Il y a clairement une opération médiatico-policière qui se met en place autour de la question de « la
violence » « insurrectionnelle » en manifestation.

Le pouvoir ne recule devant aucun superlatif pour discréditer le mouvement : les « casseurs »
n’auraient pas de revendications légitimes, seraient motivés par une haine irrationnelle de l’État « et
son monde », parfois même ils viendraient de l' »étranger » (on nous servait déjà le fantasme de
l’allemand en 1968, rien de nouveau) et agiraient à travers des réseaux clandestins structurés avec
des « sergents recruteurs ». Enfin et surtout il s’agirait d’une violence particulièrement destructrice,
virulente, menaçante pour les biens, les commerces et « les personnes ». Parallèlement des forces de
répression sont mises en branle afin d’être à la hauteur de ce nouveau péril intérieur, comme
l’ampleur des « débordements » est sur-exagérée, la réponse policière se doit de l’être. Conséquence
« logique » cette chienlit empêcherait les autorités de faire face au défi du terrorisme islamiste, donc
de protéger le reste de la population.

C’est donc par les deux bouts du fantasme terroriste que le discours du pouvoir tente de tenir le
mouvement social présent. Nous l’avons dit, par l’idée qu’il gênerait la lutte antiterroriste en
mobilisant les forces de l’Ordre à autre chose ; mais, plus insidieusement, parce qu’une bonne partie
du discours médiatico-policier est emprunté très directement à ce champ fantasmatique : agents
étrangers, clandestinité, réseaux structurés, sergents recruteurs. Le mouvement social, c’est
l’Antifrance, nous dit-on.

Face à cette opération, il nous semble que nous devons répondre point par point et « assumer nos
responsabilités », comme ils disent.
D’abord ne pas lâcher l’affaire sur une question qui peine toujours à se faire entendre. L’État
français est en guerre, ou l’a été en Afghanistan, en Libye, au Mali, maintenant en Syrie et en Irak.
L’État français soutient et arme des dictatures en Arabie Saoudite, au Qatar, en Égypte, au Yémen,
etc. L’État français est très violent (sans guillemets) hors de ses frontières. Nous, civils, subissons
les attentats ET l’état d’urgence sensés les empêcher. Nous devons dénoncer et combattre la
politique menée par notre bourgeoisie qui, bien loin de nous protéger, crée les conditions qui
rendent possible cette menace.

Il est d’ailleurs intéressant de voir François Hollande dénoncer les « violences » s’étant déroulées à
Rennes depuis sa visite au Nigeria où il est présent à l’occasion d’une conférence internationale
consacrée à la lutte contre Boko Haram. C’est, visiblement, le dernier grand écart à la mode chez les
politiques amateurs de gymnastique : ne pas oublier que Valls, il y a quelques mois, avait dénoncé
l’affaire des « violences » des chemises d’Air France lors d’une visite de courtoisie en Arabie
Saoudite…

Après avoir pensé aux bombes, aux drones, aux millions de morts des guerres impérialistes,
revenons à la « violence » qui préoccupe éditorialistes, préfets, flics, ministres et compagnie.
Cette « violence » consiste essentiellement en des graffitis, la destruction de caméras de
vidéosurveillance et de publicités, des vitrines de banque (parfois d’agences immobilières et encore
plus rarement de boutiques de luxe) vandalisées, des locaux du Parti « socialiste » abîmés, des
incendies de palettes, de poubelles et plus rarement de Porsches. Cette « violence » est matérielle, son
objectif reste de faire perdre du fric à la bourgeoisie (vous savez, la classe sociale qui possède les
moyens de production), en somme le même objectif qu’une grève ordinaire ou un blocage, dont elle
n’est d’ailleurs qu’un substitut (ou, dans le meilleur des cas, qu’un complément). Qu’on soit
révolutionnaire ou non, on vise le portefeuille, soit pour obtenir satisfaction d’une revendication
« syndicale » soit dans l’optique originelle d’une grève générale : pour affaiblir et exproprier les
patrons, bref pour prendre le contrôle de la production.

