Cependant, plusieurs mois ont passé depuis la fin du mouvement, et la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui n’est pas banale puisque mon incarcération et celle d’autres camarades sont utilisées pour pétrifier celles et ceux qui osent se mobiliser contre les violences institutionnelles.
En plus d’être appliquée pour dissuader tous ceux qui voudraient dénoncer les injustices du système dans lequel nous vivons, la détention provisoire est ici un moyen de pression sur mes amis et moi-même, pour nous attaquer et nous diviser, pour briser nos luttes et nos solidarités.

Mon frère a lui aussi vécu cette injustice en restant incarcéré 42 jours à Fleury, sans aucun autre motif que celui d’avoir été présent à une manifestation.

Qu’on ne s’y trompe pas, il faut bien justifier ma détention, justifier les paroles et les discours des ministres qui certifiaient avoir arrêté les coupables, les fameux « cerveaux du mouvement », ceux qui portent la « haine contre la république et la nation », les fichés S pour leur appartenance aux mouvances révolutionnaires, autonomes ou antifascistes !

Parmi les 8 personnes mises en examen dans l’affaire du quai Valmy, nous sommes 4 incarcérés et plus encore en comptant ceux qui sont ou ont été emprisonnés suite au mouvement social. Les prisonniers du mouvement ne sont pas détenus seulement pour avoir manifesté, pour avoir contesté la loi travail, pour avoir dénoncé les violences policières, mais bien pour nous empêcher d’agir, nous empêcher de poursuivre nos luttes. Nous sommes en prison, au même titre que tous ceux qui ont été victimes de la répression, des salariés d’Air France aux Goodyear, des manifestants tabassés aux militants assignés à résidence, parce que nous contestons des institutions répressives au bord de la faillite démocratique.

Depuis ce 2 juin 2016, 9 mois exactement se sont écoulés et j’ai passé 272 jours et 272 nuits enfermé au bâtiment D2 de Fleury Mérogis, bâtiment de près de 900 détenus sur les 4000 prisonniers et prisonnières de la maison d’arrêt. 900 hommes présumés innocents, en attente de la clôture de l’instruction de leurs dossiers, d’une date pour leur jugement ou leur appel, dans un contexte de surpopulation carcérale encore jamais égalé à ce jour.
On nous dit de plus en plus nombreux dans cette situation, qui devrait théoriquement être l’exception, puisqu’en France la présomption d’innocence se veut être la règle.
Une présomption d’innocence maintenant totalement piétinée par des juges et un gouvernement aux abois, pensant conjurer la catastrophe et les temps sombres qui s’annoncent, pensant conjurer l’état de déliquescence de leur police.

Une peine qui châtie toujours les mêmes : les pauvres, les jeunes des quartiers populaires pour la plupart, victimes d’un système qui les dépasse, qui pèse chaque jour un peu plus sur leur vie et qui les contraint à choisir entre illégalisme et précarité.
Mais elle châtie aussi tous ceux qui se soulèvent, les enfants d’Aulnay révoltés par le viol infligé à Théo par des policiers il y a quelques semaines à peine, Bagui qui ne cherche que justice et vérité pour Adama son frère assassiné par les forces de l’ordre, et tous ceux dont on ne parle pas et tous ceux qui comme nous, refusent de rester passifs face aux inégalités, à la domination et aux violences d’Etat.

Nous subissons ici une peine avant la peine, avant la « vraie » fixée au procès, avant le jugement définitif pour lequel les juges déterminent le nombre de mois ou d’années qu’un individu ayant enfreint la loi, doit purger avant de retrouver sa liberté. Une peine de de plus en plus longue, dans un contexte sécuritaire renforcé qui provoque l’engorgement total des tribunaux.

Chaque jour nous voyons arriver des dizaines d’hommes qui viennent rejoindre les rangs de ceux qui pourrissent ici depuis des mois, des années, entassés les uns sur les autres, jetés sur des matelas à même le sol, à 2 ou 3 dans des cellules individuelles de 8m².

