Ancienne de la lutte du CPE, interpellée par les violences policières de la veille, j’ai décidé de suivre la mobilisation lycéenne d’aujourd’hui.

09h45 : arrivée devant le lycée Bergson, plusieurs centaines de lycéen.nes étaient rassemblé.es devant pour empêcher l’accès à l’établissement. Ils attendaient d’autres lycéen.nes d’établissements parisiens aussi bloqués ce matin.

10h40 : arrivée des camarades des autres établissements. Très vite, la décision est prise de se mettre en mouvement. Nous sommes autour de 2000 manifestant.es. Direction le commissariat du 10e. Occupation de la rue, slogans lancés et repris en cœur : « police partout, justice nulle part », « tous les flics sont des bâtards », « un flic, une balle, justice sociale », « et la rue, elle est à qui ? Elle est à nous ! ».

11h : arrivée devant le commissariat du 10e. Ils et elles se servent du contenu des poubelles pour jeter des projectiles sur le commissariat. Quelques vitres abîmées. On avance. Elles et ils décident de se rendre devant la mairie.

11h30 : rassemblement devant la mairie du 19e. Quelques lycéen.nes blanc.hes veulent rester devant la mairie pour faire un rassemblement pacifique et critiquent les actions violentes contre le commissariat. Le ton monte entre des lycéen.nes blanc.hes et des lycéen.nes racisé.es. Ces dernier.es critiquent la confiscation de leur parole par les blanc.hes et veulent aller manifester, comme elles et ils le souhaitaient au départ, devant le commissariat du 19e où un élève du lycée est toujours en garde à vue. La décision est prise : direction le commissariat.

11h50 : devant le commissariat, les lycéen.nes expriment leur colère. Ils et elles décident de se servir de barrières et de projectiles offerts par la rue pour montrer aux flics qu’ils et elles sont là et en colère. Les slogans anti-flics sont lancés et repris lors des jets de projectiles.

12h10 : un camion de police arrive devant le commissariat, des policiers en sortent et se mettent en formation. Une grande partie des lycéen.nes blanc.hes partent en courant. La majorité des racisé.es restent. Une première sirène de dispersion se fait entendre par les flics. Elles et ils discutent quant à savoir s’ils restent ou s’ils retournent au lycée Bergson. Décision de retourner devant le lycée.

12h15 : retour devant le lycée. Organisation de l’AG, je suis partie à ce moment-là.

Bilan et perspectives pour la suite :

Ce blocus et cette manifestation sauvage ont été à l’initiative des lycéen.nes des établissements parisiens mobilisé.es contre la loi travail. Dans les médias, le mythe du casseur est déjà et encore une fois utilisé pour expliquer les dégradations de la part des manifestant.es. Il n’y avait aucun casseur, uniquement de la casse (matérielle), et des lycéen.nes en colère qui répondent ainsi à une violence dont ils et elles sont trop familier.es de la part de la police. Les lycéen.nes sont mobilisé.es, l’ambiance était joyeuse et festive. Ce qui a été particulièrement étonnant, c’est la non-réaction des forces de l’ordre. Tout au long de la manifestation, il n’y avait aucun flic et ils les ont clairement laissé agir contre les deux commissariats sans riposter. Ont-ils reçu des ordres suite aux événements et à l’indignation d’hier ? Question subsidiaire : pourquoi tout d’un coup cette réaction à des violences policières, à celles-ci et pas à toutes les précédentes ?
Cette journée a aussi rendu bien visible la confiscation de la parole et de l’organisation par les Blanc.hes au détriment des racisé.es, pourtant particulièrement concerné.es par les violences policières et plus légitimes à décider des actions à mener, d’autant que les lycéen.es mobilisé.es à Bergson étaient très majoritairement racisé.es, comme ceux qui se sont fait tabasser hier. Comme le féminisme a pu faire réfléchir les hommes à leurs privilèges et à leur monopolisation de la parole et des décisions dans les mouvements (et encore, il reste du chemin à parcourir), il y a vraiment une réflexion à mener, pas seulement parmi les lycéen.es d’ailleurs, sur les privilèges des Blanc.hes et leur monopolisation de la parole et des décisions. C’est d’autant plus important que les médias interrogent beaucoup plus volontiers des Blanch.es, que ces positions de « race » recoupent largement à Paris des positions de classe entre classes populaires et classe d’encadrement et que les un.es et les autres n’ont pas le même avenir dans le monde du travail. Tou.tes concerné.es par la loi Travail certes, mais pas de la même façon et il serait bon de se rappeler que les luttes les plus émancipatrices partent de la position des plus dominé.es. Cette question de la place des jeunes racisé.es dans le mouvement est d’autant plus stratégique qu’on ne parle que de la jeunesse scolarisée et que l’un des enjeux stratégiques des mouvements de jeunesse à venir est de parvenir à réunir jeunesse scolarisée et jeunesse descolarisée, dont une grande part est issue des classes populaires racisé.es. Tant que les Blanc.hes tiennent le mouvement, il y a peu de chance qu’il parvienne à rallier les exclu.es du système scolaire, qui sont aussi les principales victimes des violences policières, hors des mouvements sociaux. À quand un lien avec les collectifs de lutte contre les violences policières dans les quartiers populaires ?

Pour poser ces questions et faire avancer le mouvement, il y aurait peut-être besoin d’avoir un meilleur lien entre les lycéen.nes et les étudiant.es, que les lycéen.nes soient invité.es aux AG étudiant.es et que les étudiant.es participent plus massivement aux actions lycéennes, une façon aussi de transmettre une expérience des luttes et de l’auto-organisation. Plus largement, les lycéen.nes en lutte aujourd’hui ont eu comme de la chance de ne pas avoir à subir de riposte policière, ils et elles paraissaient insuffisamment informé.es des façons de se protéger collectivement et de leurs droits face à la police. Bref, ces convergences entre étudiant.es et lycéen.nes (et des autres travailleur.ses en lutte) sont aussi nécessaires pour diffuser largement le matériel militant comme Que faire face à la police ?