3 jours plus tard, R., un arrêté, est déféré en comparution immédiate, après avoir passé le week end dans la taule de Carquefou. Il est accusé de rébellion, participation à un attroupement armé – l’arme étant une bouteille vide – et coup de pied sur la portière de voiture de la police municipale. Dans la salle des pas perdus, c’est la compagnie qui avait chargé la manifestion qui monte la garde, armes en main. Dans la salle d’audience se massent des agents de renseignement, des policiers de la BAC, d’autres en uniforme, et la hiérarchie policière. Le procès va durer 4 heures, un procès à grand spectacle. Fait rarissime, le Directeur Départemental de la sécurité publique, Jean-Christophe Bertrand en personne, viendra soutenir ses hommes à la barre. Cette présence même est un aveu, les autorité viennent justifier devant la presse les « dérapages » du week end.

Une jeune juge aux dents longues préside la séance. Après avoir passé en revue les rapports de police, elle consulte les dossiers médicaux. Le prévenu, R., présente des bleus sur le corps et des traces de strangulations. Gazé et tabassé au sol pendant la manif’, il explique avoir été « étranglé et menacé de mort, pendant tout le trajet avec des coups sur la tête ». Tout au long du procès, les magistrats s’acharneront à expliquer que ces blessures prouvent la violence du prévenu. « Faites vous un lien entre les méthodes employées et votre attitude ? » insiste la présidente. « S’il a fallu 3 policiers pour me maitriser, c’est que je dois être vraiment très fort » grince le prévenu. La juge s’énerve, « pourquoi vous aurait on étranglé si vous étiez calme ? ».

Agrippé par derrière puis plaqué au sol, R. explique n’avoir pas compris qu’il s’agissait de policiers. D’autant plus qu’il n’y avait ni sommation, ni brassard. « C’est au moment ou j’ai senti une matraque dans mon dos que j’ai compris ». « Vous pensiez que c’était qui, ces gens? » interroge la procureure. « Des anti-manif, des fachos »

Le Brigadier interpellateur, l’air tout droit sorti d’une mauvaise série policière, vient témoigner à la barre, après avoir échangé quelques plaisanteries avec la présidente. « Je n’étais pas porteur de brassard. Le Directeur Départemental de la Sécurité Publique a décidé d’accompagner nos deux équipages de la BAC pour suivre le cortège. » Lors de son intervention, il décrit des scènes d’apocalypse. « Bon, on sort des bâtons de défense et on charge. C’est un déluge de coups qui tombent de partout, les collègues crient mais je ne lâche pas, je tiens bon. Je dis à mon collègue « Cédric, j’en peux plus ». Une scène épique décrite à des magistrats complaisants, alors que la scène n’a duré en tout et pour tout quelques minutes dans les rues de Bouffay. «Pendant l’interpellation, on continue de prendre des coups, un homme en noir vient me donner un coup de poing et repart ». Le flic ose même : « en 20 ans de BAC, je n’avais jamais vu une telle violence ! ». R. est emmené sans ménagement dans au commissariat, dans un véhicule de police municipale. « Monsieur devient tout mou, il mime un malaise. C’est un poids mort et ça m’arrange. On le prend et on le charge la tête la première dans la voiture … avec les portières ouvertes hein ! ». L’épopée imaginaire continue : « on reprend une salve de coups, je dis au chauffeur de foncer. La situation est toujours aussi violente autour de nous. Alors là oui, je me suis emporté, je plaque [R.] contre la banquette. Effectivement j’ai proféré des insultes, ta gueule, enculé, tout ça. S’il y a aussi eu des menaces de mort, c’est parce que j’ai cru qu’on allait tous mourir dans ce déferlement de violence. » Alors qu’il parle à la barre, le flic, qui explique avoir eu un « flash post-traumatique », serre les poings, mime les coups « je l’ai choppé, j’en ai toujours des courbatures ». Au cours de l’intervention, il accuse R. d’avoir voulu lui donner un coup de bouteille au visage. « Qu’est ce que je pouvais faire ? Maintenant les gens n’ont plus peur de nous ! »

