Ce texte – qui s’intitule dans la version papier « Contre le racisme, restons matérialistes ! », démarche à laquelle j’adhère – est réduit à « un défaut de conception » dans la version mise en ligne le 18 mars, veille de la Marche pour la justice et la dignité à laquelle s’est associée AL parmi de nombreuses autres organisations moins recommandables, comme le Parti des indigènes de la république (PIR) ou l’Union des démocrates musulmans de France (UDMF). La recension du livre était même affichée « à la une » du site d’AL le 19 mars, lui procurant ainsi une plus grande visibilité.

Selon Jean-Yves Lesage, La Fabrique du musulman attaquerait « violemment » AL, viserait l’association Maman toutes égales, reprendrait le concept d’« islamo-gauchistes », se livrerait à « toutes sortes d’amalgames », emploierait une « très policière méthode » et utiliserait un « concept très stalinien ». Si de tels propos avaient été relayés par un autre support, je n’aurais pas pris la peine d’y répondre mais, par égard pour les militants et sympathisants d’AL soucieux de préserver la crédibilité de leur organisation et de leur journal, une mise au point s’imposait.

La Fabrique du musulman mentionne bien quelques textes signés par des militants d’AL. On comprend que je prends mes distances avec certains ou que je souligne l’intérêt d’autres. Par exemple, j’exprime mon désaccord avec l’appel « Libertaires et sans concession contre l’islamophobie », mais j’approuve la réponse du collectif AL de Montpellier. Par ailleurs, je m’interroge sur l’opportunité de promouvoir le féminisme « décolonial » ou « islamique » (Alternative libertaire, novembre 2016). Est-ce de la sorte que j’attaquerais « violemment » AL ?

La Fabrique du musulman ne mentionne pas Maman toutes égales. Il serait donc difficile de « viser » cette association puisqu’il n’en est question que dans l’imagination de Jean-Yves Lesage. Il était donc impossible de présenter Houria Bouteldja comme la « porte-parole » de ce collectif pour tenter son « exécution ». En revanche, on trouve aux pages 48-49 de mon livre l’extrait d’un article qui cite « Houria Bouteldja, animatrice du collectif Une école pour toutes » (Libération, 14 juillet 2004). Il ne s’agit donc ni de la même fonction ni du même groupement et encore moins de la même période.

La Fabrique du musulman utilise à trois ou quatre reprises le qualificatif « islamo-gauchiste », au singulier ou au pluriel, mais toujours entre guillemets. On ne va pas apprendre à un ouvrier du livre [1] les subtilités de la typographie : il s’agit d’une mise à distance ou d’une citation. Pour ce dernier cas de figure, je l’ai notamment utilisé en page 12 en citant Alain Gresh qui, dans un entretien, déclare accepter de se définir comme « islamo-gauchiste » (Ballast, 1er novembre 2016). Jean-Yves Lesage pourra toujours dire à l’interlocuteur de Tariq Ramadan qu’il s’agit là d’un « concept confus ».

Je laisse aux militants et sympathisants d’AL – à commencer par ceux qui ont lu ou liront La Fabrique du musulman – le soin de déterminer s’il est opportun de parler d’« amalgames » de toutes sortes, de méthode « très policière » ou de concept « très stalinien ». Jean-Yves Lesage a le droit d’exprimer ses inévitables divergences mais il le fait en des termes bien moins respectueux que lorsqu’il parle du PIR, grâce à qui, selon lui, « des thèmes de réflexions indispensables ont été introduits dans le débat public en France ». Là réside notre désaccord… mais critiquer ne veut point dire calomnier.

La Fabrique du musulman a été écrit sans ignorer les tensions qui traversent les différentes tendances du mouvement révolutionnaire. L’essai défend un point de vue que l’on est en droit d’apprécier ou non. Toute critique est la bienvenue à condition de s’appuyer sur sa lecture effective et de ne pas en dénaturer volontairement le sens. Car l’article de Jean-Yves Lesage prouve qu’il n’a pas lu attentivement le livre dont il s’autorise à parler avec autant d’autorité et de condescendance. C’est surtout dommage pour lui, son organisation et son journal dont je salue les lecteurs.

Nedjib Sidi Moussa, le 19 mars 2017

Réponse de Jean-Yves Lesage

Il y a deux sortes de « droits de réponse ». Ceux qui demandent la correction d’erreurs précises, ceux qui relancent un débat de fond. Nous publions l’intégralité du droit de réponse de l’auteur. Il pointe une erreur, je la reconnais. Emporté par mon agacement, je n’ai pas fait de seconde lecture du livre et ma mémoire a confondu « Mamans toutes égales » avec « Une école pour toutes ». Dont acte.

Une fois l’erreur corrigée, nous aurions aimé que l’auteur profite de sa liberté d’expression pour nous donner un avis sur l’exclusion des mamans voilées de l’accompagnement des sorties scolaires. Mais non. Voilà un droit de réponse aussi creux que le livre.

Si nous avons cru utile de produire une critique de l’ouvrage, c’est uniquement parce qu’on aime bien les éditions Libertalia et parce qu’AL était plusieurs fois mise en cause, ce qui nous imposait une forme de réponse. Car pour ce qui est du fond, celles et ceux qui ont envie de lire un brûlot contre le PIR, (brûlot qui règle de surcroît des comptes avec Eric Hazan, La Fabrique et le Comité invisible) liront plutôt La race comme si vous y étiez. Une soirée de printemps chez les racialistes. Ce livre dresse aussi un procès outrancièrement unilatéral, mais au moins il est précis et sérieusement construit.

Le mouvement ouvrier est profondément clivé par les débats autour de l’islamophobie. Chaque organisation connaît ses extrémistes de chaque bord dont les excès empêchent généralement un débat serein et une position raisonnable. Oui, AL a participé à la marche du 19 mars. Nedjib l’évoque sans même dire s’il fallait ou pas boycotter à cause de la présence du PIR… Oui, AL est pour l’auto-organisation des luttes (ndt : avec des islamo-fascistes !). Comme nous comprenons l’intérêt de réunions et d’actions non mixtes lorsque les femmes le souhaitent, nous comprenons ques les homos, les Noirs, les musulmans, etc. se retrouvent entre eux pour réfléchir et s’organiser contre les discriminations qu’ils et elles subissent. Nedjib, lui, s’interroge… Il aurait sans doute mieux fait d’avoir des certitudes avant de publier un livre.

 

http://www.alternativelibertaire.org/?Droit-de-reponse-La-Fabrique-du-musulman-une-publicite-gratuite-mais-mensongere

 

Notes

[1] profession de Jean-Yves Lesage, NDLR