TEMPS ELECTORAL
CONTRE
TEMPS CITOYEN

La vie politique, dans « nos démocraties », est rythmée par le processus électoral codifié dans la constitution ou ce qui en tient lieu. En dehors de ce moment, en principe, rien ne se passe puisque l’élection décide et a décidé de tout. On en arrive ainsi à la situation paradoxale dans laquelle le rythme du politique est différent du rythme de la vie.

Les dernières élections européennes, et la période qui va suivre, sont une illustration lumineuse de ce paradoxe.

Voter est non seulement un droit, mais aussi, parait-il un devoir. Que ce soit un droit, on le comprend, mais que cela devienne, avec une telle insistance un devoir, cela a incontestablement quelque chose de suspect (voir à ce sujet l’article « VOTER EST UN DROIT, MAIS EST VERITABLEMENT UN DEVOIR ? ») A y réfléchir sérieusement, on comprend pourquoi une telle frénésie pour impliquer le citoyen dans l’acte électoral. En dehors de cet acte, il n’y a rien d’autre.

L’ELECTEUR ET LE CITOYEN

Elire un représentant dans une collectivité pour assurer des taches de gestion concernant l’intérêt collectif est très certainement un acte incontournable dans une société qui se veut démocratique. Il n’est pas question de remettre en question ce principe… quoi qu’évidemment on puisse en discuter.

Ce qui fait problème ce sont les conditions dans lesquelles se réalise ce processus de représentation.

Il est aujourd’hui de notoriété publique que :

– l’accès au pouvoir est confisqué par les bureaucraties des partis… il n’est donc pas libre contrairement aux apparences,

– le résultat des élections ne change rien à la situation : le changement se fait toujours dans la continuité de ce qui existe.

L’élection est donc, de fait, en contradiction avec l’essence même de la citoyenneté. En effet, la citoyenneté est en principe la condition de l’homme libre, pouvant socialement et politiquement agir. Or, tout est fait pour que cette liberté soit formelle et que le « droit de vote », n’ait aucune conséquence réelle sur le fonctionnement de la société (voir l’article « PEUT-ON FAIRE CONFIANCE AUX HOMMES/FEMMES POLITIQUES ? »).

Le citoyen, individu actif, conscient, capable d’agir dans la cité est devenu un véritable « incapable majeur » à qui on fait miroiter un pouvoir qu’il n’a pas. Il est vrai que formellement il a le choix, qu’il peut exprimer une opinion… mais dans les faits la vie politique, il ne la maîtrise pas et est obligé de se conformer à un modèle « prédigéré » qui le conditionne au point que son expression n’est plus l’expression de son autonomie et de sa volonté. Le citoyen réduit à la simple fonction d’électeur est vidé de tout son sens… il est instrumentalisé et irresponsabilisé comme l’est le salarié dans son entreprise.

Le citoyen vit la vie politique en spectateur. Des acteurs-maïtres-penseurs (sic)… qui se proclament de surcroit « élite » ( ?????), s’agitent dans les médias… Ils sont toujours les mêmes, ou leurs clones,… toujours le même discours,…toujours les mêmes promesses,… nous appelant toujours à l’effort,…se justifiant quand ils sont au pouvoir, critiquant quand ils n’y sont pas (ou plus). La marge de manœuvre de réflexion du citoyen est étroitement définie : faut être réaliste, pas utopiste, réformer oui, changer non, payer encore, travailler plus, avoir confiance,…Surtout ne rien bousculer, ne rien brusquer, respecter ce qui est (être réaliste),… ne pas penser à ce que ça pourrait-être (faut pas rêver !), mais à ce qui est réaliste d’espérer… généralement pas grand-chose…

Quand le moment est décidé, le citoyen devient « actif » : il dépose son bulletin dans l’urne… puis se précipite devant la télévision pour savoir ce qu’il faut penser de ce qu’il vient de faire : experts, politologues, candidats élus et candidats battus discutent doctement à perte de vue… le citoyen s’endort, lassé par une discussion mille fois répétée. Le lendemain, des élections, la vie reprend comme si de rien n’était. … Et l’on attend la prochaine élection… Une vie passionnante !?!?

