A Caen, l’année 2017 a commencé

Le 30 janvier à Caen, la Présidence de l’Université a décidé d’invité une « communauté » universitaire à venir célébrer le projet de rénovation du bâtiment lettres de l’Université. Cette rénovation implique le déménagement de l’UFR des sciences humaines et sociales et la fermeture de la bibliothèque universitaire des sciences de l’homme. Dans le même mouvement, c’est un programme de dématérialisation des cours qui est félicité, mais également l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques mettant à mal les conditions de travail et d’emploi des personnels.

A Caen, quelques personnes ont décidé d’agir. Et, contre toute attente, plus de 150 personnes ont foncé sur la salle Aula Magna, un grand hall qui donne accès à l’amphi Daure où s’était réunie la crème de la crème. Les étudiants et personnels ont tenté de rentrer. Le Président s’est fait chahuter ainsi que ces généraux de pacotilles. La foule a décidé de rester dans cette salle où devait se tenir le pot célébrant la mise au travail sur des horaires étendus, l’assassinat de l’histoire du bâtiment lettres duquel ont jailli tant de combats, le plaisir de se retrouver autour de l’acte de dire « non ».

Etonnant ? Pas tant que ça. Le printemps 2016 a pris à revers toutes les analyses et les prévisions des gouvernants. Partout en France, des foules se sont réunies pour dire non. Non à la loi « travaille ! », mais pas seulement. Non, aussi, à l’idée que l’Etat, par une économie de la peur, pouvait encager les désirs de révoltes. Qu’il pouvait, dans les métropoles, par le quadrillage policier, nous déposséder de la rue, de nos places. Que quelques bureaucrates locaux pouvaient encadrer une contestation aux contours plus larges qu’un combat syndical. Et il a échoué, en cela. Et même l’envoi de la flicaille sur le campus de l’université de Caen n’a pas pu nous faire taire. Au contraire, nous en avons appris une chose : les militants du maintien de l’ordre, à l’université comme ailleurs, ont déclaré une guerre sans zones franches. Les campus ne sont plus sûrs pour nous, ils ne le seront pas non plus pour eux.

Nous n’avons pas fait retirer cette loi. Pour autant, nous n’avons pas échoué. Notre réussite tient au fait que nous avons su montrer, dans un contexte d’Etat d’urgence, de répression massive, de délégitimation absurde par les croque-morts de l’information, que nous ne sommes pas réduits à déléguer le pouvoir. Le mythe de leur démocratie a montré ses limites. Si nous sommes en mesure de déléguer le pouvoir, d’être gouverné-e-s, nous ne sommes pas que cela. Nous sommes également ingouvernables.

Les formes auto-organisées ont quant à elles montrées leur puissance. Des Assemblées intercatégorielles, aux coordinations diverses, nombreuses furent nos expériences victorieuses du combat contre la captation de notre force par les bureaucraties syndicales. Les alliances spontanées et les rencontres d’anonymes au cœur des cortèges ont également montré notre faculté à déterminer un ennemi commun que tout le monde déteste. Tout le monde, tous ceux de notre monde, celui qui succèdera au leur.

Vient aujourd’hui le sempiternel rituel. Voter ou ne pas voter, telle n’est pas la question. Ce serait déjà reconnaître leurs règles du jeu. Et nous jouons un jeu tout autre, un jeu d’une autre échelle. C’est ici et maintenant, au cœur de nos communautés de luttes qu’il nous faut élargir que se décide le devenir du monde. Nous sommes déjà les vainqueurs de ces élections, immunisés contre la Peste et le Choléra. Peu importe qui est élu, nous sommes ingouvernables. A la fac, comme ailleurs, nous sommes ingouvernables.

Mais nous sommes bien décidés à leur faire entendre que leur rituel deviendra notre fête et le point de convergence qui inscrit cette expérience du refus dans une continuité, à toute occasion qu’il nous offrirons. Il n’y aura pas de négociations à l’Université, pas plus qu’il n’y aura d’élections en 2017, mais l’anniversaire d’une génération, une génération ingouvernable.

Caen ingouvernable.