Auteures: Vivian Souza Alves de Silva et Juliane Bianchi Leão

1. Introduction

Houria Boutledja est une intellectuelle activiste franco-algérienne, fille d’immigrés : son père était un ouvrier et sa mère femme au foyer. Houria est un des principales figures, actuellement porte- parole, d’un mouvement (qui a donné naissance à un parti) les Indigènes de la République – MIR/PIR.

Le MIR est apparu dans le scénario politique français en 2005 avec un appel dans lequel ses signataires affirment que l’État français poursuit des pratiques coloniales non seulement vis-à-vis de ses anciennes colonies, mais à l’encontre des citoyens d’origine coloniale – les Indigènes de la République. L’organisation se présente comme anti-raciste et décoloniale, et a pour objectif prioritaire la création d’une dynamique de résistance qui agrège des immigrants et leurs familles, vivant dans les quartiers populaires et les populations originaires des départements et territoires d’outre-mer français, avec l’intention de construire une force politique indigène autonome, capable d’influencer activement la politique française.

La catégorie d’indigène a un sens différent de celui qu’il possède dans le contexte latino-américain, il sert à faire référence à un contexte historique spécifique, sans lien avec les peuples amérindiens. L’appropriation du terme s’est effectué à partir du sens que ce terme a reçu durant l’exploitation coloniale française du Maghreb et de l’Afrique, quand tout les « natifs » était considérés comme des indigènes. La permanence dans le contexte post-colonial français de discriminations, y compris sur le plan juridique, à l’encontre de ceux qui ne sont pas vus par la majorité dominante comme des « français de souche », conduit à considérer que les peuples d’origine coloniale continuent à être considérés comme des indigènes dans une perspective coloniale – bien sûr pas comme à l’époque coloniale, mais tout de même comme des citoyens de seconde zone.

La défense d’Houria Bouteldja en lien avec un féminisme décolonial attentif à une perspective intersectionnelle (1) émerge, cependant, dans le cadre d’un contexte plus large des luttes décoloniales et anti-racistes en France, et en réalité, dans tout le contexte européen post-colonial. Bouteldja comprend que dans le contexte actuel des femmes indigènes en France – prises entre deux patriarcats: le blanc dominant et l’indigène affaiblit – les modèles organisationnels non-mixtes qui excluent les hommes indigènes, sont inopérants. Cela parce que le colonialisme et le racisme ont justement amené à séparer les hommes et les femmes indigènes quand ils accusent les hommes de couleur d’être les ennemis principaux des femmes de couleur. L’exclusion des hommes indigènes des stratégies d’affirmation féminine pourrait facilement être interprété comme une rupture, avec la communauté, d’un côté, et l’acceptation d’un modèle d’émancipation euro-centrique d’un autre côté.

Le débat autour des groupes non-mixtes nous motive à effectuer une comparaison entre la proposition théorique de Bouteldja avec la pratique politique des femmes noires dans le contexte brésilien dans les années 1980, surtout parce que l’expérience organisationnelle de celles-ci a provoqué des questionnements de cet ordre. En outre, la compréhension en ce qui concerne les asymétries de pouvoir existant entre les femmes blanches et non-blanches dans deux contextes, très différents entre eux, mais qui possèdent de similarités symboliques et matérielles pertinentes, nous encourage à en faire une analyse comparée.

(1) Sur les relations critiques du PIR à l’intersectionnalité, voir : « Race, genre, classe : une nouvelle divinité à trois têtes ». URL : http://indigenes-republique.fr/race-classe-et-genre-une-nouvelle-divinite-a-trois-tetes-2/

[….]

 

2. Le féminisme décolonial d’Houria Boutledja (1)

[Les positions d’Houria Boutledja étant accessibles et connues des lecteurs et lectrices francophones, nous ne traduisons pas ce passage de l’article qui développe plus amplement la thèse déjà rappelée en introduction]

[(1) Il est nécessaire de noter que le féminisme décolonial latino-américain est assez différent de ce que Houria Bouteldja avait théorisé sous cette appellation fut une époque. Pour avoir une idée du féminisme décolonial latino-américain, voir par exemple cet article: Curiel Ochy, « Critique postcoloniale et pratiques politiques du féminisme antiraciste », Mouvements, 2007/3 (n° 51), p. 119-129. URL : http://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-119.htm ]

[…]

 

3. L’articulation féminine noire au Brésil : entre le racisme et le sexisme, l’autonomisation solidaire.

A la fin des années 1970, quand l’action politique des femmes noires brésiliennes commence à se fortifier à l’intérieur des organisations du mouvement noir, le concept d’intersectionnalité n’avait pas été encore formulé. Cela sera seulement à partir de la seconde moitié des années 1990 que cette notion commencera à intégrer les réflexions théoriques et les discours politiques du Mouvement des femmes noires (MMN), atteignant une plus grande visibilité après les années 2000. Avant cela, pour se rendre visibles politiquement à partir de leur propre spécificité, il était commun que les femmes noires se situent dans le cadre d’une conception additive, voyant les oppressions comme une « somme » ( genre + classe + race, etc.) en raison de leur condition sociale défavorable.