Les élections passent, les problèmes demeurent. Cette routine électorale assoit le système dans la certitude de la stabilité. Que les problèmes ne soient pas résolus n’a aucune importance puisque, de toute manière, on recommencera la même opération aux prochaines élections et que l’on a convaincu la plus grande partie qu’il ne pouvait en être autrement.

UN AVENIR POLITIQUEMENT VIDE

« C’est la dernière élection avant les présidentielles de 2007 » . Cette phrase, prononcée en juin 2004 lors des dernières élections européennes, résume bien le décalage qu’il y a entre le « temps électoral » et le « temps citoyen ». Autrement dit entre 2004 et 2007, politiquement, citoyennement, il ne va rien se passer ( ???). Le temps politique est arrêté, figé.

Si encore, ces dernières élections avaient été significatives, nourries par un intense débat citoyen, ou chacune et chacun s’était impliqué, donnant un résultat clair, aux perspectives incontestables, fondant une représentativité forte… on pourrait en conclure que trois ce n’est pas long. Mais qu’en est-il réellement ?

Les résultats sont édifiants.

Taux d’abstention : 57,20 %. Plus d’un citoyen sur deux n’est pas allé voter… et l’on peut faire l’hypothèse que ces abstentionnistes ne sont pas tous-toutes des « pêcheurs à la ligne » comme aimerait le croire les politiciens pour se rassurer…En fait, manifestement, on croit de moins en moins à ce genre de consultation… et pour cause !

Le parti au pouvoir représente réellement, arithmétiquement, officiellement et j’ajoute « royalement » 6,88% des électeurs inscrits ( ???)… et c’est ce parti, pendant trois ans qui va démanteler les acquis sociaux de la Libération, privatiser, libéraliser, dérèglementer… agir tout ce qu’il y a de plus « démocratiquement » et au nom du peuple français !… on croit rêver.

Mais ce n’est pas tout. Le grand vainqueur de l’élection, celui qui prétend (une fois de plus) au pouvoir représente 11,95 % des électeurs inscrits… et il a fêté ça au champagne !… sans commentaire.

Certains diront que ce ne sont que les « élections européennes », c’est exact, mais soyons sérieux, tout le monde sait ce qui s’est réellement joué.

Les chiffres donnés ne sont que par rapport aux inscrits ; par rapports aux votants ils sont, respectivement 16,63 et 28,89… ce qui n’est pas extraordinaire quand on prêtant représenter le peuple !. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est cette dernière évaluation qui est prise en considération. En effet, ne pas participer à l’élection (quelle qu’en soit la raison), c’est politiquement ne pas exister, à l’image du consommateur qui ne peut pas payer et qui de ce fait, économiquement, n’existe pas. L’existence citoyenne n’est qu’une existence électorale.

Ainsi donc, pendant trois ans il ne va rien se passer de politique. Les mesures et décisions qui vont être prises vont l’être par un petit groupe, en dehors de tout contrôle. Elles vont engager des millions de personnes pendant des générations, dans des domaines essentiels : protection sociale, énergie, environnement, service public… et ce sans possibilité aucune d’intervention. Une telle situation est socialement insupportable, absurde.

Certes, il y a les groupes de pressions, associations, syndicats, partis politiques. Mais que peuvent-ils faire : dire, protester, manifester. Soit, et alors ? Rien n’oblige les décideurs à les entendre, voire même à simplement les écouter… Ceux qui vont prendre les décisions ont une légitimités, les contestataires non.

On mesure ainsi le degrés de dégénérescence de notre démocratie.

Le « temps électoral » est arrêté, comment va-t-on vivre le « temps citoyen » qui lui ne s’arrête jamais. En demandant de nouvelles élections ? Mais au nom de quoi ? Au nom de quoi perturber une règle qui se veut démocratique ? Par pression de la rue ? Mais alors le pouvoir politique ne serait pas l’expression de la rue ? le « temps électoral », ne serait pas le « temps citoyen ». ? Intéressant découverte qui mériterait d’être approfondie.

Patrick MIGNARD