpétré par Hafedh El Assad », « Le régime de Bachir al Assad utilise tous les moyens, militaires et policiers, pour liquider les opposants, comme à Hama en 1982 », etc, etc… Comment dire que les Frères étaient « individuellement présents » mais « discrets » au début des événements alors qu’il s’agissait de la principale force d’opposition dans le pays, une force internationale, armée, avec des financements internationaux ? Fin 2012, alors que les djihadistes ont depuis longtemps fait leur apparition en Syrie, le NPA dira encore que « les islamistes ou frères musulmans » n’ont que « peu d’écho et de présence militante sur le terrain. »
Certains auteurs n’hésiteront pas à qualifier d’« islamophobes » ceux qui pointent du doigt le danger pseudo-islamiste, et Gillbert Achcar, en 2013, ira jusqu’à dire que « même si le soulèvement était guidé par des forces islamiques, cela ne devrait pas changer notre position. » Voilà le NPA prêt à soutenir la victoire des barbus.
Rappelons-nous que la Syrie n’est pas peuplée uniquement de sunnites, mais que sa population est une mosaïque de peuples et de croyances diverses, Chiites, Druzes, Chrétiens… Par conséquent l’arrivée d’un pouvoir religieux et sectaire serait une catastrophe pour les Syriens. Dès 2012, à Alep, les « insurgés » ont mis en place des tribunaux islamiques. Quel peut-être le sort d’un chrétien devant un tribunal d’inspiration wahhabite ? Combien de Chiites, d’Alaouites, de Chrétiens ont été massacrés par les « rebelles » ?
Dans une stratégie de renversement de situation qui est une constante pour les propagandistes, ils ont également cherché à dire que le sectarisme était du côté du pouvoir baathiste, et ils ont même martelé qu’Assad était allié à Daech pour écraser la révolution. La libération de prisonniers politiques issus des Frères par Assad, à des fins de négociation, a été l’occasion pour eux de dire qu’Assad avait créé de toutes pièces le djihadisme. Sur le site Juralib, un article totalement halluciné présentera Daech comme une création d’Assad et de Poutine, tout en regrettant que la France n’ait pas participé à la Guerre d’Iraq. Rappelons que Daech a commencé a perdre du terrain seulement au moment ou l’armée russe est venue en aide à la Syrie, en septembre 2015. Jusque là, la Coalition menée par les États-Unis n’a rien fait contre eux, ils ont été soignés par Israël, soutenus quasi-ouvertement par la Turquie elle même membre de l’OTAN, et il y a de plus en plus de preuves de la complicité entre les forces spéciales américaines et Daech.
Cette stratégie d’inversion des faits a atteint son paroxysme dans une interview de Robin Yassin Kattab où celui-ci dit en substance : géopolitique = conspirationnisme. Impérialisme = Russie et Iran. Dire que la rébellion syrienne c’est Al Qaida = islamophobie. Lutter contre le terrorisme = être de droite. Anti-impérialisme = soutien aux dictatures. Révolution syrienne = guerre d’Espagne. Assad = djihadisme = fascisme. Dans la même publication, le site Lundi Matin, on pourra lire également qu’Assad est pire que Daech. Il faudra le demander aux Syriens confrontés aux attentats aveugles qui ensanglantent tous les jours leur pays.
