Chers compagnons, chers militants,

L’AG annuelle des Faucheurs volontaires a eu lieu début juillet. Si on peut se réjouir d’être toujours là après tant de temps (mais cela veut aussi dire que les OGM ne sont toujours pas du passé), je regrette de voir que d’année en année nous nous écartons de plus en plus de nos idéaux fondateurs. D’un mouvement populaire et paysan, nous sommes devenus un petit milieu qui cultive l’entre-soi et amateur de courbettes pour nos petits chefs.

Où est passé le temps du grand mouvement collectif, qui incarnait la société civile ? 2004, 2005, 2006 me paraissent bien loin ! L’ennemi était clair et notre détermination sans faille ! Combien d’entre nous ont reçu des jets de gazeuses des GM, des coups de pioche des agriculteurs à la solde des multinationales ? Couplé aux pneus crevés, aux intimidations judiciaires et aux prélèvements d’ADN, comme si nous étions des délinquants sexuels ou des terroristes ?
Je suis encore glacée par certaines images qui resteront gravées dans ma mémoire : enfants pleurant sous les nuages de lacrymo, personnes âgées bousculées et traînées par les gendarmes, chiens lâchés sur nous sous l’œil complice des forces de « l’ordre », tympans percés et dents cassées par les grenades offensives, qui ont funestement prouvé le danger mortel qu’elles représentaient à Sivens !
Le combat a été dur et pourtant nous n’avons pas flanché, nous avons fait front et nous avons été solidaires ! Nous n’avons pas laissé les copains être embarqués sans réagir ! Quand les procureurs et leurs auxiliaires de l’agrochimie mortifère désignaient leurs victimes, nous avons été comparants volontaires !

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le sens du combat insufflé par des personnes comme Jean-Baptiste Libouban s’est perdu. Si Jean-Baptiste a toujours dit, avec raison, que la cause était plus grande que lui, d’autres se sont accaparés à leur seul profit nos idéaux d’une agriculture, d’une société plus saine et plus humaine.
Quand José Bové, Noël Mamère, Gilles Lemaire font leur beurre de la lutte, sans plus y participer, qu’apportent leurs postures électoralistes face à la nécessité d’agir concrètement ? Censés faire changer les choses de l’intérieur, qu’ont-ils réellement fait ? Ce sont des excuses, ils se sont défilés ! Il a suffi qu’on les menace de confisquer quelques biens matériels pour qu’ils flanchent. Mais, par contre ils étaient tout à fait satisfaits que nous les aidions à payer les amendes ! Quid des sans-grades qui sont laissés à eux-mêmes ? Où on vous explique que c’est votre part du combat de payer seul vos jours-amendes ?
Quand les « compagnons de route », comme Christian Vélot, font encore appel à la générosité de chacun d’entre nous pour financer leurs vendettas personnelles ? Alors qu’ils demandent 30 000 euros de dommages et intérêts ? A quel moment a-t-il été question d’un remboursement des petits qui les ont aidés ? L’argent de ses DVD qu’on a acheté et vendu ne lui suffisait pas ?
Quand ces beaux parleurs viennent témoigner aux procès de ceux qui ont vraiment agi, viennent-ils bénévolement ? En fait, ils n’oublient surtout pas d’envoyer leurs petites notes avec les frais de déplacement et de restaurant. Et nous, quand nous faisons des centaines de kilomètres pour soutenir nos camarades, nous devrions nous aussi envoyer nos factures d’essence ?
Une classe de petits notables, de petits chefs s’est créée, dont la parole est d’or et dont les écrits sont devenus paroles d’évangile. Et ils comptent bien en profiter !

La recherche d’argent est devenue une fin en soi. Précisément ce contre quoi nous avons décidé de nous battre il y a 15 ans ! Les faucheurs volontaires d’OGM sont devenus un produit marketing : qui n’a pas son pin’s, son t-shirt achetés sur le web ou sur un stand ? De la défense d’une agriculture paysanne et authentique, nous sommes devenus les ouvriers d’un biobusiness, sans rapport avec une agriculture biologique qui a un vrai lien avec la terre. Nous marchandons notre image avec Biocoop et compagnie, qui en tirent de juteux profits. Encore d’autres qui exploitent la cause et la dénaturent d’autant plus ! Les faucheurs, complices d’un capitalisme rampant qui a juste changé sa devanture, qui l’eut cru en 2003 sur le plateau du Larzac ?

Mais, il serait injuste de faire reposer toute la responsabilité sur nos petits chefs, ou plutôt nos petits patrons.
Quand certains, faucheurs de fait mais pas de cœur, ne participent plus aux actions que pour arrondir les fins de mois, qu’est-ce que cela dit de nous ? Une photo du fauchage et un article dans le journal du coin et vous recevez votre chèque ! La liste des participants à un fauchage n’est plus un acte pour assumer sa responsabilité, mais une fiche pour pointer et recevoir sa prime !
Quand d’autres remettent en cause jusqu’au principe même de la résistance civique, quel avenir avons-nous ? Agir de nuit, sans revendication, c’est abandonner une lutte légitime pour le simple vandalisme ! Nous le savons tous, nous ne pourrons pas détruire tous les champs, mais nous avons le peuple avec nous : il faut faire fléchir les politiciens ! Ces actions de nuit ne sont que des lâchetés, malheureusement cautionnées par une majorité d’entre nous aujourd’hui, en témoigne celle qui a été préparée pendant l’AG de juillet !
Quand en plus nous fauchons les mauvais champs, cela tourne au pitoyable ! A ma connaissance, deux fois en moins d’un an, des champs ont été fauchés à tort ! Comment pouvons-nous espérer être respectés après cela ?
Les chèques et les actions de nuit pervertissent : qu’importent nos erreurs, tant qu’on est payé et qu’on n’a pas à s’inquiéter des flics ?

Nous faisons fausse route. Il y a un an, Jean-Baptiste nous écrivait pour s’interroger sur l’avenir du mouvement. Au jour d’aujourd’hui, les craintes restent entières. Nous n’avons pas redressé le cap lors de l’AG. La pensée unique des petits chefs s’est imposée et nous agissons sous perfusion de cette pensée dévoyée par l’argent.

Pauvres de nous…