Selon Marjorie Chaves (2008), le concept d’intersectionnalité ouvre un chemin pour une vision plus intégrale de l’identité féminine noire, voyant « les femmes noires comme des sujets en soi, et non [comme] des morceaux de sujet noir, de sujet pauvre […] ». Actuellement, cependant, « les formulations théoriques et les analyses politiques de l’inégalité, reconnaît que les sujets sont divers, les femmes noires ne sont pas triplement discriminées, les inégalités tombent sur elles comme un poids immense, mais non de manière étagée ».

Le mouvement des femmes noirs brésiliennes, dans un premier temps, a assumé l’option consciente de s’éloigner de l’étiquette de féministe à l’instar de ce que nous dit Houria Bouteldja de la relation des femmes indigènes dans la France post-coloniale. A l’intérieure de la communauté noire brésilienne, ce terme également était vu avec une certaine méfiance, comme une idéologie qui correspondait seulement aux intérêts des femmes blanches et de classe moyenne. En dépit de cette méfiance et de cet éloignement, le mouvement féministe a été, dès le début de l’organisation féminine noire un des interlocuteurs principaux du MMN. Dans la vision de Lélia Gonzalez, une des principales intellectuelles activistes du projet féministe noir au Brésil :

« le retard politique des mouvements féministes brésiliens est flagrant, dans la mesure où ils sont animés par des femmes blanches de classe moyenne. Aussi ici on peut percevoir la dénégation du racisme. Ce discours est prédominant à gauche, consistant à mettre en avant la lutte économique et à dénoncer les revendications spécifiques. Le silence est toujours impressionnant en ce qui concerne la discrimination raciale. Ici aussi on perçoit la nécessité de considérer comme une question cruciale  le fait que la libération de la femme blanche a été faite sur le dos de l’exploitation de la femme noire » (Gonzalez, 1979 : 15).

Sueli Carneiro (1984), autre intellectuelle activiste de poids dans le MMN, pointe dans la même direction que Gonzalez et éclaircit les principaux motifs qui génèrent les « difficultés de relation entre le mouvement féministe et les femmes noires, marqués par des ressentiments historiques et des inégalités latentes ». Cela arrive :

« entre autres motifs, parce que, même opprimée, la femme blanche bénéficie de la déqualification professionnelle, morale et esthétique des femmes noires et non-blanches en général. Que ce soit parce qu’elle est en couple avec l’homme blanc dominateur, que ce soit parce qu’elle incarne l’idéal féminin, que ce soit parce qu’elle possède la soit disant bonne « apparence » qui dans cette société est synonyme de blancheur (Carneiro, 1984).

et elle conclue qu’ « une alliance entre les femmes noires et blanches sera seulement possible si le mouvement féminin questionne les privilèges sociaux de la femme blanche ». Cela signifie, en dernière instance, admettre les privilèges découlant de l’appartenance au groupe social hégémonique et ouvrir un espace pour que la critique de ce système hiérarchique devienne un programme fondamental de lutte pour la libération féminine.

Le MMN brésilien était conscient depuis le début que « le combat strictement contre le sexisme » pourrait « contribuer à renforcer la domination masculine blanche sur les hommes [de couleur] » comme l’a compris Houria Boutledja (2013).

Dans ce sens, au sein de la pluralité des positions défendues à l’intérieur des mouvements, « la supposition de ce qu’une perspective féministe pour un mouvement de femme noires [passe] par l’opposition ou la distance avec l’homme noir » n’était pas pertinente, conformément à ce qu’affirmaient Sueli Carneiro et Thereza Santos (1985:37). La solidarité, avec un homme noir, cible prioritaire des politiques d’extermination de la politique raciste, est un facteur primordial dans le soutient de la posture visant la dignité du groupe noir, objectif qui guidait les efforts organisationnels des femmes noires brésiliennes durant la décennie des années 1980.