Nous attendons ainsi nos 2 heures de promenade quotidienne, passant 22 heures sur 24 séquestrés dans nos cellules, à se battre contre l’ennui et l’état de léthargie imposés par des heures de télévision et une position allongée quasi permanente. Alors il faut lire, dialoguer, faire du sport et rester actif pour ne pas être broyé par la meule.

Pour les plus chanceux d’entre nous, ceux qui ne sont pas isolés et qui bénéficient du soutien de leurs proches, nous profitons des parloirs jusqu’à 3 fois par semaine, pour 45 minutes, ce qui nous permet de garder la tête hors de l’eau et d’entretenir des contacts réguliers avec l’extérieur.
On sort enfin plus régulièrement de sa cellule aux termes de plusieurs longs mois inscrit sur une liste d’attente « à rallonge », avec le travail, le sport ou l’accès à l’école. Quelques heures de répit arrachées à sa cellule, éparpillées sur l’ensemble de la semaine…

Mais ne soyons pas dupes, toutes ces activités, ces infrastructures, ces projets que présente régulièrement l’administration pénitentiaire à ces contrôleurs ou les personnes qui viennent visiter la maison d’arrêt, ne reflètent en rien la réalité carcérale.
Ce sont des leurres, pour masquer l’inutilité et la réalité totalitaire de cette institution. Les mêmes qui parlent de réinsertion sont les acteurs du système qui désintègrent la vie des « candidats à l’enfermement », celle de leur famille, de leurs proches, celle de toutes les femmes et les hommes qui peuplent ce monde hors du monde, ce monde injuste dans lequel les inégalités sont reproduites et démultipliées, toujours à l’encontre des plus faibles, des plus démunis.
Posez la question de la réinsertion à un détenu et il vous rira au nez, vous ressentirez la colère qui gronde dans le cœur de celles et ceux qui sont enfermés, et la fatalité qui s’abat sur ces derniers, pour qui, les aller-retour en prison sont devenus la norme, qui savent qu’une incarcération en annonce bien souvent une autre.
Lettre d’Antonin, lue le 2 mars à la journée de soutien de l’université de Nanterre

Aujourd’hui, ce jeudi 2 mars 2017, cela fait 9 mois jour pour jour que je suis en détention provisoire à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis.
Vous êtes nombreux et nombreuses à connaitre les raisons de mon arrestation et de mon incarcération au mois de mai dernier, pour des faits advenus dans le cadre d’une manifestation contre les violences policières qui se déroulaient en plein mouvement social. Nous étions nombreux et nombreuses à être victimes de la répression qui touchait celles et ceux qui manifestaient leur colère face à la loi travail, et son monde.

Cependant, plusieurs mois ont passé depuis la fin du mouvement, et la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui n’est pas banale puisque mon incarcération et celle d’autres camarades sont utilisées pour pétrifier celles et ceux qui osent se mobiliser contre les violences institutionnelles.
En plus d’être appliquée pour dissuader tous ceux qui voudraient dénoncer les injustices du système dans lequel nous vivons, la détention provisoire est ici un moyen de pression sur mes amis et moi-même, pour nous attaquer et nous diviser, pour briser nos luttes et nos solidarités.

Mon frère a lui aussi vécu cette injustice en restant incarcéré 42 jours à Fleury, sans aucun autre motif que celui d’avoir été présent à une manifestation.

Qu’on ne s’y trompe pas, il faut bien justifier ma détention, justifier les paroles et les discours des ministres qui certifiaient avoir arrêté les coupables, les fameux « cerveaux du mouvement », ceux qui portent la « haine contre la république et la nation », les fichés S pour leur appartenance aux mouvances révolutionnaires, autonomes ou antifascistes !

Parmi les 8 personnes mises en examen dans l’affaire du quai Valmy, nous sommes 4 incarcérés et plus encore en comptant ceux qui sont ou ont été emprisonnés suite au mouvement social. Les prisonniers du mouvement ne sont pas détenus seulement pour avoir manifesté, pour avoir contesté la loi travail, pour avoir dénoncé les violences policières, mais bien pour nous empêcher d’agir, nous empêcher de poursuivre nos luttes. Nous sommes en prison, au même titre que tous ceux qui ont été victimes de la répression, des salariés d’Air France aux Goodyear, des manifestants tabassés aux militants assignés à résidence, parce que nous contestons des institutions répressives au bord de la faillite démocratique.