Il est vrai qu’on pourrait toujours se contenter de crier notre indignation, sans rien menacer ni
casser : l’État et sa police ont bien peu de raisons d’inquiéter des signataires de pétitions ou des
manifestantEs qui s’expriment gentiment sans entraver le bon déroulement de la vie quotidienne
capitaliste. C’est bien en effet notre « liberté démocratique » de nous « exprimer dans la rue » et de
voter tous les 5 ans, pour le reste la mission de l’État est de nous empêcher d’attaquer la propriété.
Mais, dans quelque mouvement que ce soit, si pour empêcher l’instauration d’une loi qui aggravera
les conditions d’exploitation nous constatons que « s’exprimer » ne suffit pas, nous attaquons le
capital au portefeuille, donc rencontrons la police, ses grenades lacrymogènes et assourdissantes,
ses flashballs, ses canons à eau, ses matraques, etc. Un mouvement social digne de ce nom ne peut
échapper à la répression. Qu’on bloque une entreprise, une route, une voie ferrée, ou qu’on casse la
vitrine d’une banque, on a toujours affaire à la police dont la fonction est de rétablir le
fonctionnement normal de l’économie. CertainEs font le choix d’y répondre. La « violence » du
mouvement social frappe alors aussi, il est vrai, des « personnes », les agents de police dont la
mission est précisément le maintien de l’Ordre, version abrégée et étatique d' »ordre social existant ».
Il faut bien comprendre que dans ce cas, cette cible policière n’est pas la cible originelle; elle ne le
devient que parce que la mission-même de la police est d’user du monopole de la violence légitime
pour rendre tout mouvement inefficace – et que par conséquent, tout mouvement social s’en prenant
à ses cibles légitimes sera confronté à travers elle à la violence d’État, et sera placé, toujours, devant
une simple alternative : accepter d’en revenir à un simple discours de contestation non suivi
d’action, ou passer outre et répondre par la violence à l’agression policière. Elle est donc, dans ce
cas, défensive et rien d’autre.

Voilà donc tout ce qu’il y a dire sur cette soi-disant violence. Qu’elle brise une vitrine de banque,
elle a pour vocation de frapper la bourgeoisie et l’État au portefeuille ; qu’elle réponde à l’agression
policière, elle n’en est jamais qu’une conséquence.
On l’a vu, le gouvernement et la presse s’emploient à discréditer cette « violence » et toute la
dynamique qui la sous-tend.
Le gouvernement tient à sa foutue loi qui a pour but d’enrichir davantage les capitalistes et nous
dit que nos moyens de protester sont l’unique problème dans cette affaire. Habile. Irritant, sans
aucun doute. Mais le gouvernement et la presse font là leur job de propagande ordinaire, comme
toujours.

Si l’on ne peut attendre mieux de l’ennemi que d’agir en ennemi, aussi irritant que soit le fait de
l’entendre monologuer ad nauseam sa liste de contre-vérités sur la violence des « casseurs », il est
bien plus irritant de voir que les quelques manifestantEs prêtEs à assumer publiquement la casse
soit aussi enclins à se positionner en fonction de ce monologue, et finissent par reproduire en miroir
la propagande étatique.
Les deux, bourgeoisie comme « casseurs », s’entendent pour représenter la violence comme
redoutable, l’esthétiser (négativement dans les médias bourgeois, positivement chez les médias dits
alternatifs, auto-proclamés proches du mouvement), la fétichiser, pour finir, de moyen qu’elle était
de parvenir à une fin sociale, par en faire un enjeu central.
Ce genre de renversement de causalité n’est bon que pour ceux qui y ont intérêt, et il n’est guère
étonnant que ce soient ces derniers (la bourgeoisie, son gouvernement, ses médias) qui lui aient
donné le la. Pour nous, elle est catastrophique. On ne va jamais loin à prendre ses moyens pour ses
fins.

C’est vrai pour n’importe quel moyen qu’on considère : la destruction de vitrines et autres « biens »,
et plus encore les affrontements avec la police, n’ont rien en eux-mêmes de redoutable pour l’Ordre
; les vitrines se reconstruisent, la police ne manque pas de munitions. Ils ne sont « redoutables » qu’à
la mesure de leur synergie avec le mouvement social, et pour lequel ils deviennent une marque de
sérieux en contribuant, comme nous disions plus haut, à frapper la bourgeoisie dans ce qui lui tient
lieu de coeur.
C’est vrai aussi quelle que soit la ligne d’arrivée qu’on se fixe : qu’on poursuive des buts
syndicaux, à la fin, la victoire ne sera pas au nombre d’affrontements gagnés ou perdus avec la
police, mais au retrait, ou non, de cette loi ; qu’on poursuive un but révolutionnaire, et, il faut le
rappeler, la victoire de la révolution ne se mesure pas au nombre de bourgeois pendus avec des
tripes de policiers ; la victoire de la révolution, c’est l’instauration d’une société communiste.
Pour nous, en tout cas, la ligne d’arrivée est claire, et finalement elle répond même aux suppliques
pathétiques de la pauvre valetaille fatiguée à force de lever sa matraque : abolissons le capitalisme
et sa police, il n’y aura plus de « haine anti-flics ».

PS. Ce texte ne se veut pas original ; l’originalité n’a de toute façon toujours été qu’un faux
problème, une valeur directement issue de la conception bourgeoise de l’individu. Je suis humain, et
rien de ce qui est humain ne m’est étranger; voilà comment deux siècles avant l’ère chrétienne fut
écrite ce que nous pensons être la plus belle illustration de l’ethos communiste. Et de toute façon, il
est des évidences qui valent la peine d’être répétées, ne serait-ce que pour ne pas faire le cadeau aux
mensonges et contre-vérités de pouvoir se diffuser sans démentis.