2) L’appel à la violence, le refus du dialogue
Dès le mois d’avril 2011, sur le site du NPA, on pourra lire que « certains opposants et observateurs estiment qu’il est trop tard pour ces tentatives [de dialogue].» « La population ne se laissera plus amadouer par la dictature en place, alors même qu’une partie du peuple syrien se méfiait jusqu’ici de la perspective d’une révolution violente. » Pas de place pour le dialogue donc, la gauche révolutionnaire veut que le sang coule en Syrie. Les éditorialistes ne vont cesser de nous dire ce que veut le peuple syrien : la chute du régime. Le peuple n’a plus peur, il accepte de verser son sang. « Ceux qui sont aujourd’hui dans la rue ne reviendront jamais en arrière et ne veulent rien négocier. Pour eux, le seul mot d’ordre reste « le peuple veut la fin du régime » ». A partir de là, les propagandistes vont demander des armes pour les « rebelles » : « nous avons besoin d’armes, d’entraînement aussi », mais il faudra éviter de dire d’où viennent ces armes et à qui exactement elles vont être distribuées. Fin 2012, alors que des dizaines de milliers de djihadistes du monde entier affluent vers la Syrie, qu’ils sont entraînés aux frontières turques et jordaniennes, le NPA dira que « Les prétendues aides militaires ne proviennent que du Qatar, d’Arabie saoudite et de la Libye. Elles sont infimes et destinées aux petits groupes « islamistes » marginalisés ». La CIA vient tout juste d’arrêter son programme d’aide aux « rebelles », et quand bien même évoquer ce programme était impossible à cette époque sans être taxé de conspirationnisme, c’est à présent tout à fait officiel. Mais nous sommes en 2012 et le NPA veut des armes pour les « rebelles » : «On ne saurait pas être contre, à condition toutefois de préciser certaines conditions. […] Des systèmes d’armement sophistiqués exigent parfois un personnel hyperspécialisé et créent donc une forme de dépendance extérieure. Ce n’est pas ce que demandent les rebelles syriens, qui ont avant tout besoin d’armes antichar et de missiles antiavions pour se protéger des assauts meurtriers de l’artillerie et des avions de chasse du régime. Ces conditions étant précisées, on pourra dire : chiche !»
Chiche. Les armes ont été livrées, les « rebelles » entraînés, la guerre de Syrie atteint les 500000 morts. Le NPA est-il satisfait ? En 2014, Gilbert Achcar, celui qui sait mieux ce que « le peuple veut » que les Syriens eux-mêmes, va se lancer dans un appel à la guerre totale : en Syrie selon lui, « il est illusoire d’espérer provoquer le renversement du despote par de simples manifestations », la famille régnante « ne peut être renversée que par les armes ». Il faut donc « une révolution qui l’emporte au moyen d’une insurrection populaire armée débouchant sur une guerre civile avec formation de zones libérées qui s’étendent progressivement jusqu’à la victoire finale. » « La révolution syrienne ne pourra se développer qu’en se transformant en guerre civile. » « La grande faillite des démocrates et progressistes de l’opposition syrienne, c’est qu’ils n’ont pas saisi d’emblée l’inéluctabilité de la guerre civile ». La guerre civile, la pire horreur qui puisse arriver à un pays, devient vertueuse dans la bouche d’Achcar. Il faudra lui payer un voyage à Alep, pour qu’il explique directement aux Syriens que c’était pour leur bien.
3) Protéger les États-Unis, Israël et les Saoud
Les propagandistes ont tout fait pour cacher et protéger les véritables responsables de la guerre, l’alliance OTAN/Israël/CCG. Au début des événements, ils ont d’abord voulu faire croire que celle-ci protégeait Assad, afin de semer la confusion chez les anti-impérialistes. Alternative Libertaire savait en 2011 que les puissances occidentales « ne maîtrisaient plus rien ». Le NPA, lui, nous expliquait « la relative prudence des puissances occidentales, des saoudiens et surtout d’Israël face aux événements. Pour eux, Assad est un « mal connu », et, malgré tout, un pilier de l’ordre régional. Ce qui peut venir après lui est beaucoup plus terrible pour eux ». Par conséquent, « le maintien du régime syrien est la meilleure option possible pour Israël ». Le NPA ira jusqu’à présenter ce mensonge comme une évidence : « pourquoi l’Occident et Israël craignent-ils tellement de perdre le régime de Bachar al-Assad? ». La réponse arrive quelques mois plus tard : « La victoire de la Révolution syrienne ouvrira un nouveau front de résistance contre les puissances impérialistes, alors que sa défaite les renforcerait.» Le mois suivant : « Sous prétexte qu’Assad s’est moins aligné sur les USA et Israël que d’autres régimes arabes […], ou craignant une montée de l’intégrisme religieux, certains à gauche ne soutiennent pas l’insurrection syrienne. C’est un contre-sens ! La place des anti-impérialistes et anticapitalistes, c’est d’agir aux côtés des révolutionnaires arabes ».