Depuis ce 2 juin 2016, 9 mois exactement se sont écoulés et j’ai passé 272 jours et 272 nuits enfermé au bâtiment D2 de Fleury Mérogis, bâtiment de près de 900 détenus sur les 4000 prisonniers et prisonnières de la maison d’arrêt. 900 hommes présumés innocents, en attente de la clôture de l’instruction de leurs dossiers, d’une date pour leur jugement ou leur appel, dans un contexte de surpopulation carcérale encore jamais égalé à ce jour.
On nous dit de plus en plus nombreux dans cette situation, qui devrait théoriquement être l’exception, puisqu’en France la présomption d’innocence se veut être la règle.
Une présomption d’innocence maintenant totalement piétinée par des juges et un gouvernement aux abois, pensant conjurer la catastrophe et les temps sombres qui s’annoncent, pensant conjurer l’état de déliquescence de leur police.

Une peine qui châtie toujours les mêmes : les pauvres, les jeunes des quartiers populaires pour la plupart, victimes d’un système qui les dépasse, qui pèse chaque jour un peu plus sur leur vie et qui les contraint à choisir entre illégalisme et précarité.
Mais elle châtie aussi tous ceux qui se soulèvent, les enfants d’Aulnay révoltés par le viol infligé à Théo par des policiers il y a quelques semaines à peine, Bagui qui ne cherche que justice et vérité pour Adama son frère assassiné par les forces de l’ordre, et tous ceux dont on ne parle pas et tous ceux qui comme nous, refusent de rester passifs face aux inégalités, à la domination et aux violences d’Etat.

Nous subissons ici une peine avant la peine, avant la « vraie » fixée au procès, avant le jugement définitif pour lequel les juges déterminent le nombre de mois ou d’années qu’un individu ayant enfreint la loi, doit purger avant de retrouver sa liberté. Une peine de de plus en plus longue, dans un contexte sécuritaire renforcé qui provoque l’engorgement total des tribunaux.

Chaque jour nous voyons arriver des dizaines d’hommes qui viennent rejoindre les rangs de ceux qui pourrissent ici depuis des mois, des années, entassés les uns sur les autres, jetés sur des matelas à même le sol, à 2 ou 3 dans des cellules individuelles de 8m².

Nous attendons ainsi nos 2 heures de promenade quotidienne, passant 22 heures sur 24 séquestrés dans nos cellules, à se battre contre l’ennui et l’état de léthargie imposés par des heures de télévision et une position allongée quasi permanente. Alors il faut lire, dialoguer, faire du sport et rester actif pour ne pas être broyé par la meule.

Pour les plus chanceux d’entre nous, ceux qui ne sont pas isolés et qui bénéficient du soutien de leurs proches, nous profitons des parloirs jusqu’à 3 fois par semaine, pour 45 minutes, ce qui nous permet de garder la tête hors de l’eau et d’entretenir des contacts réguliers avec l’extérieur.
On sort enfin plus régulièrement de sa cellule aux termes de plusieurs longs mois inscrit sur une liste d’attente « à rallonge », avec le travail, le sport ou l’accès à l’école. Quelques heures de répit arrachées à sa cellule, éparpillées sur l’ensemble de la semaine…

Mais ne soyons pas dupes, toutes ces activités, ces infrastructures, ces projets que présente régulièrement l’administration pénitentiaire à ces contrôleurs ou les personnes qui viennent visiter la maison d’arrêt, ne reflètent en rien la réalité carcérale.
Ce sont des leurres, pour masquer l’inutilité et la réalité totalitaire de cette institution. Les mêmes qui parlent de réinsertion sont les acteurs du système qui désintègrent la vie des « candidats à l’enfermement », celle de leur famille, de leurs proches, celle de toutes les femmes et les hommes qui peuplent ce monde hors du monde, ce monde injuste dans lequel les inégalités sont reproduites et démultipliées, toujours à l’encontre des plus faibles, des plus démunis.
Posez la question de la réinsertion à un détenu et il vous rira au nez, vous ressentirez la colère qui gronde dans le cœur de celles et ceux qui sont enfermés, et la fatalité qui s’abat sur ces derniers, pour qui, les aller-retour en prison sont devenus la norme, qui savent qu’une incarcération en annonce bien souvent une autre.

