Interdiction contestable en Etat de droit  

Reporters sans Frontières Allemagne critique le procédé employé par le ministère fédéral de l’Intérieur dans son action d’interdiction contre le site web d’extrême-gauche linksunten.indymedia.org en tant que dangereux glissement de l’état de droit. 

« Les appels à la violence sont inacceptables – ils doivent être supprimés et leurs auteurs pénalisés. Mais la liberté de la presse s’applique également aux opposants, même pour des publications difficiles à accepter« , a déclaré Christian Mihr, directeur général de ROG [Reporter sans frontière Allemangne, ndt].  « Il y avait des moyens moins radicaux pour s’attaquer aux contenus en infraction pénale sur linksunten.indymedia. Le fait que le gouvernement fédéral ait complètement interdit un portail journalistique en ligne en utilisant l’argument fallacieux d’un fonctionnement associatif, évitant ainsi un passage par la justice et contournant le droit fondamental à la liberté de la presse, est extrêmement discutable dans un état de droit. Sur le plan international, c’est un signal sérieux qui fournit aux régimes dictatoriaux dans le monde entier un prétexte à imiter les autorités allemandes« . 

Le ministre fédéral de l’Intérieur Thomas de Maizière a interdit l’accès au portail vendredi dernier [25 août, ndt] en ayant recours au Droit des Association, présentant les administrateurs en tant qu’association et justifiant ainsi sa dissolution. Il a expliqué que le portail était «la plate-forme Internet la plus influente pour les extrémistes de gauche en Allemagne». Pendant des années, ils ont utilisé la plate-forme « pour diffuser des contributions avec des contenus criminels et anti-constitutionnels« , y compris des appels à des manifestations violentes et des incitations à des actes de violence, tels que des attaques récentes contre la Deutsche Bahn avant le sommet du G20 à Hambourg. De même, il y aurait eut sur le portail des appels à violence ciblée contre les policiers et les politiques dissidents, et il aurait été publié à plusieurs reprises des instructions pour la réalisation de « cocktails Molotov » et dispositifs incendiares à retardement.

Indépendance radicale d’un réseau mondial pour public alternatif

Linksunten.indymedia est une branche du réseau mondial Indymedia fondé par les opposants à la mondialisation en 1999 en réponse à un sommet mondial du commerce pour apporter une contribution pratique comme média alternatif. Quand un étudiant a été abattu lors du sommet du G8 à Gênes en 2001, les activistes ont recueilli des rapports de témoins, des photographies et des vidéos afin de montrer que les autorités italiennes ont falsifié les événements. Le projet alternatif de gauche s’est étendu à plus de 60 pays. En Allemagne, de.indymedia.org est devenu une plate-forme de discussion pour divers groupes de gauche.  Après un conflit entre les militants de la région du sud de l’Allemagne, Linksunten.indymedia.org s’est séparé comme un portail plus radical. Le nom joue à la fois sur la notion de zone géographique et de gauche radicale. Sur le portail, des militants coordonnés, comme par exemple pour des actions contre le racisme ou des manifestations contre le transports de déchets nucléaires, ont suivi la régénération du groupe politique terroriste d’extrème-droite «Clandestinité national-socialiste» et ont partagé des rapports, des témoignages, des opinions et des analyses. Ils ont également discuté de la mesure dans laquelle la violence est légitime dans la lutte politique contre le capitalisme. Les contributions étaient principalement anonymes, mais selon le ministère fédéral de l’Intérieur, elles étaient modérées par les administrateurs du site.

Les autorités de sécurité cherchent depuis longtemps à contrer le portail

Les pouvoirs publics avaient évidemment le site web depuis longtemps dans le viseur. Dans les  informations parues, il se disait que les milieux de la sécurité estimaient qu’il était difficile de trouver les administrateurs car ceux-ci auraient agi dans la plus grande discrétion.  Il y a eu de nombreuses plaintes pour contenu répréhensible sur le site; mais les procédures n’avaient pas abouti car les auteurs ne pouvaient être identifiés.
Cependant, comme le procédé actuel l’indique, les autorités ont maintenant clairement identifié plusieurs administrateurs présumés du portail. Pourquoi ne leur ont-t-elles pas demandé de supprimer les articles, ou choisi de les poursuivre, plutôt que d’interdire tout le site web?

En rapport avec l’interdiction, la police fouillait un centre culturel autonome à Fribourg et plusieurs appartements. Ce faisant, les ordinateurs et les téléphones portables ont été saisis, personne n’a été arrêté ou mis en garde à vue. Le ministère allemand de l’Intérieur devait ensuite relativiser les informations sur les armes prétendues appartenir aux gestionnaires du site Web : les objets – parmis lesquels des matraques, des couteaux, des pétards, des lance-pierres et un taser – ayant été trouvés dans le centre culturel et non dans les appartements privés. En outre, la possession de ces objets n’est évidemment pas punissable.
Selon les informations fournies par Deutschlandfunk-Hauptstadtstudios, deux des trois prétendus administrateurs de linksunten.indymedia étaient parmi les 32 journalistes privés d’accréditation lors du sommet du G20 à Hambourg. Au moins l’un des deux est connu des autorités de sécurité comme membre de la mouvance d’extrémiste de gauche et pronant la violence, a rapporté l’agence de presse allemande, sans donner de sources.

Les évaluations de sécurité effectuées par l’Office allemand de la police criminelle, qui ont abouti au retrait d’accréditations du G20, se sont révélées entre-temps dans plusieurs cas fausses, ou se basant sur des données  enregistrées illégalement. Ainsi, un photojournaliste a été enregistré dans deux fichiers de contrevenants politiques, bien qu’un tribunal l’ait déjà libéré des accusations correspondantes. Un autre photographe a été pris dans les mêmes fichiers pour des infractions présumées au cours de son activité journalistique en raison de son implication dans des actions non violentes d’un organisme de protection de l’environnement il ya dix ans. Un journaliste de la NDR a été faussement répertorié comme opposant d’etat  en raison d’un changement de nom.

Détournement juridique du droit des associations.

En janvier 2016, le ministère allemand de l’Intérieur avait utilisé un détour juridique sur le droit des associations pour interdire un media dans son action contre le site internet néonazi « Altermedia Deutschland« . Les contributions contenaient des appels par exemple à la violence contre les étrangers et au négationnisme de l’Holocauste;  selon le procureur fédéral, Altermedia a servi «la propagation massive et systématique de la pensée nationale-socialiste et extrémiste de droite». Les deux responsables présumés ont été arrêtées simultanément avec l’interdiction. En décembre, le procureur fédéral a porté plainte contre eux et trois autres, accusés d’incitation la formation d’une organisation criminelle. En mai 2015, le ministre allemand de l’Intérieur a interdit le journal Yürüyüs, une publication du groupe turc DHKP-C, qui avait été interdit en Allemagne depuis 1998 et avait été classé comme terroriste de gauche. Il a été déclaré que la publication avait ouvertement fait la promotion de l’élimination violente de l’état et de l’ordre social existants en Turquie et a également incité à des attentats suicide.

Au classement sur de la liberté de presse de Reporters sans frontières, l’Allemagne occupe le 16ème rang sur 180 pays dans le monde entier.