Achcar toujours, va prétendre en 2012 que « les événements en cours signalent un fort déclin de l’hégémonie américaine », « L’influence que peuvent avoir les États-Unis sur le processus en cours en Libye est très limitée ». L’année suivante, il déclare sans rire « Washington ne souhaite le démantèlement d’aucun Etat. Il veut une « transition ordonnée » – que le pouvoir change de mains, mais en garantissant la continuité fondamentale de la structure de l’Etat » (après que les États-Unis aient détruit les états somalien, afghan, iraquien, libyen…). Et bien sûr, « Les puissances occidentales ne vont apporter de soutien substantiel – en particulier militaire – à aucune force de l’opposition, parce qu’elles ne font confiance à aucune de ses composantes ».
Les auteurs précités ne sont évidemment pas tous des agents, même si en ce qui concerne Gibert Achcar, Ghayat Naisse, Joseph Daher ou l’hystérique Ziad Majed on est en droit de le penser. Ce qu’on peut constater et tenter d’étudier, avec le recul historique, c’est un édifice immense de contrôle de la pensée, d’interdiction de la parole dissidente par la censure et par l’auto-censure, un édifice qui dépasse largement le cadre de notre étude (la gauche révolutionnaire en France), puisqu’il s’est avant tout manifesté dans les media dominants, à destination du grand public. C’est dans Le Monde qu’on trouvera la propagande la plus vile, en particulier sous la plume de Jean-Pierre Filiu, qui a par ailleurs écrit le scénario d’une bande dessinée de propagande (la bande dessinée est un bon angle pour toucher le public de gauche.) On sait maintenant que Le Monde prenait ses ordres directement de l’Élysée, mais est-ce une surprise ? Un militant de gauche devrait pouvoir comprendre que les media subventionnés par l’état sont au service de l’état, et qu’en cas de guerre, la liberté de la presse n’a plus aucun sens puisque c’est la sécurité nationale et le secret défense qui prime.
Cela n’empêchera pas bien sûr les groupes de gauche révolutionnaire de se référer exclusivement aux media dominants pour étayer leur argumentation, et de rejeter tout point de vue alternatif. Chez le NPA, AL et consorts, il est de bon ton de considérer toute info provenant de Russia Today comme mensongère (la voix du Kremlin, quelle horreur !), mais de ne jamais douter d’une info provenant du Monde ou du New York Times. Comprendre cette guerre n’est pas chose facile, mais il est primordial de confronter les propagandes et surtout d’étudier les manœuvres militaires (pour ma part en confrontant les informations de deux sites, l’un plutôt pro-américain et l’autre pro-russe).
Le paroxysme de l’absurdité a été atteint en décembre 2016, quand tous les media dominants ont hurlé au génocide de la population alépine par les sauvages armées « de Bachar et de Poutine. » A ce moment-là, Philippe Poutou lui-même a été mis a contribution pour s’indigner devant ce « massacre » : « les massacres ont commencé dans Alep-est. Toutes les informations sont concordantes.» Le NPA ne manquera de culpabiliser la gauche : « la vérité choquante est que le peuple syrien dans sa lutte pour son émancipation n’a pas trouvé une solidarité internationale à la hauteur de ses sacrifices. Il reste seul devant l’enfer des armes d’un régime sanguinaire, et il montre un courage extraordinaire, de ses jeunes, des masses populaires révoltés, qui font face à la barbarie extrême du régime et de ses alliés.» Ces jeunes, ces masses populaires révoltées, c’était en fait des milliers de djihadistes venus des quatre coins de la planète, qui tenaient la population d’Alep-Est en otage, avaient mis en place des tribunaux pseudo-islamiques, volé, violé, semé la terreur. Mais pour le NPA, ce sont des « héros ». Il faudra donc aussi leur payer un voyage à Alep, pour qu’ils puissent demander directement aux Alépins s’ils regrettent le temps où des barbus semaient la terreur dans leurs quartiers et violaient leurs filles.
