Après plusieurs années de succès incontestables, les gay prides françaises restent critiquées par une partie de la population, y compris des homosexuels. Pour de nombreuses personnes, cette manifestation, trop caricaturale, esquisse un portrait de l’homosexualité qui ne correspond pas au vécu de milliers d’homosexuels. Sans vouloir condamner de telles opinions, revenons rapidement sur l’histoire des gays prides et tentons d’appréhender les significations qu’apporte cette manifestation. Interrogeons-nous sur ce qui compose la gay pride afin de mieux cerner ses implications sur la place des homosexuels dans la société française, et aussi pour tenter de montrer toute l’importance et l’utilité de cet évènement.

La gay pride trouve son origine dans un épisode de la vie gay américaine qui s’est déroulé le 28 juin 1969 à New-York, plus précisément sur Greenwich avenue. Cette rue abritait alors un bar homosexuel : le Stonewall. Après une période de trois ans sans contrôle de police, ce bar, devenu très visible, fut l’objet d’une visite musclée des forces de l’ordre. Après avoir chassé manu militari les occupants du bar, les policiers ont été pris à partie par la foule qui s’était amassée dans la rue. Ces altercations, parfois violentes, ont provoqué, chez les homosexuels new-yorkais une très vive réaction construisant les bases d’une parole politique qui dénonce les humiliations imposées aux homosexuels. C’est cet événement fondateur que les gay prides américaines commémoreront dès 1970.

De la même façon, les gay prides françaises célèbreront cette première révolte homosexuelle mais seulement à partir des années 80. En effet, en France, une structuration associative et politique s’était mise en place dès les années 70 et était porteuse d’une parole libérationiste. D’ailleurs, les premières gay prides parisiennes se sont davantage transformées en parades commerciales qu’en regroupements à visée politique. Si ces deux dimensions ne sont pas incompatibles, il a fallu attendre le début des années 90 pour que les marches retrouvent une signification forte : celle de la lutte contre le sida. Depuis, ces marches ont trouvé un écho régional. Les associations, en partenariat avec les commerces locaux, se sont considérablement investies pour faire de ces grandes manifestations un moment de visibilité soutenant des revendications claires sur l’égalité entre tous les individus. S’il ne faut pas encenser les enseignes commerciales qui cherchent aussi par ce défilé à gagner en notoriété, c’est bien la convergence des intérêts qui a permis progressivement de faire entendre une autre parole homosexuelle.

De la première gay pride nantaise en 1994 qui a rassemblé, au plus 600 personnes, à la création en 1995 de feue l’association Lesbian and Gay Pride de Nantes, jusqu’aux journées lesbiennes et gays nantaises organisées par le Centre Lesbien et Gay de Nantes qui ont réuni quelque 2 000 personnes, bien du chemin a été parcouru dans les luttes pour une réelle égalité sociale ! Pourtant, malgré toutes les récentes évolutions sur la place et la perception de l’homosexualité dans la société, aussi bien en terme de pratiques que d’identités, des difficultés demeurent, en particulier chez les plus jeunes d’entre nous, au niveau de l’acceptation de soi et de l’intégration sociale. Pour illustrer ce propos, je ne prendrai qu’un exemple, celui du risque de suicide chez de jeunes hommes éprouvant une attirance homosexuelle. Ce risque est, selon les études, 7 à 17 fois plus important pour ces individus, que le risque encouru par ceux qui n’ont pas ces désirs.

Ne serait-ce que pour cette raison, les marches dites de fierté restent importantes. Certes, en investissant l’espace public que représente la rue, les lesbiennes et les gays se donnent à voir, mais en s’exhibant, ils se montrent en tant que groupe et surtout en tant que réalité sociale. Ils rappellent collectivement ce droit d’exister librement qui leur fut si difficile à obtenir. Si cette manifestation peut apparaître en rupture avec un certain ordre social, la médiatisation progressive via la télé et les journaux a permis – et permet encore – à toute une génération de jeunes gays de constater qu’un espace de sociabilité existe.

Au delà de l’exhibition, qui s’inscrit dans la logique de la fête et du carnaval, les jeux de rôles ou les performances des un-e-s et des autres, sont autant de mises en scène qui visent à subvertir l’insulte et l’exclusion. Car derrière la caricature comme derrière la théâtralisation excessive de sa propre personnalité se montrent des formes de résistance face à un ordre hétérosexué. Entre la « folle » qui se joue avec bonheur et humour de tout ce que les hommes doivent cacher et les « butch » qui se parent des attributs de la masculinité pour mieux rejouer les sexualités, des figures ambivalentes et parfois contradictoires donnent à voir dans les gay prides de multiples facettes identitaires. A l’occasion de la gay pride, l’homosexualité peut prendre une dimension plus politique, peut-être subversive, en tous cas identitaire. Malgré le refus par certains d’une appartenance communautaire et identitaire, il faut admettre que la gay pride, en soutenant une expression spatiale, permet une expression sociale qui à son tour supporte des revendications politiques. D’autant plus que la gay pride, malgré sa brièveté, est l’occasion d’organiser une semaine socio-culturelle qui met en relation différents acteurs autour d’un même projet : visibiliser l’homosexualité pour mieux combattre tous ceux qui souhaitent la réduire au silence.

Aussi, parce que la gay pride, dans sa forme actuelle, comporte un intérêt particulier quant à la démarche de visibilité, de cohésion ou encore de dénonciation des formes d’assujettissement, il est important que cette manifestation garde une dimension militante et politique, qui ne doit pas être travestie par la visibilité commerciale. Dans un même temps, les gays et les lesbiennes ne doivent pas succomber à certains diktats identitaires et rester attentifs à toutes les formes d’expressions homosexuelles. A l’heure où les rejoignent les bisexuel-le-s et les transsexuel-le-s, il est important de soutenir un mouvement d’ouverture entre les sexualités afin de favoriser une meilleure compréhension des un-e-s et des autres. Pour conclure, comme l’a très bien écrit J.S Thirard, président de la LGP parisienne de 1991 à 1999, la gay pride, comme d’autres démarches associatives ou commerciales, peut véritablement permettre l’acquisition de droit à la l’indifférence, compris comme accomplissement du droit à la différence.

Pour ceux et celles qui souhaiteraient se divertir un peu ce soir, soirée de gay pride au Lieu Unique avec l’extraordianaire Cosmos Vitteli(Paris)

damien