Plus c’est gros plus ça passe ? On savait que M. Notebaert, chargé de mission en 2000 au ministère des Transports au moment où le projet d’aéroport est exhumé, était ensuite devenu directeur du groupe Vinci. On avait appris que M. Hagelsteen, ancien préfet de Loire-Atlantique, puis de la région Pays-de-la-Loire de 2007 à 2009, après avoir fait passer la Déclaration d’Utilité Publique de l’aéroport, avait décroché dans l’année suivante le poste de conseiller du président de Vinci Autoroute. On découvre dans l’article de médiapart ci-dessous, que Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public a longuement collaboré, échangé et même co-écrit un livre avec une des personnes considérée comme jouant un rôle majeur dans le dispositif de légitimation du projet d’aéroport à Notre Dame des Landes.

On imagine facilement le scandale si il s’était avéré que M. Christian Leyrit ait co-rédigé un livre avec Françoise Verchère, opposante notoire, que celle-ci l’ait engagé à de nombreuses reprises pour mener des projets sur la commune de Bouguenais du tant où elle y était maire, ou que le président de la CNDP ait mis en place une AMAP avec M. Julien Durand porte-parole de l’acipa. Mais à l’inverse, il semble que pour les pro-aéroports et le gouvernement, ce type de connivences soit tout à fait naturel et acceptable. Ceci alors même l’intervention de la CNDP, instance soit disant indépendante et objective, est censée légitimer un processus de consultation pipé où opposants et pro-aéroport ne jouent déjà en aucun cas à armes égales.

L’article de médiapart :

NOTRE-DAME-DES-LANDES ENQUÊTE Notre-Dame-des-Landes: l’impartialité du débat public est mise en cause
9 JUIN 2016 | PAR JADE LINDGAARD

Christian Leyrit, le président de la Commission nationale du débat public, chargée d’informer les citoyens sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, a collaboré pendant dix ans avec le paysagiste recruté par Vinci pour son aérogare. Il nie tout conflit d’intérêts, alors qu’il présente ce jeudi une synthèse des débats.

En apparence, toutes les conditions sont réunies pour informer au mieux les électeurs appelés aux urnes le 26 juin, afin qu’ils se prononcent sur l’opportunité de construire un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. En conformité avec l’ordonnance prise par le gouvernement, la Commission nationale du débat public (CNDP) doit publier sur son site internet un document de synthèse récapitulant les motifs du projet et ses impacts sur l’environnement à partir du 9 juin, deux jours avant la date butoir. C’est le seul dossier d’information fourni par l’État aux électeurs pour leur permettre de choisir s’ils répondront par « oui » ou par « non » à la question : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? » Chaque mairie de Loire-Atlantique, seul département dont les habitants sont consultés, doit mettre un ordinateur à disposition de ses administrés. Une version imprimée sur papier pourrait aussi leur être fournie, notamment à destination des personnes âgées.

Dans cette campagne très particulière, sans comptes de campagne, sans affichage ni tractage pris en charge par les pouvoirs publics, où chaque camp se débrouille par ses propres moyens pour déposer des argumentaires dans les boîtes aux lettres du canton et organiser des réunions publiques, le dossier d’information du public revêt une importance particulière. La CNDP a pour mission officielle de veiller au respect de la participation la plus large possible à l’élaboration de certains projets d’aménagement. « Le public est très attaché à la neutralité, à l’impartialité, et à la transparence dans la conduite des procédures », explique sa charte de déontologie.

Mais l’actuel président de la Commission est-il aussi impartial qu’il devrait l’être ? Ingénieur des Ponts, ancien préfet, Christian Leyrit, 67 ans, a occupé le poste de directeur des routes au ministère de l’équipement entre 1989 et 1999. Pendant cette décennie, il a régulièrement fait travailler un paysagiste et plasticien de renom, couronné par plusieurs récompenses internationales, Bernard Lassus. Cet homme est aussi le paysagiste du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Il a co-conçu la plateforme aéroportuaire qui a valu à Vinci de remporter la concession en 2010. Avec l’architecte Jacques Ferrier, son nom est le seul cité dans les documents diffusés par le groupe de BTP. On le retrouve ici dans un communiqué de presse annonçant l’obtention de la concession. Ou encore dans la notice sur le futur aéroport du Grand Ouest réalisée par Nantes métropole, l’agglomération membre du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest.

La dimension paysagère est capitale dans le projet d’aérogare, car elle fonde en partie l’argumentaire du constructeur sur son respect de l’environnement naturel dans lequel il veut construire. Lors d’une rencontre en 2012 au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) – dont le vice-président est alors Christian Leyrit –, Bernard Lassus explique : « Le terrain de Notre­-Dame-des-Landes est chahuté. Le champ visuel est en permanence occupé et obturé par des écrans de haies. En revanche, la piste est vaste et grande. Il nous faut donc étudier les problèmes de terrassement. Nous ferons une double pente par rapport à la piste : la piste sera horizontale et le bocage restera mouvementé, comme il l’est actuellement. » Il ajoute : « J’ai formulé un certain nombre de propositions, notamment que le système de haies puisse être reproduit dans les parkings. Nous avons prévu un certain nombre de haies. Celles­-ci sont susceptibles d’accueillir des oiseaux. Or les oiseaux sont préjudiciables à l’aéroport. D’une certaine manière, il nous faut sauver les haies, tout en évitant les oiseaux. Pour cela, j’ai proposé de construire des haies artificielles et de ne choisir que des plantes dont les oiseaux ne sont pas friands. » Loin d’être cantonné à un rôle strictement décoratif, le « paysage » conçu par Bernard Lassus a une influence directe sur l’apparence, l’organisation et le fonctionnement du projet d’aérogare. Lors du même colloque, Bernard Lassus ne s’en cache pas : « Le rôle du paysagiste va donc jusqu’à la gestion économique. J’espère bien que nous trouverons une solution pour l’aéroport de Nantes. »