Le NPA, Alternative Libertaire mais aussi l’UJFP, Cedetim, Émancipation, Ensemble, le Forum Palestine Citoyenneté, l’insurgé, Nasskoune, l’Union syndicale Solidaires se sont réunis en 2013 au sein d’un collectif : « Avec la Révolution Syrienne » afin d’aider activement les « rebelles syriens» qu’ils présentent comme des militants pacifiques et démocrates, alors que les combattants sont payés avec des fonds provenant de l’étranger, qu’ils possédent des tanks, et que les plus puissants d’entre eux sont des djihadistes prêts à mourir pour Dieu. Le collectif ARS va répandre la bonne parole de propagandistes comme Joseph Daher pour faire croire à une administration libertaire des zones rebelles ; il faut pour cela réussir à imaginer des zones libres habités par des libertaires progressistes qui font vivre la démocratie directe en harmonie avec les djihadistes coupeurs de têtes qui les protègent.
C’est en 2013-2014 que l’idéologie communiste libertaire va commencer à être vraiment mise à contribution. Une certaine Leila « Shrooms » Shami, se présentant comme militante anarco-féministe, va faire l’éloge d’Omar Aziz, présenté comme un anarchiste syrien ayant théorisé le fonctionnement de conseils locaux en s’inspirant de Rosa Luxembourg ou de la Commune de Paris. Pourtant, si on lit le texte en question, l’auteur reconnaît l’autorité du Conseil National Supérieur créé par les Frères Musulmans en Turquie, et demande aux conseils de s’y soumettre et de se mettre au service de l’Armée Syrienne Libre. On aura vraiment du mal à y trouver la moindre trace d’anarchisme. Cet Omar Aziz, d’après ce qu’on en sait, habitait aux États-Unis puis en Arabie Saoudite. On trouve sur Youtube une interview où la caméra ne vient jamais filmer le visage de Leila Shami, mais on peut entendre sa voix, la voix d’une anglophone ne sachant pas prononcer l’arabe, aux côtés de Charles Lister, intermédiaire entre les États-Unis et les groupes armés rebelles, et propagandiste dans toute la presse dominante, lié au Qatar.
Il faut aussi évoquer le cas de Yassin al Haj Saleh, présenté comme « dissident communiste syrien », qui dissertait en 2005 dans le New York Times sur la meilleure façon de renverser le régime syrien.
Le mythe des conseils démocratiques des « rebelles modérés » sera répété sans cesse par le collectif ARS ainsi que par les media qui y sont liés. Le collectif tient ses conférence sous le drapeau de l’ASL, le drapeau du colonisateur français (les Français ont peut-être oublié les massacres commis par la France en Syrie au temps du mandat, mais pas les Syriens. Et il faut être bien mal avisé pour imaginer que les Syriens voient dans l’état français un « libérateur ».)
PHASE III : LE ROJAVA
A partir de 2014 une nouvelle opération est lancée : le Rojava. Les militants libertaires, sans abandonner leur soutien à la rébellion islamo-communarde, vont devenir fascinés par les Kurdes des YPG-YPJ, la branche syrienne du PKK. Le leader du PKK, en prison en Turquie, est censé avoir adopté l’idéologie communiste libertaire, un « municipalisme » dont l’inspirateur serait l’anarchiste étasunien Murray Bookchin. La rébellion Kurde déclare mettre en place dans ses territoire une société libertaire, égalitaire, anti-capitaliste et écologique. Dès lors, il est urgent de les soutenir et d’inciter les gens à partir se battre. A partir de 2014, des anarchistes du monde entier affluent vers la Syrie, empruntant le même chemin que les djihadistes qui les ont précédés. Il est difficile d’imaginer que cela représente plus de quelques milliers de combattants, mais, comme pour les djihadistes, cela permet aux états d’origine de se débarrasser d’un certain nombre de radicaux et de mettre leur colère à profit.
