Que l’on essaie de se voiler la face ou que l’on fasse simplement comme la majorité des gens, cela ne change rien à la réalité sociale : on ne peut pas faire comme si l’esclavage salarié et la consommation ne signifiaient pas notre exploitation et la dépossession de nos vies. À moins d’être une pourriture de riche, on ne peut pas payer et être heureux en même temps. L’argent n’est jamais nôtre, il est et sera toujours un moyen pour les dominant-e-s de nous tenir en laisse et de nous racketter légalement.

Si les arguments humanistes de soi-disant « convivialité », « partage » et autres « chaleureuses retrouvailles » ne prennent pas, c’est aussi que dans le cadre des « fêtes de fin d’année », il est impossible de dissocier ce qu’il y a de narcotique ou hypocrite, de l’accentuation de la violence de l’État : déploiement d’effectifs de police et de gendarmes supplémentaires, détachement de militaires en mission Vigipirate, collaboration étroite avec les professionnels, du commerce de proximité aux grands centres commerciaux en passant par les transports en commun, les bailleurs, propriétaires et autres citoyens-flics, etc.

Bref : Pas de fin ni de répit à la soumission et l’exploitation quotidiennes. Pas de trêve dans le flicage et la suspicion de nos existences. Pas de cadeaux dans la société-prison.

Alors… bonne fête à toi patron-ne, qui me jettera dès que je ne te serais plus rentable ? Bonne année à toi flic, brute en uniforme qui continuera à nous soumettre et à nous assassiner au nom des puissant-e-s et des lois ? Meilleurs vœux à vous propriétaires et marchand-e-s, qui vous enrichirez toujours plus sur nos élémentaires besoins de toit et de nourriture ?

Ils nous contraignent à des non-vies, ou simplement nous tuent, et nous irions fêter… le passage d’une année à une énième de misère sociale ? Ou plus cyniquement, nous irions (nous) oublier le temps d’une fausse joie pour, après l’opium et les grimaces diplomatiques, nous rejeter de plus belle dans la violence familière et morne du quotidien ?

Nous ferons la fête… oui. Nous ferons la fête lorsque prisons et entreprises, drapeaux et monnaies, banques et frontières, tribunaux et palais, écoles et uniformes ne seront plus que ruines, cendres fumantes et mauvais souvenirs… lorsqu’auront disparu le patron et le commerçant qui exploitent nos besoins et écartèlent nos vies selon les exigences de leur économie, qu’ils la nomment locale, sociale, verte ou équitable ;

Lorsque chacun-e ne verra plus que l’infâmie dans le flic, ce salarié terroriste larbin de n’importe quel État ;

Lorsqu’on aura fait bouffer ses agios au dernier banquier, ce vautour et prêtre sacrificateur de l’argent, ce sang du capitalisme ;

Lorsque ne seront plus empoisonnés notre conscience et notre esprit par le journaliste, ce faux critique et vrai SALE collabo’ des flics ;

Lorsque n’existera plus pour formater les enfants et les empêcher d’apprendre et de s’épanouir selon leurs envies, le prof qui inculque l’obéissance et la docilité ;

Lorsque nous aurons décidé de régler nos conflits nous-mêmes, et que nous aurons réglé son compte au juge, ce despote sénile, croque-mort sadique, lâche destructeur de tant de vies et de liens qui n’a jamais fait qu’affirmer la suprématie de l’Etat ;

Lorsqu’aura été chassé à coups de pieds au cul de nos vies et de nos envies, le dernier politicien, quel qu’il/elle soit, artisan du mensonge et de l’hypocrisie, palabreur ennuyeux et traître de toutes les espérances de dignité parce que tout chef est ennemi à jamais de l’émancipation humaine ;

Lorsque il n’y aura plus d’officier qui commande le meurtre parce que plus aucun soldat qui lui obéira ;

Lorsqu’il n’y aura plus de député qui fasse la loi parce que plus le moindre électeur qui fasse le député ;

Lorsque ceux qui ne sont jamais allés au paradis et qui le vendent ou qui l’imposent à d’autres qui n’y iront jamais, ne seront plus qu’un poux ou un frisson de l’Histoire dans notre appréciation de ce que la seule vie dont nous soyons sûrs, celle avant la mort, peut avoir de magnifique mais aussi de terrible.

Voilà pour les vœux et les politesses. Disons-le tranquillement, nous avons bien mieux à fêter que la naissance du crapaud ou la péremption d’un calendrier, bien mieux à nous souhaiter et à nous offrir que « la santé » (dans la servitude), une « carrière » (insignifiante ou épuisante) ou un grille-pain multifonction… Nous souhaitons célébrer la fin de ce monde, la fin d’une ère, et donc la faire advenir. N’importe quel jour fera l’affaire.

Pour une vie belle et féconde,

Que crève le meilleur des mondes !

 

Edito de Paris sous tension n°8 (janvier 2017), consultable en intégralité ici.