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Vue d’ensemble du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
C’est ce même homme dont Christian Leyrit déclare en 2012 (voir ici) : « Dans mes anciennes fonctions de directeur des routes, j’ai établi avec lui un compagnonnage de près de dix ans. Bernard Lassus s’est montré un conseiller particulièrement efficace. Il a permis à toute une génération d’ingénieurs travaillant sur les infrastructures d’avoir un regard différent. »

En 1997, la direction des routes du ministère de l’équipement, tenue alors par Christian Leyrit, lui remet le « Ruban d’or », une récompense officielle, pour sa réalisation d’une aire de repos de 7 hectares, les « Carrières de Crazannes ». Quatre ans plus tôt, il avait déjà reçu un « Ruban d’or » de l’administration dirigée par son ami Leyrit pour deux aires de repos de 65 hectares à Nîmes-Caissargues. À partir de 1990, un an après l’entrée en fonctions de Christian Leyrit à la direction des routes, Bernard Lassus devient officiellement « Conseil en paysage auprès des directeurs des routes ». Il joue aussi le rôle d’« expert en paysage de la mission d’évaluation pour le viaduc de Millau » et est membre du jury de la grande œuvre, en partie conçue par Christian Leyrit.

Les deux hommes s’entendent si bien qu’ils signent un livre ensemble en 1994 : Autoroute et paysage, un ouvrage collectif réunissant les interventions d’un colloque « pour une meilleure perception et une meilleure compréhension par le grand public de l’élément autoroutier et son impact sur l’environnement ». Pour Bernard Lassus, toujours devant le CGEDD en 2012 : « Le fond de l’action paysagère, c’est le terrassement. Christian Leyrit a joué un grand rôle dans le domaine du paysage et le développement paysager. Je souhaite qu’un jour, l’on s’intéresse à ce que la direction des routes et le ministère ont fait pour le paysage. Je tiens à le rappeler. »

Compte tenu de ce compagnonnage de dix ans, et des liens professionnels privilégiés tissés entre ces deux hommes, au point qu’ils parlent l’un de l’autre en des termes très élogieux, Christian Leyrit était-il la meilleure personne pour présider le processus d’information du public au sujet de Notre-Dame-des-Landes ? Peut-il garantir « la neutralité » et « l’impartialité » réclamées par sa propre institution ? Il n’a en tout cas pas fait preuve de toute la transparence que demande sa charte de déontologie, n’ayant à aucun moment signalé cette longue collaboration avec le co-concepteur du projet d’aérogare.

Joint par Mediapart, Christian Leyrit répond d’abord ne pas être en conflit d’intérêts au sens de la loi relative à la transparence de la vie publique, selon laquelle : « Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. » Le président de la CNDP explique : « Je n’ai jamais eu le moindre intérêt dans le cabinet de Bernard Lassus. On a fait un livre, on a collaboré il y a vingt ans, il vit sa vie. » Et ajoute : « Cela fait 17 ans que je n’ai jamais eu le moindre contact avec lui. »

Il y a au moins eu ce colloque au CGEDD, « Paysage global et territoires », le 7 mars 2012, à la Grande Arche de La Défense, où ils se sont rendu hommage l’un à l’autre, lui indique Mediapart. Christian Leyrit reconnaît alors : « Est-ce que l’ai rencontré depuis dix-sept ans ? Peut-être deux, trois fois. Mais en quoi ceci me lie à quelqu’un qui a fait des plans pour Vinci ? » Ce compagnonnage de dix ans pourrait-il ébrécher son impartialité, même inconsciemment ? « Franchement, soyons sérieux, nous répond-il. Dans toute cette mission sur Notre-Dame-des-landes, je n’ai pas pensé une seule fois à Bernard Lassus. Suis-je impartial ? Évidemment ! Je fais la chasse aux conflits d’intérêts. » Il ajoute enfin que la CNDP est une instance collégiale : « Je n’en suis qu’un élément. »

À Nantes et dans les villages proches de la zone concernée par le projet d’aéroport, la polarisation de l’opinion publique est à son comble. Pour consulter les électeurs, le gouvernement a choisi des modalités contestées par des opposants au projet, qui ont déposé des recours devant le juge local et devant le Conseil d’État. Les antagonismes entre les deux camps sont tels qu’aucun débat public contradictoire n’a pu être organisé – seule une émission de Télé Nantes a pu réunir partisans et opposants au projet, le 7 juin. Dans ces conditions, difficile de comprendre que la CNDP, et le cabinet de Manuel Valls qui l’a mandatée, n’aient pas été plus vigilants sur les garanties visibles de son impartialité.