La social-démocratie attaque le prolétariat aussi bien que la droite

Comme souvent ces dernières décennies, les gouvernements de gauche sont autant à l’initiative des attaques contre les conditions de travail et de vie des prolétaires que les gouvernements de droite, comme ce fut le cas en Grèce et en Espagne, et aujourd’hui en France et en Italie. Ces attaques portent souvent sur l’allongement de l’âge de départ à la retraite ou encore la réduction de la durée d’indemnisation chômage. Le but est de nous faire taffer plus et de nous payer moins.

Dans cet esprit, et pour mener à bien son paquet de réformes nommé « Agenda 2010 » visant à une relance de l’économie allemande, le chancelier Schröder entreprit au début des années 2000 de s’attaquer aux chômeurs.  Pour cela, il fait appel à un sinistre gonze nommé Peter Hartz. Par ailleurs membre du puissant syndicat cogestionnaire IG Metall, Hartz s’était jusque-là fait connaître comme responsable du personnel et des ressources humaines chez Volkswagen. Il mena pour cette entreprise les négociations qui aboutirent à une baisse des salaires des ouvriers dans les années 90, obtenue après un classique chantage aux licenciements et à la délocalisation. Ce type d’accord s’est banalisé ces dernières années. Notons qu’en France, renforcés par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de 2013, les patrons ont déjà les coudées franches pour des baisses de salaire de ce genre.

Développement du travail précaire avec les « mini jobs »

La réforme de Peter Hartz se déclinait en quatre volets mis en place sur deux ans. Annonçant lutter contre le chômage, ses mesures comportent autant de déclarations de guerre contre les chômeurs. Comme en France avec le renforcement des contrôles par Pôle-Emploi décidé par l’ancien ministre Rebsamen, il s’agit faire croire que si les chômeurs ne trouvent pas de boulot, c’est de leur faute. Un des points du premier volet, Hartz I, fut donc de durcir les conditions de l’allocation-chômage en interdisant au chômeur de refuser une offre d’emploi jugée « décente »… par l’administration bien sûr. Par exemple, un emploi moins bien payé que son emploi précédent et/ou situé dans une autre ville ne constitue plus, au regard de la réforme, un critère recevable de refus. Pour compléter la mesure, un refus non justifié donne lieu à une sanction allant de la pénalité à la coupure de l’allocation.

Cela ne fut qu’un début. Car « Hartz II »  a accélèré d’un cran la mise au pas des chômeurs et la baisse des salaires en développant les emplois dits « complémentaires », appelés les « mini jobs » dont le montant ne peut excéder 450 euros mensuels et les « midi jobs » plafonnés à 850 euros. Ces mini jobs sont soit-disant destinés à compléter des retraites insuffisantes ou à être des jobs étudiant. Mais sur les 7 millions de « mini jobs » pourvus, prêt de 5 millions sont l’unique source de revenu. Ce recours massif à du travail « bon marché » a contribué à faire baisser les stats du chômage; il a aussi fait exploser la précarité et le nombre de travailleurs pauvres.

L’ère du workfare1avec les « 1 euro jobs »

Hartz IV, le dernier volet des attaques sur le salaire indirect est le plus violent. La durée d’indemnisation des chômeurs a ainsi été réduite de façon drastique, de 32 à 12 mois. Au-delà de ces 12 mois les chômeurs ne reçoivent plus qu’une aide sociale de survie avoisinant les 350 euros. C’est là qu’entre en scène le dispositif des « 1 euro jobs », payés entre 1 et 2,5 euros de l’heure, pour 15 à 30 heures de taf hebdo. L’État ne se contente plus d’interdire de refuser une offre d’emploi, il contraint les chômeurs à travailler pour continuer de percevoir une allocation pour laquelle ils ont déjà travaillé. A travailler deux fois en somme !