Je voudrais terminer ce texte par des remerciements et quelques perspectives.

Tout d’abord remercier mes professeurs, et tous les travailleurs de l’université qui m’ont soutenu et qui m’ont permis de poursuivre mes études de sociologie, qui me passionnent et qui rythment ma détention, grâce aux nombreux cours que viennent me donner les professeurs de l’UFR de socio chaque semaine depuis de nombreux mois, et sans qui la tenue de cette journée n’aurait pas été possible.

Remercier les étudiants de Nanterre, qui m’écrivent régulièrement et me tiennent informé de la vie sur le campus et leurs actions de solidarité.

Remercier les nombreux intervenants qui ont fait le déplacement aujourd’hui. Je n’ai qu’un seul regret c’est de ne pouvoir être présent pour écouter vos interventions qui s’annoncent des plus passionnantes.

Remercier aussi ma famille, qui s’est énormément investie sur l’organisation de cette journée, et qui m’accompagne à chaque instant dans cette terrible épreuve, malgré le poids et la douleur que connaissent toutes les familles de prisonniers.

Remercier les camarades présents et tous ceux qui n’ont pas pu venir, qui font vivre force et espoir en moi, à travers nos luttes qui continuent et qui continueront quoiqu’il arrive.

Enfin je tiens à remercier toutes les personnes qui ont fait le déplacement, qui sont venues assister à cette journée en soutien ou par pur intérêt.

A travers cette journée de discussions et toutes les journées d’action qui je l’espère suivront, nous devrons faire bloc et nous battre contre la répression et contre la criminalisation des luttes, mais également poser la question de la prison, à placer au cœur des combats qui sont menés maintenant, car elle a trop souvent été oubliée ou évitée par bons nombres d’acteurs des luttes sociales d’aujourd’hui.

Libérons les prisonniers du mouvement, et tous les autres.

 

Fleury Mérogis, le 26 janvier 2017
Je voudrais terminer ce texte par des remerciements et quelques perspectives.

Tout d’abord remercier mes professeurs, et tous les travailleurs de l’université qui m’ont soutenu et qui m’ont permis de poursuivre mes études de sociologie, qui me passionnent et qui rythment ma détention, grâce aux nombreux cours que viennent me donner les professeurs de l’UFR de socio chaque semaine depuis de nombreux mois, et sans qui la tenue de cette journée n’aurait pas été possible.

Remercier les étudiants de Nanterre, qui m’écrivent régulièrement et me tiennent informé de la vie sur le campus et leurs actions de solidarité.

Remercier les nombreux intervenants qui ont fait le déplacement aujourd’hui. Je n’ai qu’un seul regret c’est de ne pouvoir être présent pour écouter vos interventions qui s’annoncent des plus passionnantes.

Remercier aussi ma famille, qui s’est énormément investie sur l’organisation de cette journée, et qui m’accompagne à chaque instant dans cette terrible épreuve, malgré le poids et la douleur que connaissent toutes les familles de prisonniers.

Remercier les camarades présents et tous ceux qui n’ont pas pu venir, qui font vivre force et espoir en moi, à travers nos luttes qui continuent et qui continueront quoiqu’il arrive.

Enfin je tiens à remercier toutes les personnes qui ont fait le déplacement, qui sont venues assister à cette journée en soutien ou par pur intérêt.

A travers cette journée de discussions et toutes les journées d’action qui je l’espère suivront, nous devrons faire bloc et nous battre contre la répression et contre la criminalisation des luttes, mais également poser la question de la prison, à placer au cœur des combats qui sont menés maintenant, car elle a trop souvent été oubliée ou évitée par bons nombres d’acteurs des luttes sociales d’aujourd’hui.

Libérons les prisonniers du mouvement, et tous les autres.

 

Fleury Mérogis, le 26 janvier 2017