Le 23 septembre, le cortège de tête était bien là, comme prévu. Et ce, en dépit du dispositif annoncé par la France Insoumise et la préfecture de Paris : un service d’ordre de 350 membres, des fouilles à l’entrée, et des dizaines de baceux-ses. Les menaces d’un « service d’ordre […] suffisamment important et en capacité de répondre à des violences » (dont notre appel ne faisait aucune allusion, ni dans le texte, ni dans les intentions) n’ont pas suffi à faire taire les quelques centaines de militant-es présent-es dans le cortège de tête. Derrière les banderoles « Mélenchon est un soumis », « Sous les pavés la rage », et « Le travail tue », nous étions tous déterminé-es à ne pas laisser à Mélenchon le monopole de la rue. C’est dans une ambiance festive et joyeuse que la manifestation s’est élancée à 14h30, au rythme des slogans tout aussi décalés et amusants que politiquement pertinents : « Qui ne saute pas est insoumis », « Siamo tutti antifascisti », « Ni Dieu, ni maître, ni Mélenchon », « Tout le monde déteste la police », « Police partout, justice nulle part », « Non, Jean-Luc n’est pas un camarade », et « À la première, à la deuxième, à la troisième voiture brûlée, solidarité avec les inculpé-es ».

Ayant appris au cours de la manifestation la tenue d’un meeting à l’arrivée sur la place de la République, le cortège fut bien décidé à foutre un joyeux bordel devant la scène. Des affiches de la France Insoumise sont arrachées, et l’envie prend aux manifestant-es de grimper sur scène avec les banderoles pour offrir une autre voix aux insoumis-es que celle de Jean-Luc Mélenchon. Après des refus musclés d’une compagnie de vigile privée présente sur scène et face à l’attitude particulièrement hostile de certains membres du service d’ordre armés de bâtons, la situation s’est envenimée. Le cortège de tête décide de répondre à cette nouvelle attaque d’un SO et d’une milice privée ; des coups partent, quelques objets volent. Les manifestant-es tentent une nouvelle fois d’accéder à la scène pour y faire entendre leur voix. Après de légers affrontements avec l’équipe de vigiles privée, la situation se calme mais les militant-es du cortège de tête, bien décidé-es à ne pas rester sans voix, se rassemblent devant la scène pour y crier des chants hostiles à Mélenchon. Après une ultime attaque virulente du SO de la France Insoumise, mécontent de voir leur chef se faire huer, c’est le retour au calme.

Evidemment, le récit médiatique ne colle pas exactement à ce qu’il s’est réellement passé. Car ce serait mettre trop à jour les divergences profondes qui nous séparent de Mélenchon et de ses sbires. Celui dont le mépris de classe est tel qu’il allait jusqu’à taxer les résistant-es aux barrage de Sivens « de clochards, de militants d’extrême-droite », d’« ivrognes », de « personnages cagoulés et vociférant ». Celui qui désigne certain-es militant-es hostiles à sa présence de « petit homme très malodorant et masqué » ou de « gosse de riche […] déjà sévèrement aviné ». Celui qui disait, s’agissant du meurtre de Rémi Fraisse, qu’« il est absurde de s’avancer dans les explications et accusations à propos de ce décès sans en connaître les circonstances ni les conclusions de l’autopsie », mais qui était certain « que l’extrême-droite s’y trouvait sous les cagoules » (cf. https://iaata.info/Jean-Luc-Melenchon-et-l-assassinat-de-Re…)

Quoi de mieux pour Mélenchon que de faire passer sa sordide tentative de couper la parole à toute forme d’opposition au gouvernement autre que la sienne, pour une agression de la part des « gens qui se disent anarchistes » ? Quoi de mieux, pour lui, véritable révolutionnaire tout en voyant dans les policiers ses « camarades », de reprendre la sémantique gouvernementale pour distinguer les « bons » des « mauvais » manifestant-es – diviser pour mieux régner sur un mouvement contestataire plus que nécessaire en ces temps réactionnaires. Quoi de mieux, pour lui, de s’en prendre simplement à une « poignée de violents », permettant de passer sous silence un véritable mouvement de jeunesse contestant la toute-puissance mélenchonienne dans l’opposition à Macron.

Non effectivement, Jean-Luc Mélenchon n’est pas un camarade, et ne le sera jamais. Notre opposition au « tribun de gauche » est profonde et viscérale. Celui qui ne voit dans le burkini que le « fruit d’une offensive religieuse salafiste », sans condamner les arrêtés municipaux islamophobes ne mérite que notre mépris. Celui qui refuse de reconnaître la pertinence même du mot « islamophobie », reléguant au rang d’imaginaire une réalité raciste omniprésente, ne mérite que notre mépris. Celui qui parle de ce « travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place » ne mérite que notre mépris. Un Ruffin, qui ose ne pas se prononcer sur l’assassinat policier d’Adama Traoré parce que, dit-il devant la sœur d’Adama, il « fait confiance à l’enquête », ne mérite que notre mépris. Bref, un nationaliste, un raciste, qu’il se dise de droite ou de gauche, ne trouvera chez nous que notre mépris.

Main dans la main, chacun jouant pleinement son rôle, Mélenchon et ses lieutenants tentent d’éteindre une polémique qui ferait du tort à sa vaine tentative de récupération du mouvement social, tandis que les médias (à l’égard desquels le chef des insoumis aime parfois feindre une hostilité) entendent dénoncer un faux scandale. Les premiers se réjouissent d’un communiqué de la préfecture louant la qualité de l’organisation de la marche, passant sous silence la véritable contestation contre son culte de la personnalité (« ni Dieu, ni maître, ni Mélenchon », pouvait-on entendre). Les médias font passer le mouvement révolutionnaire pour un négligeable attroupement de jeunes sans autre perspective que la violence pure.

À ces petites stratégies médiatiques et politiciennes, nous répondons par notre présence, par nos combats sans relâche pour contester le monde qu’ils nous réservent, ces Mélenchon, ces Macron, ces Le Pen qui, malgré leur différence, participent du même jeu sordide. Nous continuerons à proposer aux insoumis-es de circonstance une autre perspective, un véritable « avenir en commun ». Nous continuerons à venir vers celles et ceux qui ne voient pas en Mélenchon un gourou ou une idole, vers celles et ceux qui, bien qu’insoumis, ont rejoint nos côtés, au sein du cortège de tête ce samedi 23 septembre. Parce que Mélenchon n’est qu’un opportuniste qui tente de casser toute perspective révolutionnaire pour en ramasser les miettes, il n’est et ne sera jamais un camarade.

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