AU PROGRAMME

MARDI 23 FEVRIER – « L’emprisonnement sous l’état d’urgence »
18H à l’IEP (Science-Po) de Rennes 104 bv de la Duchesse Anne – M° Ste Anne
Table de presse avec distribution de textes, suivie d’une projection du film « Punishment Park », puis d’un débat sur les nouvelles formes d’emprisonnement d’exception (assignation à résidence, centre de rétention pour fichiers S…)

MERCREDI 24 FEVRIER – AUTO-FORMATION « Face à police et la justice, défense collective ! »
18H30 à la Maison de quartier Villejean – Salle Rosalie au 2 rue de Bourgogne – M° Villejean ou Kennedy
Projection du montage N’avoue jamais, jamais, jamais… ou La fiction cinématographique fournit-elle de bons alibis ? par les Archives Getaway (sous réserve)
Présentation de guides et distribution de guide de défense suivi d’un débat : « Que peut on dire et conseiller dans un guide militant ? »

JEUDI 25 FEVRIER – DEBAT
16H au bar Le Panama, 28 rue Bigot de Préameneu M° Jacques Cartier
« L’état d’urgence est-il la fin de l’état de droit ou l’avènement d’un nouveau pouvoir judiciaire ? »

Avec la participation du Genepi Rennes, des Archives Getaway (sous-réserve), et de la legal team du comité ZAD de Rennes.

PRENDRE DU RECUL, S’ARMER DE SA MEMOIRE

Un coup d’œil en arrière nous a appris que les dispositifs principaux de l’état d’urgence ont été instaurés officiellement dans le cadre de la répression de groupes d’extrême-droite (ligues fascistes des années 30, OAS) avant de s’attaquer aux organisations indépendantistes et aux mouvements révolutionnaires de l’après-68.

Profitant de sa chasse aux groupes armés islamistes, l’État a remis à jour un dispositif policier et judiciaire dont le champ d’action a dépassé dès ses premières semaines les réseaux des auteurs des tueries du 13 novembre : dealers, réfugiés politiques, militants syndicaux et écologistes…
L’état d’urgence a fait basculer dans la juridiction antiterroriste aussi bien la petite délinquance qu’un ensemble de pratiques banales qui constituaient jusque là l’ordinaire de toute forme d’organisation et d’opposition au pouvoir : usage anonyme d’internet et des communications téléphoniques, détention d’ouvrages politiques, réunions militantes, rassemblements et manifestations…

De fait, ces mesures ont ouvert un boulevard juridique à la répression de la moindre forme de conflictualité sociale, en enfonçant un certain nombre de garanties juridiques formelles d’importance et en menaçant aujourd’hui les possibilités concrètes de s’organiser pour lutter.

Pourtant, loin de constituer le renoncement et la mort politique qu’on nous promet aujourd’hui, l’état d’urgence inauguré en 1955 au cœur de l’insurrection algérienne a été le point de départ d’un mouvement politique qui fait de la défense collective (aussi bien dans la rue, que dans les tribunaux et les prisons) une des forces majeures du mouvement révolutionnaire des décennies qui ont suivies.

Dans le sillage de la défense des combattants FLN, des groupes comme Défense Active à partir de 1969 ou Défense Collective à partir de 1972, dans des revues comme Actes à partir de 1974, des avocats, des juristes, mais aussi des «usagers» des tribunaux, militants ou non, ont su mettre en commun leurs savoirs et leurs expériences pour s’organiser dans une perspective subversive, au-delà de la défense militante, parfois même au-delà de ce qui se jouait au tribunal, sur les questions liées aux droits sociaux (travail, santé…).

De ce bouillonnement naîtront aussi les boutiques de droits, le courant de la défense libre, le CAPJ (Comité d’action des prisonniers et justiciables), gagnant par exemple le droit de consultation du dossier judiciaire (préalable nécessaire à l’éventualité de se défendre sans avocat) ou soutenant activement le refus du travail.

RETROUVER DES PERSPECTIVES RÉVOLUTIONNAIRES

Pour ne pas sombrer dans une indignation un peu amnésique et désespérée, c’est donc à partir de ces pratiques et des imaginaires de la défense que nous voulons aujourd’hui retrouver la force et l’intelligence collective pour faire face à cette nouvelle économie de la répression qu’est l’état d’urgence.

Et parce que la revendication identitaire donne à manger aussi bien aux groupuscules qu’aux grands partis réactionnaires, nous faisons le pari qu’il est possible de recréer quelque chose de large et de commun autour de la défense collective.
Celle-ci incarne pour nous le refus d’être des victimes, et se situe à contre-courant des replis communautaires, affinitaires ou religieux qui accompagnent une dépolitisation de l’idée révolutionnaire, qu’ils se présentent comme l’alternative ou des « formes de vies ».

Si l’opposition à l’état d’urgence doit être sans exception, nous estimons qu’il faut lutter pour que la contestation sociale (ou même les tentatives de subvertir l’état de choses présent) ne puissent en aucun cas être amalgamées à la religion dans ses diverses formes de normalités, que celle-ci soit plus ou moins radicalement rigoriste, morale, qu’elle soit compatible avec l’économie de marché ou la gestion d’un état.

Un certain nombre de voix d’opposants s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer la « fin de l’état de droit » que représente l’état d’urgence, au motif qu’il serait remplacé par des mesures administratives sous la coupe des préfets.

Cette vision de « l’état de sécurité », qui puise largement son imaginaire et son contenu théorique dans l’analyse des années 30 et l’arrivée au pouvoir du fascisme en Europe, pose question à l’heure où le droit « classique » a atteint un degré de prolifération exceptionnel et encadre aujourd’hui la plupart des faits et gestes d’organisation et de résistance politique.

Peut-on réellement croire à l’effondrement du pouvoir judiciaire au profit d’un pouvoir policier ?
Et surtout, comment pourrait-on prendre la défense de ce qui est n’est qu’un des versants du système pénal ?

On peut s’indigner de la violence des interventions policières et des perquisitions qui ont marqué l’inauguration fracassante de l’état d’urgence, mais ces pratiques administratives « exceptionnelles » nous sembleraient encore plus graves et dangereuses si elles étaient encadrées en plus par le droit pénal et systématiquement accompagnées d’un passage au tribunal « ordinaire » et de peines dans les prisons « normales ».

Par ailleurs, il est intéressant de noter que des réformes (répressives) du système judiciaire et de l’administration pénitentiaire sont réclamées à grands cris par des députés, des magistrats, et des opposants de droite au nom de la régulation l’état d’urgence, dans ce qui est une volonté affirmée de prévenir ses dérives et excès.
Plutôt qu’une menace pour le droit dans sa forme classique, le caractère policier et administratif des mesures antiterroristes n’est-il pas la phase qui précède une normalisation « démocratique » de l’état d’urgence ?

Au regard des expériences des mouvements (notamment en Allemagne et en Italie à la fin des années 70, ou en France au début des années 80) qui ont connu ces mesures d’exception et surtout l’avènement d’un pouvoir judiciaire qui les a prolongées, il nous semble important de prendre du recul par rapport à la situation présente : plus que jamais, il s’agit de comprendre les enjeux et les dangers que représente la normalisation de la situation, que ce soit par la constitutionnalisation de l’état d’urgence et surtout les réformes de la justice et de la prison appelées par une grande partie de la classe politique française aujourd’hui, et contre lesquelles il faudra nécessairement s’organiser.