A l’occasion du 23e sommet franco-italien qui s’est déroulé à l’Elysée le 2 juillet dernier, le président de la République, Jacques Chirac s’est exprimé sur les menaces d’extradition qui pèsent sur plusieurs exilés politiques italiens réfugiés en France. Interpellé par une journaliste sur l’affaire Cesare Battisti, le président de la République, qui disposait déjà d’une réponse préalablement écrite, a donc lu les phrases suivantes :

« S’agissant de la question de son extradition, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris y a donné une suite favorable. Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation et vous comprendrez que j’attendrai la décision de la justice, c’est-à-dire celle de la Cour de cassation, pour faire connaître la position de la France ». Force est de constater que, en attendant la décision de la Cour de cassation, le président a néanmoins laissé entrevoir quelle était son idée sur la question. Jacques Chirac a en effet choisi ce moment pour donner son interprétation de « la doctrine française », une règle de conduite officiellement appliquée depuis 1985. Une règle codifiant le refus de toute demande d’extradition venant d’Italie qui visait les anciens militants des organisations combattantes de l’extrême gauche.

« Quant à ce que vous avez appelé ‘la doctrine française' », a précisé Jacques Chirac, « je voudrais rappeler que le Président Mitterrand avait pris position, en 1985, alors que la loi italienne, à tort ou à raison, je n’ai pas de jugement à porter, faisait l’objet de débats notamment sur le plan européen en raison, je dirais, d’une certaine passion qui existait et que l’on pouvait comprendre à cette époque en Italie ».

Ainsi le président français, sans « porter aucun jugement », semble convenir que « à cette époque » il existait « une certaine passion » qui agitait l’Italie. « Une passion », que le sénateur Giovanni Pellegrino, président de la Commission d’enquête parlementaire italienne sur le terrorisme, a définie, en 2000, en ces termes très précis : « En Italie s’est déroulée une véritable guerre civile, même si elle était de basse intensité ». Il faut comprendre qu’en comparant « une guerre civile de basse intensité » à « une passion », le président français a fait preuve, d’une certaine manière, d’une certaine politesse vis-à-vis de son interlocuteur. Une modération dans le ton qui ne pouvait que ravir son invité du jour, « le Cavaliere » Berlusconi, autrefois membre de l’organisation secrète, putschiste et antirépublicaine, vecteur essentiel de la stratégie de la tension, et connue sous le nom de loge P2.

« Depuis 1989, la loi italienne a changé » précise aujourd’hui, en lisant son texte, Jacques Chirac, « elle a été définitivement jugée par la Convention européenne des Droits de l’Homme comme parfaitement respectueuse des exigences des Droits de l’Homme ».

Il est toujours délicat d’avoir à démentir un président de la République, mais la vérité est toute autre. En effet, l’Italie est le seul pays en Europe à se prévaloir du droit de juger par « contumacia » un prévenu. Contrairement à la loi française, par exemple, le code de procédure pénale italien ne prévoit aucunement qu’un condamné en fuite puisse disposer, une fois arrêté, de la possibilité d’être rejugé. Or, n’en déplaise aux affirmations présidentielles, toutes les décisions judiciaires de la Cour européenne des Droits de l’Homme ont condamné l’Italie sur cette loi, exceptionnelle, qui viole, selon la Cour, les droits définis à l’article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial… »

Telle est aussi l’opinion d’un juriste italien de renommée internationale. Le professeur Sandro Cerini, dans son étude « Extradition et contumace », conclut à la nécessité d’une réforme du principe de la contumace à l’italienne. Il souligne avec force que, suite à des arrêts de la Cour européenne, de nombreux Etats du Conseil de l’Europe (notamment l’Autriche, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne, la Lituanie, la Norvège, la France) ont changé leur procédure pénale en introduisant des mesures automatiques de révision du procès. Quant à l’Italie, elle semble vouloir, sur ce point, se complaire, solitaire et arrogante, dans ses traditions rétrogrades. Des traditions bien plus inquiétantes encore que ce qu’on imagine.

La première page du Code pénal de la République italienne est ornée, de nos jours encore, par la signature de Benito Mussolini, le « Duce ». C’est encore sous ce haut patronage que l’on juge ! Le président Chirac, réélu en 2001 grâce aussi à la formidable mobilisation républicaine face au danger lepéniste, est-il seulement au courant de l’existence de telles références… Dans le cas contraire, on peut légitimement se demander comment interpréter cette envolée présidentielle qu’appréciait, ravi, Berlusconi : « L’Italie et la France, nations sœurs, si proches par le cœur, par l’histoire, par la culture »…

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