Récit et réflexions autour de la manif sauvage du mercredi 11 octobre 2017 en solidarité avec les condamné-e-s de l’affaire de la voiture brûlée du quai de Valmy.

Dans la matinée du mercredi 11 octobre, mauvaise nouvelle: dans l’affaire de la voiture de police brûlée du quai de Valmy, les réquisitions du proc’ sont globalement suivies, Krem et Kara restant en prison.

Le rassemblement prévu à Ménilmontant promettait donc l’expression d’une colère collective et d’une solidarité qui ne s’arrêtent pas avec la fin de ce procès.

Plusieurs centaines de personnes se sont donc retrouvées au croisement de Ménilmontant, autour d’une banderole « Liberté pour celleux du quai de Valmy, vive la révolte » et de quelques prises de parole combatives.

Puis, un départ en manif sauvage a été annoncé, et presque tout le monde s’est engouffré dans la rue d’Oberkampf (presque, parce que les flics sont arrivés rapidement et ont bloqué une partie des gens sur la place). Le rythme de la manif a vite été assez soutenu, sachant que les flics n’étaient pas bien loin et vraisemblablement excités à l’idée de se faire des gens ouvertement solidaires de celles et ceux qui ont attaqué la fameuse voiture de police qui a fini en cendres le 18 mai 2016 sur le quai de Valmy.

Les slogans ont fusé dès le départ, repris assez massivement, mettant une bonne énergie dans la manif sauvage: À la première, à la deuxième, à la troisième voiture brûlée, on aime tou-te-s les grillades de condés / Liberté pour tou-te-s les inculpé-e-s / Pas de justice, pas de paix / Zyed, Bouna, Théo et Adama, on n’oublie pas, on ne pardonne pas / Tout le monde déteste la police / Flics, violeurs, assassins / À bas l’État, les flics et les patrons.

Très rapidement, la manif a quitté la rue Oberkampf pour prendre des plus petites rues et rendre la tâche plus compliquée aux flics qui essayaient de suivre: rue Crespin du Gast, rue des Bluets, rue Guillaume Bertrand, puis au bout de la rue Saint-Ambroise la manif a traversé le boulevard Voltaire pour prendre la rue Popincourt et tourner dans la rue du Chemin Vert en direction des 3e et 4e arrondissements. Arrivée sur le boulevard Beaumarchais, la manif avait traversé tout le 11e arrondissement d’est en ouest.

Pendant toute la manif, de très nombreuses poubelles ont été renversées au milieu des rues, quelques vitrines ont été fracassées (notamment un magasin Picard et l’école de commerce ESG de la rue Saint-Ambroise) et plusieurs tags ont été inscrits sur les murs (voir photos ci-dessous). Mais aux abords des 3e et 4e arrondissements, à quelques dizaines de mètres de la place des Vosges et à quelques centaines de mètres de la place de la Bastille, l’effectif de la manif avait pas mal fondu. Je n’ai pas vu la toute fin de la manif (sa dispersion définitive), j’ai décidé de m’natchav avant que les flics ne contrôlent la situation, c’était probablement un peu trop tôt, je ne sais pas, en tout cas à ce moment-là on n’était plus qu’une petite cinquantaine… Ça m’a fait un peu penser à une autre manif sauvage qui était rageusement passée dans les mêmes quartiers, le 15 février dernier, en solidarité avec Théo, mais dont la fin dans les quartiers bourges du 4e arrondissement avait été un peu difficile.

Cette fois encore, les quartiers alentours ont été occupés massivement par des dizaines de véhicules de police, sirènes hurlantes, à la recherche de la manif sauvage que j’espère ils n’auront jamais pu bloquer. En tout cas sur France Info ça parlait de la manif, de poubelles renversées et de vitrines brisées, mais pas d’arrestations… Bon, mais c’était France Info, pas une legal team.

Je suis reparti en traversant à nouveau une partie du 11e arrondissement, et… peut-être parce que la rage et la tristesse continuaient de m’occuper l’esprit après la mauvaise nouvelle du résultat du procès, je me suis mis à bad-triper sur les terrasses des bars hypes et sur tou-te-s ces gens assis-es qui semblaient respirer la tranquillité, l’insouciance et la bonne humeur.

Je me suis rappelé que ce 11e arrondissement était un quartier populaire il y a encore quelques décennies, qu’il a été progressivement gentrifié au moins depuis une vingtaine d’années avec l’accumulation de bars branchés et de magasins pour jeunes bourges, notamment sur la rue Oberkampf.

 « L’acte surréaliste le plus simple consiste, révolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon.« 
 André Breton, Second Manifeste du surréalisme, 1930.

Je me suis souvenu de cette phrase d’André Breton en traversant le détachement apolitique qui semblait émaner des terrasses des bars et des restos avec tou-te-s ces plus ou moins jeunes plus ou moins cools qui dépensent leurs plus ou moins bons salaires en buvant des coups et en fumant des clopes (tout en jetant quelques coups d’oeil au smartphone de temps en temps — finalement c’est pas les doudous qui manquent quand on est adulte).

D’habitude, je suis plutôt en mode OSEF vis-à-vis de cette fausse sociabilité, mais là j’ai été pris de dégoût en voyant l’indifférence quasi-généralisée par rapport aux manifestant-e-s, par rapport à l’occupation policière du quartier, et par rapport à ce que ça représente en soi: une image de bien-être collectif au sein d’une société pourrie. Une image, une impression, des faux-semblants pour oublier qu’on a tou-te-s, à des degrés divers, une vie de merde.

Alors on n’est pas si loin du Bataclan et on est complètement dans les rues qui ont été attaquées par les illuminés de Daech le 13 novembre 2015… Dans le coin c’est les seuls à avoir mis en pratique l’idée « surréaliste » d’André Breton, donc c’est bien entendu de mauvais goût de citer le pape du surréalisme dans ce contexte. Pourtant, il y a quelque chose à creuser du côté de la critique de l’aliénation par le divertissement et de la marchandisation de la sociabilité.

Dans tous les cas, ne vous inquiétez pas, si un jour je pète un câble au point de me procurer des armes, je me trouverai des cibles précises. Et je suis sûr que vous avez déjà deviné lesquelles…

 « Il n’est pas, en effet, de plus éhonté mensonge que celui qui consiste à soutenir, même et surtout en présence de l’irréparable, que la rébellion ne sert à rien. La rébellion porte sa justification en elle-même, tout à fait indépendamment des chances qu’elle a de modifier ou non l’état de fait qui la détermine. Elle est l’étincelle dans le vent, mais l’étincelle qui cherche la poudrière.« 
 André Breton, Arcane 17, 1944.