Le discours du MMN se forme, cependant, à partir de la constatation – assez évidente – des différences entre femmes blanches et noires dans la société brésilienne, et de l’élaboration politique en lien avec ces différences, mettant en évidence le racisme qui structure les relations sociales et la nécessité que le discours féministe hégémonique a de se maintenir éloigné de ce type de questionnement, une fois qu’il prêchait l’égalité d’une « femme universelle » en lien avec un « homme universel », les deux implicitement blancs et occidentalisés. Le « privilège masculin », dans ce contexte, n’a jamais été un privilège masculin déracialisé, comme n’a jamais été déracialisé « l’assujettissement féminin », dans le même sens, il a tendu à être plus ou moins intense en fonction des autres marqueurs identitaires qui composaient chaque femme.

C’est pour cela que la prise de conscience en relation à l’oppression de la part d’hommes et de femmes afro-américains et amérindiens se donne, selon ce qu’affirme Lélia Gonzalez (1988a) « avant tout, par le racial » :

« L’exploitation de classe et la discrimination raciale constituent les référents basiques de luttes communes entre les hommes et les femmes qui appartiennent à une ethnie subordonnée. L’expérience historique de l’esclavage noir, par exemple, a été terrible et vécu avec souffrance par les hommes et les femmes, que ce soit des enfants, des adultes ou des vieux. Et ce fut à l’intérieur de communautés esclaves que se développèrent des formes politico-culturelles de résistance qui aujourd’hui nous permettent de continuer une lutte pluri-séculaire de libération. Pour tout cela, notre appartenance nous [mouvements ethniques] est relativement visible : ici nous, afro-américains et amérindiens, nous avons une participation active, et dans beaucoup de cas, nous sommes des acteurs ».

Pas étonnant, par conséquent, au moment de l’émergence des nouveaux mouvements sociaux à partir de la fin de la décennie 1970 au Brésil que les femmes noires allèrent dans les mouvements noirs bien plus dans les mouvements féministes. La compréhension d’une histoire partagée de discrimination et d’oppression raciste fait que la rébellion et l’esprit critique des femmes noires a été reçu « dans un climat de meilleure familiarité historique et culturelle » à l’intérieur des entités du mouvement noir (Gonzalez, 1988a).

De plus, comme le raconte cette auteure, à l’instar de beaucoup d’intellectuelles activistes noires brésiliennes, la co-habitation avec les hommes noirs à l’intérieur des organisations anti-racistes n’a pas toujours eu lieu dans un climat de respect mutuel et de compréhension, voir même dans beaucoup de cas, c’est la participation à ces mouvements qui les a conduit à la « conscience de la discrimination sexiste », du fait que leurs « camarades du mouvement reproduisent les pratiques sexistes du patriarcat dominant et essaient de nous exclurent de la sphère de décision du mouvement » (Gonzalez, ibid.). Dans ce contexte, il est exact d’affirmer que l’insertion féminine dans les organisations noires ne se traduisait pas dans « l’occupation des espaces politiques ou [de] visibilité politique dans la même proportion que celle des hommes noirs » (Carneiro, 1993:15).

Du fait d’affrontement de cette nature, les femmes noires à l’intérieur d’organisations mixtes ont créée des groupes exclusivement féminins, qui étaient dans un premier temps subordonné à des groupes plus larges d’hommes et de femmes noirs. Ces groupes initiaux eurent pour objectif de fortifier le positionnement politique des femmes noires pour qu’elles puissent investir des espaces plus notables dans les organisations mixtes, dans une tentative de déconstruire la logique qui les enfermaient dans des fonctions subalternes et les reléguaient hors du premier plan. L’expansion des groupes de femmes dans les organisations, entre autres, conduisit selon Carneiro (op. Cit) à « plusieurs tentatives de leaders masculins noirs pour tutorer le Mouvement des Femmes Noires au travers des mécanismes de contrôle qui vont de tentatives d’encadrement idéologique du [MMN], en passant par différentes formes de déqualification de son importance politique même ».

Face à de telles situations, commencèrent à surgir des organisations de femmes noires qui se positionnaient de manière délibérément autonome par rapport au mouvement noir lui-même. Comme il est possible de l’imaginer, la présence de l’imaginaire machiste parmi les hommes qui se trouvaient à l’avant-garde des entités noires à l’époque, en lien avec l’idée que d’autres questions devaient être subordonnées à la question raciale, considérée comme prioritaire, générait différentes accusations selon lesquels les femmes, en créant des organisations autonomes, étaient en train de diviser « la lutte anti-raciste, affaiblissant l’ensemble des forces qui luttaient contre le racisme (Cardoso, 2012:16). De nombreux groupes furent même ridiculisés pour supposément copier « les modèles » de l’organisation des femmes blanches ».

