Ce texte se veut une réponse aux auteurs du texte « à nos faux amis ». Il s’agit concernant celles et ceux qui se sont donné du mal pour écrire ce texte de leur montrer ses impasses. Rappelant les évènements du samedi 6 février, ils nous proposent d’y voir une manipulation aux formes autoritaires, manipulatrices et « politiciennes » des organisateurs du karnaval. Loin de nous, ici, l’idée de défendre ces derniers ni de me sentir visés par ce texte. Au contraire, j’aimerai montrer simplement en quoi ce texte me parait tendancieux voire délibérément aporétique.  Ce texte, prenant des accents futilement « nique-tout » et reprenant à son compte une « politique de la radicalité » n’est autre chose qu’une imposture délibérée (ou une méprise) aux yeux de tous ceux qui œuvrent à la destruction économique, politique et logistique du projet d’aéroport de NDDL.

 J’y vois, pour ma part, un effet de style d’une politique qui ne dit pas son nom, une politique de la (im)posture de la radicalité. A ces militants du « catéchisme révolutionnaire », je leur souhaite au pire un vague recul critique ; au mieux je leur souhaite de prendre en compte l’idée très concrète que leur délire n’accouchera qu’à un mouvement de 10 personnes.

Le samedi 6 février, à l’appel du comité ZAD de Rennes, s’est tenu un karnaval afin de porter un point d’orgue dans une dynamique de luttes contre l’aéroport de NDDL. Ce Karnaval prend place dans un contexte d’une lutte historique contre un projet urbain d’aménagement du territoire et d’intensification des flux marchands, brassant alors nombre de tendances de la gauche institutionnelle, des courants écologistes parlementaires et non-parlementaires mais surtout des groupes politiques révolutionnaires de toute la france. En cela, la lutte contre l’aéroport de NDDL est un espace politique nouveau dans ces temps actuels où la politique extra-parlementaire se heurte aux forces étatiques, institutionnelles et juridiques de l’état d’urgence.

D’autre part, la Zone A Défendre  est aujourd’hui au carrefour des luttes, ce qui la place comme fédérateur et catalyseur des pratiques révolutionnaires : il s’agit d’un lieu d’autonomisation du politique extra-parlementaire et révolutionnaire qui s’est construit sur une radicalité processuelle, autonome avec pour souci majeur de fédérer un ensemble de pratiques politiques voulant échapper et combattre les formes néolibérales du capitalisme. Peut-être que les auteurs du texte « à nos faux amis », par souci de radicalité, ont peut-être oublié qu’une dynamique révolutionnaire tient par sa capacité à composer des gens ayant des pratiques, des discours, des liens, des milieux sociaux relativement différents, et non par sa capacité à dénombrer le nombre de mètre carré de vitrine tombées.
A propos du déroulement de la manifestation du 6 février, je vous invite à reconsidérer ce qu’il s’est passé autant que ce qui s’est historiquement passé à Rennes en termes de répression policière.  Ainsi, la manifestation rennaise de samedi, du fait qu’elle ne se résumait pas au seul « milieu anarchiste et autonome », ne s’est pas vue interdite, ni totalement encerclée dès son début. C’est en comprenant les logiques de la préfecture que les manifestations auxquelles « nous » appellerons ou « nous » participerons, que l’on pourra véritablement avoir une marge de manœuvre, un espace autonome vis-à-vis des forces de police.

Malheureusement, ce genre de subtilités semble vous échapper puisque la seule affirmation selon laquelle « de Rennes à Gaza et de Milan à Athènes, les flics, les juges et les prisons défendent l’État et le capital » vous permet d’avoir une analyse très pauvre des enjeux de ce Karnaval. D’ailleurs, c’est à partir de l’argument d’une radicalité sans subtilité, d’une radicalité qui se détache totalement des enjeux concrets que vous vous permettez de dire que « nous n’accepterons pas de composer avec celleux qui s’empresseront de nous tirer dessus ». A croire que si des personnes ne sont pas d’accord avec vous, alors même que vous avez eu l’espace, le temps et les capacités de parler avec ceux qui ont organisé ce karnaval, ce sont des « collaborateurs »… La pauvreté de ce genre de raisonnement me fait au mieux sourire, et au pire correspond à l’impuissance théorico-pratique dont vous faites preuve.
Comment vous faire comprendre que l’on ne peut à la fois pas oublier que –malheureusement – la police a plus de force de frappe que nous, mais aussi que c’est notre capacité à nous organiser logistiquement et politiquement qui nous permet collectivement d’ouvrir ces lieux et ces moments où la présence policière est étrangère. Car, en effet, on peut bien évidemment dire que « personne ne contiendra notre colère », mais tout le monde sait que quand tu dois t’en servir pour échapper à une arrestation ou te défendre devant un tribunal, malheureusement cela est peu adapté. A ce qu’il parait, peu nombreux sont les juges qui sont réceptifs à ce genre d’argumentaire.