C’est au tour du patron de la police nantaise de venir témoigner à la barre. Jean-Christophe Bertrand, allure de croque-mort et costard assorti, entre dans la salle, accueilli par le sourire jusqu’aux oreilles de la juge. « Le tribunal vous écoute » l’introduit-elle d’une voix mielleuse. Le directeur de la sécurité accuse les manœuvres « incompréhensibles » de la police municipale qui remontait la rue alors que le cortège arrivait, d’avoir mis le feu aux poudres. Il emboite le pas du brigadier « on a été confrontés à une agression caractérisée, on a du repousser les assaillants. Moi même j’ai reçu un coup à la tempe ». A-t-il vu la rébellion dont on accuse R. ? « Je n’ai pas vu précisément la scène parce que j’avais perdu un verre de lunette. » La présidente lui sourit à nouveau. « Mais j’ai vu plusieurs coups ».

La mairie de Nantes, sans doute embêtée par les proportions prises par cette affaire a également envoyé un de ses avocats. Celui-ci plaide pour défendre l’image de la police municipale et la « gestion humaine des sans-domicile» à Nantes. Il s’agit de faire oublier que les flics de Johanna Rolland ont écrasé un homme menotté, en soulignant quand même que ce SDF « ennuie régulièrement les habitants ». Quid de la police qui a accéléré dans la foule ? « C’était un geste technique pour protéger les policiers. » L’avocat de la métropole conclut par un joli lapsus «ce SDF a été blessé intentionnellement dans le cadre de l’intervention ».

L’avocate des trois policiers plaignants évoque pêle-mêle les manifestations « altermondialistes » à Nantes, et les « débordements d’activistes que cette ville connait régulièrement ». Elle s’indigne que son client soit « obligé de se justifier. De victimes, ces policiers, de manière lancinante, subissent des accusations. » Concernant les traces de violences ? « Tous les actes posés, y compris l’étranglement, sont des actes expérimentés et utilisés au quotidien par les fonctionnaires. » Les coups de matraque ? « Des gestes techniques », « une violence légitime et légale, dans le combat au cour de cette manif ». Les hématomes ? « Les traces constatées sont assez classiques ». Des trémolos dans la voix, elle évoque la mission épuisante de la BAC. « Imaginez un policier municipal au cœur de cet enfer !»

La procureure emboite le pas des parties civiles, dénonçant les manifestants qui se prennent pour des « justiciers », le « réflexe anti-police incompréhensible », et les articles qui ont circulé sur « des sites internet qu’on connait très bien ». Le lexique guerrier aura plané tout au long des débats : « il y avait des assaillants de toutes parts, les policiers étaient la pour protéger les libertés fondamentales. » croit savoir la magistrate qui s’acharne même à défendre les insultes reconnues par le brigadier « il a eu peur pour sa vie, alors dans la voiture il s’est relâché ». Elle requiert sur un ton badin des mois de prison ferme avec mandat de dépôt, en précisant que c’est une peine qui « va évidemment paraître sévère ».

L’avocat de la défense enfin, analyse le procès pour ce qu’il est : une « opération de damage control. Chaque intervenant vient s’expliquer parce qu’on sait que ça a dérapé. Chacun vient se couvrir devant la presse ». Un spectacle qui exige de sacrifier un prévenu chargé de toutes les faute. On apprend aussi que « le parquet est à la pointe des qualifications d’attroupement armé en France ». Il suffit d’une bouteille ou d’un caillou en manifestation pour inculper n’importe quel participant d’attroupement armé, ce qui permet d’esquiver l’accusation d’attroupement simple qui nécessite l’usage de sommation. L’avocat ironise sur les descriptions totalement fantasmatiques d’une police qui aurait été débordée au point d’oublier de mettre un brassard, « c’est juste un scratch, on ne leur demande pas de prendre une serviette de bain et de changer de tenue ». Dehors, il fait nuit. Le Directeur de la Sécurité Publique a quitté la salle depuis longtemps.

Le tribunal condamne finalement R. à 6 mois de prison avec sursis, ainsi qu’au versement de 500 euros de dommages et intérêts aux trois policiers qui l’ont interpellé. Il est relaxé pour dégradations, le véhicule de police municipale n’ayant même pas été esquinté par le coup de pied. 1500 euros : le prix d’un passage à tabac policier par temps d’État d’Urgence.