Je suis actuellement incarcéré comme de nombreuses personnes dans une prison allemande suite au déroulement du G20 dans la ville de Hambourg. Je ne me considère pourtant ni victime d’un bug dans la matrice de la justice ou d’une conspiration, encore moins prisonnier politique ; la prison étant une réalité de ce monde normé qui frappe de nombreuses personnes abattues à la chaîne, quotidiennement par les instances juridiques. Je n’idéalise pas davantage mes camarades ici, moi et les militant(e)s incarcéré(e)s en général, comme une « avant-garde de subversifs en puissance » menaçant de renverser imminemment les rapports sociaux actuels.

A l’échelle carcérale/judiciaire, mon petit cas n’est qu’un fait parmi tant d’autres, auquel je dois m’adapter en l’affrontant, en y faisant face et en déconstruisant un peu cette « culpabilité » qu’ils voudraient me faire avaler. Je n’ai ni fierté ni honte à me retrouver privé de liberté. Mais en tant que concerné, il m’est donné l’occasion de déconstruire le mythe d’une certaine fétichisation de la prison dans les sphères militantes et ainsi la replacer dans un contexte, en associant ma situation à un cadre de répression et d’oppression institué bien plus global qui dirige nos vies.

Il existe bien une répression spécifique touchant les personnes porteuses d’idées, de projets tendant à remettre en question l’ordre social global mais ça ne peut faire figure d’exception quant à l’ordre normal de ce monde, puisque tant d’hommes et de femmes – en très grande majorité les profils sociaux les plus vulnérables (pauvres, non insérés) – sont attaqués et livrés chaque jour dans le plus grand calme à des juges et autres larbins de l’ordre. Ces cas s’inscrivent dans un ensemble, dans une tellement triste et banale continuité d’une répression quotidienne.
La revendication de la liberté des « détenus politiques » ne peut être une finalité : elle ne donne pas à entendre cette continuité dans la mesure où les slogans et les discours sont dénués de contenu critique plus large remettant en cause le système qui produit tout ça. C’est notamment ce que la répression cherche à obtenir : la différenciation avec les autres détenus. Nous n’avons pas la même responsabilité collective que, par exemple, des journalistes corporatistes qui exigeraient la libération d’un des leurs d’une prison dans un pays tiers.

A l’heure où tout ce qui nous entoure est conçu comme outil répressif et de contrôle dans nos sociétés, ces cas n’ont rien de dérives ou d’abus : ils s’inscrivent à vrai dire assez normalement dans ce qu’est l’essence même de la justice, une injustice avec un parti pris. Ce facteur de normalité est important et ne pas rentrer dans le jeu des distinctions initié par la police, la justice et les médias entre les « prisonniers politiques » et ceux de droit commun l’est aussi. En tant qu’individu inquiété et condamné à diverses reprises par la justice, un peu dans un contexte militant mais plus souvent en dehors, il m’apparaît inopportun d’opérer de telles distinctions. Établir un lien entre pourquoi autant de gens sont jetés massivement en prison et les luttes à l’extérieur me semble bien plus pertinent.

Un des objectifs principaux de la répression est d’individualiser les révoltes dans le but de les réduire à quelques personnes ou sous-groupes, d’isoler ces derniers et leur message, de séparer les militants et les « mouvances » entre elles, de les voir s’épuiser dans des feuilletons politiques où il y a vraiment peu à gagner en monopolisant autant d’attention et de force des militants, et du coup, de les éloigner de leurs préoccupations initiales. De plus, la personnification et l’individualisation ne peuvent pas profiter équitablement au niveau solidarité à des victimes communes de la justice dans une même affaire. Quid également des militants moins entourés et plus isolés ?

De même, la question innocent/coupable en place publique n’est pas très importante, c’est le taf des avocats ! Le fait d’en parler nous-mêmes légitime indirectement les lois et le droit de ces États, qui sont les vrais générateurs de la violence avec leurs droits basés sur un système d’asservissement toujours plus propice à la dépossession de nos vies. Nous sommes de fait collectivement coupables de nos idées et des actions qui en émanent.

Certes la prison est une des facettes la plus flagrante et violente de nos sociétés mais le cloisonnement, la séparation et l’enfermement sont dilués plus ou moins subtilement dans l’organisation de nos vies par leur soin et principalement via l’aliénation au travail. Nous vivons déjà dans des prisons sociales où il est difficile de s’extraire du salariat, et lorsque tel est le cas, vous êtes très vite suspectés, coupables.
Beaucoup choisissent l’illégalité par contrainte, beaucoup de bandits sociaux se sont retrouvés enfermés dans ces lieux pour avoir, d’une manière ou d’une autre, essayé d’organiser leur propre vie en refusant la vie de misère, de précarité et de soumission à des chefs qui leur était destinée. C’est principalement cela que la justice condamne, et non les « délits » particuliers pour lesquels on les sanctionne. Ces gens sont condamnés chaque jour parce qu’ils ne correspondent pas aux critères et/ou ne respectent pas les règles prescrites telles des pilules dès l’enfance.

Même s’il y a beaucoup de solidarité en prison, je n’idéalise pas non plus les détenus qui n’échappent pas, pour certains, à la reproduction des mêmes mécanismes de contrôle, de domination et de pouvoir tellement mis en avant dans nos sociétés à l’époque du chacun pour soi : ceux sont eux les premières victimes d’une organisation sociale toujours plus abjecte. Et pourtant, une concentration d’autant de marginaux, d’exclus présents en ces lieux pourrait être potentiellement propice à d’autres possibles, mais la pénitentiaire veille et veillera toujours plus à isoler, séparer et opposer les enfermé(e)s.

Je ne me permettrais pas non plus de minimiser ou de dénigrer les campagnes de solidarité, ce n’est pas mon propos : elles sont essentielles pour les militant(e)s enfermé(e)s, la solidarité coûte énormément en effort et elle est de plus onéreuse. Être soutenu par ses ami(e)s, par des camarades qui se solidarisent sans condition, est important. Un soutien dont je bénéficie et dont je suis entièrement reconnaissant, qui m’est primordial en étant loin des miens et dont j’espère qu’il s’associe à un contexte de conflictualité sociale permanente où les militant(e)s en prison ne seraient pas une exception. D’autant que la solidarité matérielle, morale et affective prend davantage de poids quand la répression qui s’abat dans nos milieux n’isole pas de l’ensemble des rapports d’un système social dont nous sommes bien sûr les parties prenantes. En pratique, ce soutien peut se traduire en n’hésitant pas à filer des sous aux caisses de solidarité permanente de vos villes.

Ils nous dominent et nous gouvernent par la peur mais l’antagonisme, la révolte et la rage se manifestent chaque jour dans bien des lieux. Donnons plus de consistance à la solidarité en ne nous repliant pas sur nous-mêmes, en nous démarquant de ces étiquettes policières et médiatiques qu’on nous attribue, qui nous font croire être une menace alors qu’on ne l’est pas réellement. Ne perpétuons pas ces séparations en nous conformant à la rhétorique et de ces États et de leurs alliés ventriloques : les médias. Nous n’avons rien à y gagner en nous y enfermant. La solidarité reste l’inverse de l’isolement.

Force à tou(te)s mes camarades enfermé(e)s ici, aux « détenus politiques » et tous les autres.
Merci à la Legal Team et à ceux/celles qui soutiennent.

Un détenu parmi d’autres.
Le 15 septembre 2017, Hambourg.