Il était clair qu’il n’y avait aucun intérêt, aux yeux du préfet et du ministère de l’intérieur, à interdire le Karnaval de samedi. C’est justement à partir de ce point que l’idée des jets de peintures, d’œufs, de farine et des tags prenait la mesure à la fois des forces répressives ainsi que l’idée de fédérer une hostilité pratique envers la métropole capitaliste rennaise. A l’inverse, ne pas se soucier de la police et des personnes qui composent le cortège, c’est en quelque sorte jouer aux apprentis magiciens et refuser de se poser la question véritable qui doit habiter n’importe quel groupe qui se dit « révolutionnaire » : comment prendre en compte l’altérité non-révolutionnaire ? Qu’est-ce qu’être révolutionnaire ? Comment partager un processus révolutionnaire ? A vous suivre, ces questions vous sont totalement étrangères, et pour vous, ça n’a même aucun intérêt dans la mesure où seule la pure puissance à être radical vous concerne. Autrement dit, il n’est pas question pour vous d’échanger, de composer, de comprendre la situation, de comprendre pourquoi les gens sont venus au karnaval, bref d’y voir l’occasion de confronter une radicalité collective avec d’autres personnes que vous…

D’ailleurs, ignorez vous que tout le monde peut casser des vitrines, même un baceux avec sa matraque télescopique ? Si c’est l’action et la puissance qui formulent pour vous la seule « cause révolutionnaire », il est toujours possible, même sous état d’urgence, d’aller faire une mission commando une nuit sur deux pour aller faire des ravalements de façades. Cela pourrait allègrement se faire. Mais dès que l’on se soucie de fédérer, les seuls mots qui vous viennent à l’esprit sont ceux d’ « autoritarisme » et de « stratégie politicienne ». Et cela constitue, à mon sens, une erreur pour plusieurs raisons. Tout d’abord, considérer les discussions collectives sur les moyens et les objectifs fixés pour ce karnaval –jets de peintures, de farine, etc. -, comme une forme « d’autoritarisme » est la marque de votre individualisme tendancieux. Le « moi-je » de l’anarchiste à tendance libertarienne ne semble être qu’une forme grégaire d’un révolutionnaire qui ne se prend pas au sérieux : un militant d’une politique de l’imposture révolutionnaire. Si vous aviez pris le temps de parler aux gens qui composaient le cortège, vous auriez compris, par ailleurs, une autre chose :  la violence n’est pas une évidence. Car si l’on mesure la radicalité à sa violence, alors vous manquez de force de frappe. Ici nous remarquons une deuxième impasse de votre politique, celle qui consiste à ne pas prendre en compte ceux qui n’ont pas de pratiques émeutières. Mais bon, pour vous, si une personne ne se sent pas « joyeux » – pour reprendre vos mots –, à l’idée de défoncer des vitrines, c’est que décidément elle n’est pas vraiment révolutionnaire. En définitive, il s’agit pour vous de trancher selon le seul critère de la « puissance » les amis et les ennemis ; et des ennemis vous en avez beaucoup. Si véritablement vous vous étiez préoccupés de savoir comment, dans quelle mesure et avec qui s’organiser pour détruire des vitrines, vous en auriez parlé, vous auriez pu – éventuellement – faire un « fly » sur les procédures policières, les manières de parer une arrestation et voir même ramener de quoi équiper d’autres gens que vous… Au lieu de cela, vous avez foncé têtes baissées, forts de vos expériences si viriles et de vos exploits dans le passé, au risque de faire d’un carnaval manifestant une hostilité  certaine et assumée (mais pour vous pas assez révolutionnaire !) en une manifestation où il nous était plus possible de nous défendre physiquement et logistiquement.
Finalement, pourquoi dites vous que « derrière la joie se cache une amertume certaine et la colère contre les organisateurs du karnaval » ? Certes, une certaine personne vous a alpagué sans délai en donnant un coup de poing. En cela, ça ne rimait à rien. Cependant, la justification que vous mettez en avant considérant que les « organisateurs du karnaval veulent se poser en leaders de révoltés qui n’entendent pas se faire dicter des ordres », n’est pas sans poser de problèmes. Ce que vous évoquez sous le terme d’ « ordres », c’est finalement ce par quoi le carnaval pouvait à la fois tenir une pratique hostile au maintien de l’ordre et aux gouvernants néolibéraux ! Cela ne correspond pas à des « ordres » mais bels et biens à des pratiques qui sont collectivement assumables et que le carnaval pouvait tenir sans s’en prendre plein la gueule !

Derrière vos critiques dites « anti-autoritaires » se cachent des paradoxes insolubles (sur la radicalité, la violence, l’idée de propager des pratiques révolutionnaires sans prendre en compte l’altérité qui la sous-tend, etc.) qui vous permettent de renverser la situation à votre avantage. Il est clair qu’aujourd’hui ce n’est pas en promouvant une forme pragmatique de radicalité que l’on pourra assumer un conflit très tendu sur la ZAD. Il n’y a pas que l’option du « catéchisme révolutionnaire » de Netchaïev dont vous vous faites les porte-paroles et les exécutants ; bien plus, il y a à créer des formes de luttes révolutionnaires dans des processus à construire – le karnaval en était une simple expression – et qui sont forts des liens, des amitiés, des rapports de confiance qui peuvent s’établir entre différents groupes politiques fédérés autour de la ZAD. Reste alors à définir qu’elles sont nos limites et nos capacités pour ne pas que cette lutte s’enferme et, de ce fait, se fasse déglinguer.

Un militant rennais