Karnaval de Rennes : La cantine met les pieds dans le plat…

À peine le Karnaval terminé, toujours dans le vif des événements, les condamnations ont commencé à pleuvoir drues. Sur internet, des anonymes critiquent depuis leur radicalité des organisateurs à l’homogénéité politique fantasmée pour leur volonté parfois maladroite que cet événement fût ce à quoi ils aspiraient qu’il soit. Dans les journaux, on cite vaguement des organisateurs (COPAIN 35), sans nommer de source ni renvoyer à quelque communiqué, qui se félicitent du bon déroulement des choses place du Parlement pour condamner ensuite les dégradations. Au TGI, on fait tomber 11 mois de ferme avec mandat de dépôt, dans l’urgence et sans preuve, et on arrose la BAC pour ses bons et loyaux services.

Le banquet place du Parlement n’a pas été un moment différent par essence du reste de la journée : il a été pensé en commun avec les autres composantes du mouvement, à la fois comme lieu de rencontre et comme amorce pour le carnaval. Il s’agissait dès le repas de nous débarrasser de nos représentations habituelles, de faire entrer le merveilleux, le masque et le renversement au coeur de la ville. Son organisation a impliqué un grand nombre de personnes et collectifs, et nous tenons particulièrement à remercier COPAIN 35 pour leur soutien matériel, et leurs dons de légumes, qui inspirèrent notre « couscous arlequin ». Il ne s’agissait pas simplement de manger ensemble, mais aussi d’affirmer une manière de manger autrement, de manger depuis la ZAD, que ce soit avec un repas et des pâtisseries entièrement végétaux, ou avec l’accueil du banquet des Q de Plomb*. L’importante logistique qu’aura nécessitée l’organisation du carnaval a été l’occasion de s’éprouver ensemble, et, sans mettre de côté nos divergences éthiques – notamment sur la question de la viande -, d’accroître notre force et notre intelligence communes, en rendant la répétition de ce type d’intervention plus simple.

Le banquet et le défilé ne peuvent ni ne doivent être décrits comme moments séparés, car ils participaient d’un même mouvement carnavalesque. Il s’agissait de faire, en place publique, acte de subversion, entendue comme réappropriation par tout un chacun de la possibilité d’un geste autre à celui qui était attendu, d’un usage plus émancipateur des espaces. La réussite d’un carnaval est dure à exprimer, car elle se fait dans le bouleversement de ceux qui ont été pris dans son sillage, mais aussi de ce qu’il laisse, sous les masques, transparaître de puissance réelle. De même que la cantine peut servir un grand banquet raffiné et joyeux, elle saura, en cas d’attaque sur la ZAD, y nourrir des milliers de personnes venues repousser César ; et ainsi des centaines de carnavaliers et carnavalières qui sauront se faire bien plus mordants si l’État persiste à vouloir évacuer la ZAD. Il est en tous cas hors de question de se désolidariser des actes de « casse » et de plaindre quelques vitrines, car le seul reproche ici possible est d’avoir peut-être trop vite, sans considération stratégique, donné un aperçu trop « nu » de ce que produirait une foule enragée par des attaques contre la ZAD. D’autant que dans le même temps, l’Etat s’est montré dans ses atours les plus offusqués, donnant dans l’après-midi même un bilan chiffré de son intervention : 5 interpellations, et 110 tirs de munition (grenades lacrymogènes et flashball confondus). Est-il possible de mettre en balance quelques vitrines brisées et les corps contusionnés, blessés, mutilés que laissent derrière eux les tirs de la police ? ** Doit-on encore rappeler que l’entière responsabilité de l’intervention des flics ne repose en rien sur l’intensité des dégradations (la FNSEA fait bien plus), mais bien qu’elle incombe au seul préfet, et à sa hiérarchie ?

Nous appelons nos alliés, qui qu’ils ou elles soient, à poursuivre le travail de composition autour de la ZAD, de manière intelligente et déterminée. Il s’agit de continuer à construire des infrastructures, nomades et réversibles, comme des machines de guerre pour couvrir les différents champs de l’affrontement présent et à venir (alimentation, soin, défense juridique, médias, logistique…), et à approfondir les liens qui se sont tissés avec ceux pour qui la ZAD résonne comme une brèche ouverte dans les devenirs étouffants de ce monde déjà ruiné. Les mots d’ordre d’instauration de communes partout, de réappropriation des terres, et de construction de l’autonomie politique et matérielle du mouvement révolutionnaire sont ceux qu’inspire la ZAD. Il s’agit maintenant de savoir jouer avec finesse entre l’affirmation protectrice de sa capacité de nuisance, et la poursuite de l’invention des vies nouvelles qu’elle abrite et suscite.

Une large partie des bénéfices issus du banquet a été reversée en soutien aux inculpés. Nous aspirons à voir ce type d’événement se reproduire et gagner en ampleur, pour le plaisir, pour soutenir nos camarades, pour renverser, encore et encore, le cours normal des choses. Retrouvons bientôt dans la rue, pour casser la croûte, et plus si affinités.

A.T.A.B’ – Cantine de lutte

* Depuis 2009, les banquets des Q de Plomb ont lieu au Liminbout, une ferme au coeur de la ZAD. Ils ont été le premier espace de rencontre entre les occupants « illégaux » nouvellement arrivés et les habitants qui résistent. Ils sont nés de la nécessité de partager des moments joyeux ensemble, au-delà de la simple organisation politique.

** De nombreux récits ont afflué ces derniers jours, qui témoignent des violences commises par les flics. Voir par exemple http://zad.nadir.org/spip.php?article3590