Hier, 27 septembre 2016, au parc des Expositions de la Beaujoire d’aucuns étaient venus en nombre pour accueillir comme il se doit notre Premier ministre. Retenus à plus de 500 mètres de l’entrée par un dispositif policier déconcertant, je préférais de mon côté ruser un peu et me faufilait subrepticement par Halêveque puis, longeant les résidences je fis le tour jusqu’à l’entrée proprement dite. C’est de là, caché derrière un chêne séculaire que j’observais la scène. D’un côté, quelques couvre-chefs bleu-marine dépassaient d’un buisson épineux. De l’autre, un cordon d’une dizaine de policiers empêchait tout passage aux riverains comme aux badauds piqués par la curiosité. Ceux-là s’adonnaient à une fouille systématique des sacs à dos, des attachés-cases et des bagages à main. En face, un barbouze empâté au visage adipeux regardait dans ma direction sans pourtant parvenir à me voir. Il me semblait évident que ma dégaine de casseur en sweat à capuche armé d’un gros pétard artisanal caché dans mon sac à dos suffirait certainement à stopper ma progression si j’osais m’aventurer davantage vers le théâtre des polichinelles en uniformes qui jouaient devant moi.

Je rebroussais chemin, apercevant du coin de l’œil une berline argentée aux vitres teintées qui filait à vive allure dans ma direction. Je marchais d’une façon nonchalante lorsque j’entendis le bolide s’arrêter puis les portières s’ouvrir. La BAC, le plus bas des policiers. Y répugnent-ils ? Certainement, car outre leurs instincts naturels, la dignité de leur profession s’oppose naturellement à de pareils avatars.
— Monsieur ! Hep, Monsieur ! Contrôle d’identité s’il vous plaît. Vous avez quoi dans votre sac à dos ? Vous avez des matières illicites sur vous ? De la drogue ? Oh… Mais c’est un joli pétard que vous avez là, Monsieur. Je leur raconte que je l’ai acheté en France. L’un d’eux fouille dans les poches latérales du sac à dos. Il y découvre aussi un loup en carton peint et une petite banderole précautionneusement pliée au fond du sac.
— Vous cherchiez vos amis Monsieur ? Mais on vient de les embarquer, c’est ballot. Pourquoi vous n’avez pas pris votre téléphone pour les appeler ? Je réponds au flic que je l’ai oublié chez moi. Le butor me croirait-il sur parole ? Il semblerait que ce soit le cas puisque la mention de mon téléphone ne figurera ni sur le descriptif de la saisie ni ne sera mentionné par le policier qui m’interrogera plus tard à Waldeck. Ainsi, je continue mon petit jeu de dupe. Je feins l’ignorance et, surtout, je fais de mon mieux pour qu’ils me prennent pour un idiot, un peu perdu et qui ne sait pas vraiment pour quelle raison il se trouve ici. Cela semble fonctionner.

Les trois argousins m’escortent hors de la berline jusque dans le panier à salade, le fourgon de l’administration pénitentiaire. L’intérieur est compartimenté en de petites cellules individuelles et munies de barreaux. Un simple loquet ferme la geôle. Je me dis qu’il me serait aisé de lever le petit doigt un peu plus à travers la grille pour faire glisser le fermoir. Je profiterais d’un arrêt du fourgon pour ouvrir la porte latérale et m’enfuir en courant. Mais je me ravise, car les deux policiers qui m’escortent ont pris mon sac à l’avant avec eux. La route est difficile, car, mal assis sur le banc de plastique rigide, je balance d’un côté et de l’autre dans chaque virage qu’emprunte le véhicule. Enfin, nous arrivons. La porte latérale s’ouvre et le flic de tout à l’heure m’enjoint sur un ton non dénué d’une certaine ironie : — Ca va ? Pas trop secoué ? Je lui réponds de ne pas s’inquiéter, que tout va très bien et il éclate de rire. Ces pauvres cloches sont vraiment trop faciles à berner et l’on reçoit toujours l’absolution lorsque les mots ne s’attaquent pas à son principe, ou ne touchent pas à l’essence de son autorité.

Assis sur un banc de bois, nous sommes trois à attendre que la vérification d’identité soit terminée. L’un d’entre eux est venu les poches pleines de cailloux et quelques banderoles « ACAB » trônent un peu partout dans le couloir. Le premier est inconnu des services de police et s’en va rapidement. Le second, totalement défoncé et les yeux injectés de sang bafouille des choses incompréhensibles. C’est un multirécidiviste, semble-t-il, et sa sortie ne dépend à présent plus de la bienveillance de son geôlier. Quant à moi qui suis venu sans aucune pièce d’identité, la tâche est plus ardue pour mes cerbères qui doivent me faire confiance avant de rechercher dans le fichier central. J’attends en écoutant les bruits de couloir. Un garde-chiourme indiscret glisse à son collègue que « l’autorité » vient de quitter le foyer Agora et se dirige sous bonne escorte vers le parc des Expositions de la Beaujoire. Le foyer Agora ? Ainsi c’est là bas que Manuel se planquait. Enfin, c’est à mon tour de passer devant le flic. Jeune, souriant, il semble ne rien avoir d’autre à faire que perdre son temps inutilement. C’est un jeu auquel je suis doué. Écouter, observer, ne pas parler ou alors juste très peu. Les flics ne savent pas quoi penser, ils doivent tirer eux-mêmes les conclusions sans jamais savoir si je suis honnête ou si je me moque. Finalement, ce sont des êtres parfaitement conditionnés et il devient aisé pour qui le comprend de les induire en erreur ou de les endormir.

— C’est un beau masque que vous avez là ? Oui, c’est une de mes créations, un masque steampunk. Ça vous plait ? Mon interlocuteur reprend :
— C’est un peu extravagant, ce serait mieux pour la Mi-Carême vous ne croyez pas ? Le flic apprécie. Trop facile. J’en profite pour lui demander si je peux le conserver, ainsi que la petite banderole. Il acquiesce. C’est gagné. Il continue en me posant quelques questions pour vérifier mes dires. Mon adresse actuelle, suis-je connu des services de police ? Ai-je été condamné par le passé ? Et caetera. Je croyais mon casier judiciaire vierge, mais il semble que ce ne soit pas le cas. Pourtant, mes réponses évasives semblent lui convenir ou peut-être a-t-il d’autres chats à fouetter puisqu’il m’invite à reprendre toutes mes affaires, à l’exception de la grosse amorce rouge, et m’accompagne jusqu’à la sortie.

Je m’en tire à bon compte, car je sais que certaines situations n’offrent pas toujours de dénouements aussi heureux et entraînent de trop redoutables conséquences pour que je me contente de cette narration simpliste, un peu sèche et méthodique. « Heureux sont les simples d’esprit » dit-on dans ce pays, et il est coutumier de croire que policiers et brigands font bon ménage ensemble. En vérité, heureux sont les brigand qui, parfois, parviennent à se jouer des simples d’esprit revêtus d’uniformes…

Bonnes luttes !