Participant ce samedi aux activités de la Commission Acceuil et Sérénité, que nous n’avons aucune prétention à représenter (tout comme a fortiori la Nuit Debout, qui échappe précisément à la représentation incarnée), nous avons fait le choix d’assumer un rôle de médiation en s’interposant entre l’essayiste et les «quelques dizaines de béotiens excités» contre lesquels Libération – ainsi que la quasi-totalité des médias nationaux et régionaux – a choisi de consacrer un article accablant.

Notre perspective au cœur de l’événement explique notre indignation à la lecture de l’analyse à laquelle le directeur de rédaction de Libération a cru bon de se livrer sur la base d’une vidéo de quelques secondes de mauvaise qualité. Comme l’exprime parfaitement la sage conclusion de M. Joffrin, «on aurait voulu discréditer un mouvement positif mais fragile qu’on ne s’y serait pas pris autrement».

Très factuellement d’abord, rappelons que M. Finkielkraut assistait depuis plus d’une heure à l’Assemblée populaire avant que certains n’exigent son départ. Là où Libération imagine un libre penseur agressé par une foule menaçante, nous avons vu au contraire un Académicien étonnement vulgaire menacer de «coups de latte» les quatre ou cinq personnes révoltées qui criaient pour réclamer son départ. En l’escortant jusqu’au trottoir, nous ne l’avons en aucun cas contraint à partir (il s’est au contraire montré surpris d’être protégé à Nuit Debout – ce qui laisse entrevoir l’accueil qu’il imaginait lui être réservé), tout comme nous ne l’avons pas protégé physiquement, puisque personne n’a tenté ni de le menacer ni de le suivre au-delà de la place.

Les «insultes et crachats» rapportés par Joffrin se résumaient à quelques cris de «fascistes» – ce qui, quoiqu’on puisse penser de ce rapprochement par ailleurs, est du reste reconnu par la loi comme une caractérisation politique et non comme une injure – insultes que pour sa part l’Académicien s’est contenté d’abréger en répondant à son tour «fachos».

En s’accrochant à ce tableau fantasmé d’un intellectuel chassé par une masse violente et «à court d’arguments», M. Joffrin s’est cru autorisé à décrire «l’invention d’une prohibition supplémentaire», d’une nouvelle atteinte aux droits fondamentaux :« l’interdiction d’écouter». Alors que Libération évoque une «repolitisation sectaire» en rappelant pour les distraits une lapidaire définition de la démocratie, faisant écho à «la purge» dénoncée par Finkielkraut, nous nous interrogeons sur la manière dont une telle personnalité espérait être accueillie.

Quand Cambadélis prétend avoir « fait un petit tour » sans être reconnu, doit-on comme le souligne justement l’éditorial, rappeler qu’un personnage public controversé comme Finkielkraut, qui a « tout loisir de disserter dans les médias et qui exerce de fait un magistère télévisuel», ne pouvait espérer l’anonymat ? En contribuant activement à imposer la question identitaire, l’intellectuel médiatique ne peut susciter l’indifférence, quels que soient ses interlocuteurs : qualifié de «fasciste» place de la République, de «réactionnaire» ou «lepéniste» à l’Académie française, Finkielkraut est rompu à l’exercice de donner ou recevoir des invectives.

En exigeant que la Nuit Debout parvienne à s’extraire d’un débat dont le polémiste donne lui-même quotidiennement le ton sur les ondes – on ne rappellera pas ici ses sorties les plus célèbres – Joffrin feint d’espérer une invraisemblable table rase, attendant hypocritement du peuple rassemblé une impossible amnésie politique. La Nuit Debout n’a pas vocation à reproduire sur une place l’étouffant débat que remettent continuellement sur la table les quelques journalistes et politiciens dont le mouvement entend précisément se passer. Puisqu’il est visiblement nécessaire de le rappeler, ce rassemblement quotidien est directement issu d’un mouvement social s’opposant au projet de loi «travail».

Ainsi, jamais la Nuit Debout n’a eu cette prétention de neutralité politique qu’exige abusivement de nombreux médias en la réduisant à un cadre formel de délibération collective. Sans se risquer à caractériser politiquement la Nuit Debout, il semble que sa simple existence en tant que prolongement de préoccupations sociales suffit à expliquer qu’elle s’oppose à la réduction du débat politique aux problèmes identitaires dont l’essayiste s’est fait le héraut. L’évocation de la statue qui orne la place ne peut suffire à exiger de ce rassemblement éminemment politique une indifférence bienveillante face au défenseur acharné de la «nation charnelle».

Usant de son art de la provocation, le polémiste a offert à ceux qui l’attendaient l’occasion d’accuser ce mouvement pluraliste et ouvert de sectarisme et d’intolérance. Nous avons rencontré ce soir-là des libertariens de droite comme des socialistes, des écologistes ou de simples curieux. Pourtant, seule la personne de Finkielkraut a suscité notre vigilance lorsque nous en avons été informés, les irritations que suscitaient sa présence étant évidentes et attendues, de part et d’autre.

Tous ces éléments expliquent notre interrogation quant à l’intention ici de M. Joffrin : en se dissimulant derrière «la frange irresponsable des Anti-Nuit Debout» qu’il convoque, l’éditorialiste se sert de «la droite et l’extrême droite [qui] se servent de cet épisode pour condamner Nuit Debout», créant à partir de cette anecdotique confusion une ridicule polémique nationale. Rappeler la «bienveillance médiatique» dont le mouvement est censé bénéficier ne sert ici qu’à le menacer de retirer un soutien dont la Nuit Debout, on l’espère, saura se passer. 

Deux étudiants, membres de la Commission Accueil et Sérénité ce soir là, qui ne représentent qu’eux-mêmes.