Il est nécessaire de prendre en compte, cependant, que l’autonomisation des femmes noires, dans leur propres collectifs et groupes n’a pas signifié un éloignement de la relation avec l’homme noir ou la communauté noire. Cela a signifié plutôt, la construction d’un espace dans lequel les spécificités d’être une femme noire puissent être travaillés librement et formulés politiquement. Dans ce cas, donc, la réunion en groupes non mixtes n’a pas signifié la complicité avec les modèles de libération blancs, surtout parce que cette dimension de critique radicale du racisme du féminisme blanc bourgeois, et aussi des gauches brésiliennes, n’a jamais été oublié.

La stratégie de réunion dans des groupes non-mixtes, dans ce cas, pourrait être entendu a partir de l’idée d’ « autonomie solidaire », cela signifie la recherche de l’autonomie pour guider et discuter politiquement les questions considérées comme pertinentes pour le groupe, en même temps que l’on cherche à établir des liens de solidarité qui servent à la fois à influencer les propres lignes directrices du groupe qu’à soutenir la lutte des autres avec lesquels ils ont une identification politique et/ou culturelle.

 

4. Conclusion

Face aux questions présentées, nous pouvons observer certains points dans lesquels l’expérience organisationnelle des femmes noires brésiliennes se rapproche du projet politique diffusé par Houria Bouteldja sous le nom de « féminisme décolonial ». Nous pourrions citer les différences et les affrontements idéologico-politiques relativement aux féministes occidentales/occidentalisées et la difficulté à assumer le terme « féministe », la focale mise souvent sur des considérations qui ne sont pas perçues comme faisant partie de l’agenda hégémonique de la lutte féministe, la recherche de la construction d’espaces mixtes de solidarité racial/communautaire et combattant le racisme, entre autres. Le point que nous avons choisi effectivement, cependant, c’est le débat concernant les groupes mixtes.

Bouteldja défend que la stratégie de réunion seulement entre femmes est un échec dans le contexte à partir duquel elle construit sa réflexion, en effet les hommes et les femmes de couleur sont déjà séparés par des structures et pratiques racistes qui se chargent de distendre les liens de solidarité entre eux. Nous observons dans le MMN durant les années 1980, de son côté, une tentative de construire une réflexion et une pratique antiraciste qui unisse les hommes et les femmes, avec l’intention de retisser ces liens de solidarités au sein de la communauté noire et de la fortifier pour le combat quotidien contre les formes, institutionnelles ou non, de racisme. Ce que nous notons, cependant, c’est que cette solidarité à différents moments a été menacée par le poids du sexisme enraciné dans la mentalité masculine.

Dans ce sens, on peut appliqué au contexte des femmes noirs brésiliennes en train de s’organiser, à partir de la fin des années 1970, la constatation de Bouteldja (2013) que « la solidarité des femmes avec les hommes est une voie à sens unique. Il n’y a pas de réciprocité. Les hommes attendent des garanties, mais ils ne solidarisent jamais avec les femmes ». Bien évidemment, nous ne parlons pas des cas individuels, connaissant la contribution de certains hommes noirs à l’organisation féminine noire. En tant que groupe, cependant, les hommes des mouvements noirs de cette période attendent des femmes qu’elles servent de main d’œuvre pour l’organisation de rencontres, pour la préparation d’évènements (notamment de dîners, ce qui signifie destiner les femmes à la cuisine, terrain traditionnellement féminin à partir d’un optique sexiste) pour lever des fonds pour les organisations… Ou encore, ils attendent de la solidarité de leur part, mais il refusent d’intégrer les thématiques spécifiques des femmes noires dans les discussions politiques mixtes et leurs concéder des espaces de parole et d’action, et ils se montrent sourds aux dénonciations relativement à leur propre machisme.

Ainsi, une partie des femmes noires brésiliennes a adopté le positionnement politique qui, dans les termes de Sueli Carneiro (1993), reconnaît l’importance et la gravité de la question de la femme noire dans la société brésilienne, comprenant que cela était une thématique qui représente, avant tout, un aspect de plus de l’oppression et de la marginalisation sociale du noir et, en tant que tel, qui devrait être traité de manière associée ou subordonnée à l’agenda du Mouvement Noir. Ainsi selon Carneiro, les défenderesses de cette vision craignent « que l’action politique des femmes noires [en viennent] à promouvoir la casse d’une supposée unité dans la lutte générale du noir par la possible dispersion de cadres militants dans d’autres espaces d’action politique ». Elles craignent encore « l’établissement de compétitions entre noirs, hommes et femmes, pour des espaces politiques et sociaux ».