Subventionnés par l’État, ils ont été réduit de 750 000 en 2007 à 150 000 aujourd’hui en raison de restrictions budgétaires (un peu à la manière des contrats aidés en France). Mais ils restent emblématiques de ce qui peut attendre les chômeurs d’ici et d’ailleurs, car tous les États cherchent à baisser les allocations des chômeurs ou à les conditionner2 à une activité ou un travail gratuit (ou presque en ce qui concerne Hartz IV).

Ce type dispositif prétend inciter les chômeurs à retrouver un travail, comme si c’était pour leur bien. Mais il n’est pas trop dur de capter qu’il s’agit d’un dispositif coercitif mettant à disposition de l’État et du patronat une main d’œuvre quasi gratuite. On est pas loin des dispositifs de workfare. On peut parler de « travail presque gratuit obligatoire ». Pour conserver leurs 350 euros d’aide sociale3, les chômeurs n’ont d’autre choix que de se soumettre à ces jobs sous-payés. Et même en admettant qu’une personne bosse pour le maximum possible, soit 30h à 2,5 euros, son revenu mensuel ne dépassera pas 650 euros.

Les attaques sur le salaire indirect servent à mettre la pression sur les salaires.

Les chômeurs constituent alors le vivier d’un marché de l’emploi parallèle pour les collectivités ou des associations, pour lesquels ils doivent se rendre disponibles dès que besoin, sous peine de sanctions.

Ce marché des emplois sous-payés a pour effet de mettre en concurrence les « chômeurs qui travaillent » avec le reste des salariés dont les postes sont de fait menacés. Car un patron préférera toujours embaucher quelqu’un qu’il pourra payer moins cher.

A travers ces réformes, les capitalistes mettent ainsi la pression sur les salaires directs et pouvoir continuer à augmenter leurs profits. C’est la dynamique actuelle de la lutte des classes. En dépit de nombreuses manifestations pour s’opposer aux réformes Hartz, l’Allemagne a pu compter sur l’appui d’un syndicalisme complètement intégré au processus de réformes, à qui la CFDT n’a rien n’ a envier.

Face à une crise de la consommation logique avec autant de travailleurs appauvris, l’État allemand a récemment instauré un SMIC à 8,5 euros brut début 2015, pour tenter de la juguler. Ce SMIC destiné aux travailleurs exploités par les « mini jobs » a de l’avis même du gouvernement du mal à entrer en vigueur car le patronat, sans grande surprise, contourne la loi en faisant travailler leurs salariés moins d’heure4.

 

 

 

 

 

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Notes.

1 Le workfare est un dispositif visant à conditionner le versement d’allocations ou d’aides sociales, à une activité ou un travail gratuit. Ce type de dispositif a pour l’essentiel cours dans les pays dits riches avec des fonctions sociales développées (assurances chômage, maladie…) dans le cadre de « l’Etat-Providence » ou du « welfare state » et avec lesquelles le workfare rompt clairement. Pour aller plus loin, Tantquil «Le workfare ou l’art de nous faire bosser pour ne pas perdre les allocs »

2 Citée dans Libération (10/05/2011) une chômeuse longue durée expliquait alors : « Lorsque ma conseillère de réinsertion m’appelle, c’est pour me proposer de trier des papiers à la paroisse d’à côté, ou de répondre au téléphone dans une maison de retraite. Six heures par jour, trente heures par semaine, payée un euro de l’heure ! Je ne peux pas refuser sous peine de voir diminuer mes indemnités…»

3 Ça n’arrive pas qu’aux autres ! Alors que ce ne semblait être jusqu’ici qu’une lubie du député de droite Laurent Wauquiez, c’est un de ses compères Eric Straumann qui va exhausser son voeu. Ce dernier, à la tête du Conseil départemental du Haut-Rhin a fait adopter que le versement de cette allocation sera conditionné à 7 heures hebdomadaires de travail gratuit.

4 « Mon mini job est toujours payé 450 euros par mois. Depuis l’arrivée du salaire minimum je travaille deux jours de moins par mois mais je ne touche pas un euro supplémentaire ». Une septuagénaire qui trime à l’usine pour compléter sa maigre retraite, citée par Lepoint.fr (2/3/2015)