une communauté sans avenir ?

Nous constatons le manque criant de perspectives politiques des luttes universitaires de ces dernières années. Souvent dictées par l’agenda des réformes gouvernementales, elles se limitent principalement à demander plus (ou une répartition différente) de moyens. Le monde de la recherche reste ainsi convaincu de son rôle central dans les « défis sociétaux » à venir, alors qu’il est à nos yeux beaucoup plus un problème qu’une solution. Au contraire pour nous, son système sous-jacent de pensée morcelle dangereusement le réel, et doit donc être attaqué. Par extension, l’ESR en tant que communauté s’est totalement désagrégé, condamnant souvent l’ensemble de ses personnels au mieux à une résignation indifférente, au pire à une concurrence revendiquée.

Nous soulignons la nécessité de reconnaître notre responsabilité active ou notre servitude volontaire dans le monde gestionnaire qui s’est mis en place, d’abord à l’extérieur puis à l’intérieur des universités. D’autre part, il nous parait important de poursuivre les réflexions pré-existantes sur les mythes de neutralité de la recherche, d’indépendance de l’esprit et d’universalité des connaissances produites. Enfin, il nous semble indispensable de réaliser un inventaire critique de notre part de responsabilité dans l’avènement d’un monde où l’aéroport est considéré comme un progrès nécessaire et désirable.

La question de la démission

Une conclusion radicale, comme certain.e.s l’ont déjà suggéré, est la démission pure et simple. Elle pose évidemment deux questions. D’abord, il y a très simplement la question de notre subsistance et de notre « reconversion » (notamment à cause de notre supposée hyper-spécialisation). D’autre part, malgré l’état de délabrement avancé de l’ESR, il y a en nous ces parts de curiosité dévorante ; de plaisir au débat intellectuel ; de créativité ;d’attachement à une certaine forme de rigueur et de raisonnement ; ou encore à la transmission de savoirs…auxquels nous tenons. Or, il nous est difficile de les concevoir en dehors du monde académique.

Ces deux aspects provoquent un mélange de peurs légitimes mais aussi, sans doute, d’ego et de vanité attisés par un système exhortant au carriérisme et à la compétition de toute.tes contre tou.te.s. Il suffirait pourtant d’enlever nos œillères pour vite nous rendre compte qu’il est possible d’assouvir tout cela autrement et.ou ailleurs. Ainsi, nous pensons que la question est plutôt de penser collectivement des horizons politiques désirables. 

Dès lors, une ligne de front se dessine, des complicités s’établissent : le choix de rester ou de s’extraire du milieu devient d’ordre stratégique, de nouvelles pratiques apparaissent, et un des enjeux devient de doter notre lutte de moyens de subsistance. Bref, il faut nous organiser.

Accroître nos critiques et nos questionnements

Pour comprendre comment nous en sommes arrivé.e.s là et quels sont les projets politiques à la manœuvre, nous bénéficions d’un héritage riche, critique des idéologies telles que celles de l’innovation et de l’excellence ; de l’économie de la connaissance et du savoir ; du rôle des experts et de l’hyper-spécialisation des chercheur.e.s ; de la vaste question de l’éducation et sa nécessité ; plus globalement, de la stérilisation de l’imaginaire induite par et au service du capitalisme néo-libéral. D’autres ont aussi amplement documenté les aspects totalisants du « complexe technoscientifique », et certain.e.s s’efforcent d’y trouver des portes dérobées favorables au hacking et au détournement.

Nous souhaitons investir et étendre cette base critique afin de questionner radicalement, et pratiquement, notre rôle social, et d’éveiller notre potentiel créateur. Et s’il faut d’abord ramasser des patates le matin pour ensuite agir-réfléchir (le ventre plein) l’après-midi, et bien, nous en sommes !

S’enraciner face au rouleau compresseur gestionnaire

Dans ce que la Z.A.D. nous propose, nous retenons la nécessité de lier les différents aspects de notre existence et de retrouver un rapport sensible au monde. La logique gestionnaire s’évertue à nous séparer de nous-mêmes et des autres  ; elle reconfigure sans cesse notre environnement, elle nous déracine. Face à elle et face à ce flux incessant, nous devons nous trouver, nous lier et agir collectivement. Il s’agit de sortir de la compromission, du cynisme désabusé, ou de l’autoflagellation individuelle. Alors nous pourrons expérimenter et développer des pratiques, un rapport aux savoirs et à la technique et un plaisir intellectuel renouvelés. S’il apparaît qu’il n’y a plus grand chose à préserver, il y a beaucoup à construire.

Nos envies

Nous savons bien qu’il est probable que l’emploi du temps de celleux à qui ce texte fera écho soit plus que chargé, que le temps manque, que des épaules se lèvent et se disent « à quoi bon ? ». Pourtant, nous sommes persuadé.e.s qu’il y a tant de choses à se dire, tant de choses murmurées et complotées qui ne s’invitent même plus à la pause café. Nous proposons simplement, dans un premier temps, de nous rencontrer pour discuter autour de ce texte, de nos peurs et surtout de nos envies.

Limiter notre collectif à des chercheur.euse.s nous priverait sans doute d’une critique externe trop précieuse. Toute personne est donc invitée à nous rejoindre ou à diffuser cette initiative.

Pour répondre à cet appel, vous pouvez nous écrire à l’adresse suivante :

lutteetrecherche@riseup.net

 

Des enseignant.e.s et.ou chercheur.euse.s, permanent.e.s et.ou précaires, nantais.es