Cette posture nous paraît proche, en différent sens, de la stratégie défendue par Houria Bouteldja en lien avec les groupes indigènes dans la France post-coloniale – à savoir le maintient de l’unité au sein du groupe indigène comme manière d’éviter d’entretenir l’idéologie dominante qui attise la fragilité de ce groupe politique. La vision de la part de ces femmes noires brésiliennes en voie de s’organiser nous paraît également compatible avec les idées de Boutledja dans la mesure où elles accréditent que l’oppression de la femme noire est seulement une part de l’oppression plus générale de celle du groupe noir, considérant que la lutte féminine, donc, doit être subordonnée à la lutte générale du groupe noir.

En aucune manière, nous ne voulons suggérer qu’une stratégie est supérieure à une autre ou plus correcte en termes politiques. Les différences, énormes, entre les différents contextes rendent possibles que différentes stratégies soient plus appropriées pour chaque cas. Nous pourrions revendiquer l’idée « d’autonomisation solidaire » pour le cas des femmes indigènes en France, mais comme l’affirme Bouteldja (2013) quand « on est confronté avec la réalité des luttes concrètes », beaucoup de conseils de personnes non-impliquées directement dans le vécu quotidien de cette réalité finissent par être « de peu d’utilité, bien qu’ils soient parfaitement sincères et bienveillants ». Constater les oppressions, les théoriser, et ainsi formuler, à partir de cela, un projet politique faisable, qui est conscient des nombreuses variables impliquées dans le problème, sont des choses tout à fait différentes. Aucune réponse n’est facile.

Certaines différences fondamentales entre les femmes noires brésiliennes et les femmes indigènes dans la France post-coloniale, cependant, peuvent nous aider à penser les différences en termes de stratégie d’organisation. Houria affirme que « les femmes de l’immigration, majoritairement pauvres, sont dépendantes des solidarités familiales et communautaires ». Cela serait, ainsi, « la raison pour laquelle elles ne peuvent pas se permettre le luxe de la rupture » (Bouteldja, 2013). Les femmes noires brésiliennes, elles aussi, du fait d’une longue histoire d’exploitation esclavagiste et de désagrégation de la famille noire, elles ont néanmoins fini par s’autonomiser par rapport à l’homme noir, souvent victime du chômage et des violences quotidienne de l’État et d’une société raciste. Dans ce sens, alors que pauvres et précarisées, elles ont été, en général, en situation d’indépendance financière par rapport à l’homme noir, assumant le rôle de « chefs de famille », et dans de rares cas, élevant seules leurs enfants et d’autres enfants de la famille élargie.

La rupture des femmes noirs par rapport à l’homme noir, en ce sens, s’était déjà construite dans le cadre de l’exploitation coloniale et raciste. Cette « rupture », cependant, ne s’est pas effectuée principalement sur le plan de la solidarité communautaire, en dépit de l’imaginaire raciste de « la pureté du sang », mais en termes matériels. La solidarité communautaire a toujours été une trace distinctive de la culture noire au Brésil, du fait de l’existence de diverses associations, à partir de la fin de l’esclavage, de l’aide du secours mutuel entre les « hommes et les femmes de couleur ». Nous suggérons, cependant, que l’autonomie matérielle et financière de la femme noire brésilienne a rendue moins problématique la perspective politique en lien avec les hommes noirs dans un contexte dans lequel ceux-ci ne se montraient pas ouverts pour les faire rejoindre les associations et les faire participer à l’élaboration des revendications du mouvement noir. Nous réaffirmons que dans la perspective des intellectuelles activistes du Mouvement des Femmes Noirs brésilien, que cette autonomie politique a été fondamentalement basée sur une logique de solidarité et d’attention à la cause général du Mouvement Noir.

Nous supposons en ce sens, que seul le développement des luttes des communautés indigènes en France pourra répondre au questionnement de savoir si la lutte des femmes indigènes doit se donner une perspective autonome ou si elle doit être subordonnée aux questions générales. A elles et à leurs communauté, toute la force !

URL : http://www.academia.edu/11759129/O_feminismo_descolonial_de_Houria_Bouteldja_e_o_Movimento_de_Mulheres_Negras_brasileiro_algumas_quest%C3%B5es_a_discutir