Mes rêves sont devenus opaques. Je croyais que nos désirs étaient les mêmes, que nos yeux se fermaient pour les mêmes raisons. Je me suis bien trompé.

J’ai cru que depuis des années je fréquentais des personnes qui ne pensent pas qu’à leur gueule. Je me convainquais que nous n’étions pas tout à fait des bourgeoisEs, pas tout à fait des filLEs à papa, parce que notre conscience politique nous faisait accomplir ce suicide de classe qui permet d’échapper petit à petit à notre condition.

Les privilèges, on en parle tant. Tant et si bien qu’on en a parfois la tête qui tourne. On essaye d’accomplir cet indispensable travail sur soi, de combattre les rapports de dominations qui règnent en nous et nous rendent si insupportables pour les autres parfois.

Je pensais que tous ces principes et ces valeurs qui circulent frénétiquement dans nos milieux au point de nous valoir tant d’empoignades étaient vrais, sincères, incorruptibles. Qu’il fallait œuvrer d’arrache-pied pour leur donner plus de place, plus de corps, plus de force.

La confiance s’établit quand on sait pouvoir compter sur l’autre. On apprend à le connaître, on l’apprivoise, on le critique, on se dispute, puis on l’aime comme unE amiE. Il n’y a aucun critère pour l’amitié, si ce n’est celui de pouvoir se fier à notre amiE quand on est en difficulté, s’amuser avec elle ou lui quand on va bien. La confiance et l’amitié ne se décrètent pas, elles se ressentent. C’est une alchimie sans recette.

Dans nos milieux, anti autoritaires si j’en crois la propagande qu’on sert aux autres à longueur de jours, je croyais que l’amitié était plus facile. Je le croyais, parce que je pensais que la confiance était plus aisée à accorder. Du fait de nos belles idées, de nos beaux principes, de nos actions en direction des autres. Libertaires, disons-nous. Altruistes, paraît-il.

Mais depuis que je suis tombé de mon nuage l’autre matin, je vois des nombrils à la place des visages. Je vois l’individualisme, la recherche égoïste du plaisir immédiat. Au prix du sang des autres, ces autres qu’on ne voit pas, cachéEs à l’ombre de nos frontières.

Je vois des potes en taule, certes, mais j’en vois d’autres, libres, enferméEs dans leurs dépendances mortifères, quand ce n’est pas dans leurs névroses. J’ai vu mes potes aspirer de la poudre blanche avec leurs narines. Un soir, puis un autre, et finalement si souvent que je me demande comment leurs poumons ne sont pas devenus aussi poussiéreux que le sac d’un aspirateur. Je les ai vu, les paupières plissées, les yeux rouges, vitreux. Elle/ils m’ont semblé subitement si bêtes, alors que je les croyais clairvoyantEs. Je les ai regardé l’autre soir, alors qu’elle/ils dansaient, sautaient, se bousculaient en hurlant des slogans politiques sur fond de musique folk. Elle/ils m’ont semblé si tristes, si petitEs tout à coup, alors que je les pensais plus grandEs que moi. Autrefois, je croyais qu’elle/ils s’amusaient quand elle/ils étaient comme ça. Mais je me suis trompé, je sais maintenant qu’elle/ils se vident de leur grandeur d’âme comme un égout qui dégueule.

Ce sont leurs amiEs qui sont en taule. Ce sont elles/eux qui veulent changer le monde et qu’on interdit doucement de tout, en les traînant en justice pour leurs idées. Encore elles/eux qui se disent solidaires de celles et ceux qui n’ont rien, sans papiers ou sans espoir, qui errent à travers le monde dans la perspective d’obtenir un jour le centième de ce que nous avons ici en abondance. Solidaires de celles et ceux qu’on tue et qu’on fait disparaître dans une fosse pour s’être opposéEs aux cartels de la drogue mêlés aux pouvoirs les plus sanguinaires.

Solidaires des mères et pères d’Ayotzinapa le vendredi, camés à tout ce qui passe le samedi.

OubliéEs les mules et les dealers involontaires du quartier Omonia à Athènes. OubliéEs les étudiantEs disparuEs à Iguala. OubliéEs toutes celles et ceux pour lesquelLEs la came n’est pas un loisir, mais une oppression sans fin. On n’oublie pas, on ne pardonne pas qu’elle/ils disaient. Mais leur nombril exige sa coke, sa ké, sa MD, son speed, sa dose de capitalisme en intraveineuse. Pour oublier quoi ? Oublier qu’on est anticapitaliste, oublier qu’on est censé en avoir quelque chose à carrer de ceux qui clamsent ailleurs pendant qu’on se défonce la gueule ici.

Vas-y, prends ta came. Prends ton pied. Oublie.

Mais alors après, ne viens pas me parler de capitalisme. Ne me parle même pas de dominations. Juste, prend ton rail et rejoins les hordes de petitEs bourgeoisES qui foulent du pied le destin des pays d’où vient leur came et des hommes et des femmes qui la transportent jusqu’à elles/eux au prix de leur vie. Après tout, ce ne sont que des pauvres et des sans-paps. Si leur vie est à chier, qu’elle/ils viennent demander l’asile. Un jour peut-être, ce sont elle/eux qui se la mettront dans le nez, la came de leurs pays…

Je ne supporte plus. Je ne supporte plus de voir mes potes, ces anarchistes, ces anticapitalistes, me justifier leur plaisir au nom d’une ouverture d’esprit qui pue la mort. Déjà leurs alcools forts me foutaient la gerbe.

Aujourd’hui, l’État a inoculé sa merde au plus profond de nos veines. Il peut bien nous laisser en liberté, on est déjà prisonnierEs de nos nombrils. Et bientôt, il n’aura qu’à souffler sur nous. Nous nous envolerons comme un rail de coke posé au bord d’une fenêtre. Ou alors nous crèverons comme les indiens d’Amérique dans leurs réserves ou comme les descendantEs d’esclaves et de colonisés dans leurs ghettos.

Rien ne sert d’être vegan si tu troques ta conscience contre de la poudre ou un cachet.

Plus la peine de faire semblant, je ne suis déjà plus sûr de quel côté de la barricade tu te trouves.

La came, c’est la mort. Leur drogue, c’est leur arme contre nous. Y’a pas de « mais » qui puisse changer ça. Si je suis contre l’État et contre les armes, je suis donc contre la drogue. Et là non plus y’a pas de « mais » qui puisse changer ça.