Dans la rue, ça filme le bonhomme, ladite candidate locale – Danièle Obono – et des enfants joyeux qui gravitent autour du tandem de politiciens. Soudain, froncement de sourcils, mine courroucée, le petit père autoproclamé des « gens » n’est visiblement pas content.

Il commence par déclarer, en vrai bonhomme qui a de la poigne – c’est qu’il faut les dresser ces segments méprisés mais convoités sur le marché électoral :

« Vous allez arrêter ça. Arrêtez ça. Arrêtez. » 

Mais en vertu de quoi, petit père autoproclamé des « gens » ? La rue leur appartient autant qu’à toi.

Les caméras, meilleures ennemies du bonhomme, sont toutes braquées sur les agités au teint trop basané. Le petit père autoproclamé des « gens » poursuit :

« Calmez vous. Vous passez pour des barbares après. Ils vous filment, et après on passe pour des sauvages. » 

La candidate locale maintient pendant toute la scène un sourire figé dans le silence, que l’on ne peut regarder sans malaise.

Vous passez pour des barbares. Ils vous filment. On passe pour des sauvages. Enfilade de trois énoncés martelés par trois pronoms : « vous », « ils », « on » – et hop ! tous enrégimentés au service du petit père autoproclamé des « gens ».

1- Vous passez pour des barbares. On aimerait savoir auprès de qui, selon toi, nous passerions pour des barbares ? Auprès du vieux le Pen qui se pâme d’admiration devant tes talents oratoires ? Auprès de ton ami Buisson qui te trouvait plus chrétien que Fillon ? Auprès des médias dont tu as tant besoin pour nourrir ton insoumission ?

2- Ils vous filment. Non, « ils » te filment ; « ils » mettent en scène ta carrière ; « ils » te permettent de récolter ton gagne-pain, à la fois symbolique et matériel.

3- Et après on passe pour des sauvages. Ah pardon, c’est qu’en plus – to add insult to injury, comme on dirait en bon français – la barbarie de ces gosses est contagieuse. Un terrible virus, cette barbarie. Elle attaque les organismes sains des non-barbares (de gauche) pour les faire ensuite « passer pour » des sauvages !

La précaution rhétorique qui consiste à remplacer le verbe « être » par « passer pour » ne devrait pas décevoir ceux qui admirent ton talent oratoire. Tu t’es surpassé !

En attendant, personne n’est dupe. Le choix même de ces mots, petit père autoproclamé des « gens », te permet de classer et dominer ces mêmes « gens », de les altériser. Que tu puisses ainsi parler à des gosses, dont tu sais pertinemment qu’ils ne pourront pas franchement répondre, ni pleinement saisir toutes les nuances des présupposés racistes qui composent les remontrances que tu te permets de leur adresser, est répugnant – et si facile.

Enfin, paternalisme oblige, l’interaction avec les enfants du dix-huitième se termine par une petite leçon :

« Vos parents, ils ne seraient pas contents de vous voir faire ça. D’accord ? » 

Laisse donc leurs parents tranquilles et évite si tu le peux de les instrumentaliser parce que le seul à ne pas être content de les voir « faire ça », c’est toi.

Enfin, la scène mémorable s’achève par un couvre-feu :

« Tout le monde à la maison maintenant. Allez ! A la maison ! ». 

Rompez les rangs ! Mais, petit père autoproclamé des « gens », ces enfants n’ont ni vocation à entrer dans ton armée, ni à t’obéir.

En choisissant d’employer une telle terminologie, Mélenchon offre en définitive une illustration saisissante pour comprendre l’actualité de l’argument de Claude Lévi-Strauss dans l’opuscule Race et histoire :

« Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement (…) Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »

http://lmsi.net/L-homme-de-gauche-qui-croyait-a-la