Or il est évident que le Kurdistan n’est rien d’autre que le Plan B des États-Unis, après l’échec des djihadistes. Un Kurdistan indépendant en territoire syrien et iraquien leur permettrait de démembrer et donc d’affaiblir ces deux états, et mettre la main sur de gigantesques ressources énergétiques. L’Iran, qui héberge une large population kurde, serait menacé. Il faut absolument garder en tête que les habitants du nord de la Syrie ne sont pas majoritairement Kurdes. Le Rojava est en dehors du Kurdistan, les Kurdes se trouvant essentiellement en Turquie. En Iraq les Kurdes sont soutenus par Israël. On peut penser que la Turquie est opposée à la création d’un Kurdistan mais on peut aussi penser qu’elle pourrait en profiter pour y déporter ses Kurdes tout en en repeuplant le sud de la Turquie avec les Syriens. Et effectivement les YPG/YPJ sont soupçonnés de procéder à des déplacements de population.

Pour brouiller les cartes, les États-Unis ont créé les Forces Démocratiques Syriennes qui regroupent les Kurdes avec des combattants arabes, mais concrètement les YPG/YPJ sont largement majoritaires et procèdent à une « kurdisation » forcée de la région. Le pouvoir est au parti, le PYD. Le paradis libertaire est censé régner dans des zones organisées depuis toujours de manière tribale, en guerre, sous le contrôle de soldats armés et commandés par les États-Unis. C’est dur à avaler et de nombreux articles vont tenter de faire passer la pilule, au nom du réalisme et au moyen, encore et toujours, de la culpabilisation : « Il est incroyablement facile – sinon honteux, à certains égards – de s’asseoir dans le confort de nos maisons occidentales et de critiquer la « trahison » d’un mouvement au nom de sa « collaboration » avec l’impérialisme lorsque la vie de tant de personnes est, littéralement, en jeu. […] Le révolutionnarisme et la solidarité de fauteuil, uniquement conditionnés par les notions de « pureté » n’ont aucun sens dans le monde réel », pourra-t-on lire dans Ballast.
Les États-Unis ont implanté une dizaine de sites militaires au sein des communes libres du Rojava, ils ont pu envoyer des milliers de soldats : ils ont donc envahi la Syrie,en toute discrétion. Les derniers événements montrent clairement que les Kurdes sont actuellement plus en guerre contre l’état syrien que contre Daech. Ils ont réussi à reprendre de vastes territoires riches en pétrole à Daech sans que ceux-ci ripostent, afin d’empêcher l’armée syrienne d’en reprendre possession. Daech a ensuite lancée une grande offensive contre l’armée-syrienne, permettant aux Kurdes de s’emparer d’encore plus de puits de pétrole et de gaz. On a vu un chef de tribu auparavant daechiste se mettre au service des Kurdes. Il est encore trop tôt pour savoir ce qui se passe vraiment au Rojava, mais il y a de quoi se méfier et être prudent.
Les groupes de gauche révolutionnaire vont déclarer apporter un soutien critique, mais dans les faits, ils promeuvent ultra-activement les YPG/YPJ, par des levées de fond et une propagande incitant les militants à franchir le pas et passer à l’action : aller se battre en Syrie, tirer sur des Arabes avec des armes étasuniennes.
On pourra suivre les aventures d’un communiste libertaire dans les YPG, rêver en voyant des combattants poser devant tous les symboles de l’anarchisme et de l’antifascisme, les drapeaux rouges et noirs, les A cerclés… le site Lundi Matin nous expliquera précisément la marche à suivre pour s’engager et rejoindre le front.
Voilà comment les États-Unis ont réussi à envoyer des anarchistes du monde entier se faire tuer en Syrie pour leurs intérêts. C’est un tour de force qui ne doit pas faire une grande différence sur le plan purement militaire, mais qui est très intéressante pour eux sur le plan psychologique : soutien de la gauche à la création d’un « nouvel Israël » où le PKK deviendra peut-être « la gauche Kurde », mais où le pouvoir sera toujours au mains des atlantistes et sionistes.
Reste à savoir ce que signifie le retournement de la gauche révolutionnaire pour la France. Il n’est effectivement pas rassurant de voir un site de propagande comme Lundi Matin se faire passer pour la voix des anarchistes et appeler à l’émeute et à la violence. Cette violence éclatera tôt ou tard du fait de la situation désastreuse de la France, et il est évident que dans les tiroirs du Pentagone, des plans sont déjà prêts.
Conversation sur Messenger avec un militant libertaire :