Samedi 1er août 2015

Alors, on apprend la mort de Michel Tarin. Ça fait chier. Le cancer a emporté un camarade, le genre avec qui on n’est pas toujours d’accord, le genre pas toujours tendre avec nos modes d’action. Mais aussi le genre têtu, présent dans la lutte anti aéroport depuis le début et qui a vieilli avec elle. Il incarne un pan de l’histoire des luttes paysannes radicales de la région. Il a participé à la naissance de l’ACIPA. En 2012 il a fait partie des grévistes de la faim qui ont obtenu des socialistes l’engagement que les habitants légaux ne pourraient être expulsés, permettant des bases solides sur la zone qui ont participé à l’échec de l’opération CESAR.

On a eu l’envie de partager avec vous des bouts de récits issus d’un entretien réalisé avec lui il y a quelques mois. En forme d’hommage.

MAI 68

« On a participé à mai 1968 en tant que « paysans en lutte ». On avait organisé un soutien des paysans du coin à la première usine occupée, SUDAV à Bouguenais, l’équivalent d’airbus aujourd’hui. Le ravitaillement ça été la première forme de soutien concret. On apportait des patates, du lait, de la viande, des légumes. Y’avait des bouffes en commun, des discussions à n’en plus finir. Le 24 mai 68, on a rebaptisé la Place Royale « place du peuple », pendant la grosse manif. Nous les paysans, on était à cette manif avec les tracteurs, les épandeurs à fumiers et tout ça…. pour faire pousser les carottes en ville ! Quand on a quitté la place pour remonter vers la préfecture, ça pêtait sec ! On était vraiment des terroristes à l’époque. Rires. Il y avait un forgeron à Treillères, qui ferrait les chevaux et qui avait un bidon de 200l rempli d’écrous de charrue. On s’en mettait plein les poches. Un gars qui tirait très bien à la fronde, c’est Jojo Leroy. Avec lui, je te garantis que les fenêtres de la préfecture…

Ce qui m’avait marqué c’est les chantiers aux Batignolles. Les gars occupaient l’usine et l’ouvraient à leurs familles. A l’époque, personne ne rentrait dans les usines ! Quand on voit la manif de réoccupation à Notre-Dame-des-Landes, où les gens qui arrivaient avec les enfants et tout le monde. Ben il faut s’imaginer la même chose, mais dans les usines à Nantes, dans les rues, partout ! 68, ça venait bousculer tous ces vieux clichés, il y avait pas que foutre De Gaulle en l’air, comme à Notre-Dame-des-Landes, c’était des réflexions sur comment on peut construire une société différente. Mais bon, Mai 68, il y a un jour de juin où ça c’est…terminé en quelque sorte. Mais en réalité, rien ne s’est arrêté pour nous. ça a été un grand départ, un grand départ qui dure toujours. » Le mot d’ordre à la Sorbonne, c’était : de toute façon, mai 1968, on ne pourra pas le recommencer tous les jours, d’ailleurs on peut dire qu’on est planté, la révolution qui était en route, elle s’est arrêtée. Mais on a des acquis de lutte, comment continuer à faire mousser les choses pour amener cette révolution. Pour moi, il reste quelque chose de tout ça ici. Il y a un certain héritage politique. » SUR LES DEBUTS DU PROJET…

« On apprend qu’il va y avoir un aéroport en 1963. Coup sur la tête ! Il a fallu attendre 1969 pour avoir la première rencontre des maires des quatre communes concernées (note : Notre-Dame-des-Landes, Grandchamps, Treillères et Vigneux de Bretagne). Et là on a commencé à s’organiser, à se réunir, à demander des comptes aux élus. Et puis, en 1974, ce territoire a été décrété Zone d’Aménagement Différé. Donc dans les années 70, nous on avait déjà fait les premières manifs. Ça date pas d’hier cette lutte là, ça a été une lutte pour la défense de la terre. »

… ET LA DEFENSE DE LA TERRE

« Pour défendre la terre on a appuyé des installations sur la ZAD. Deux paysans : Hervé Bézier et Joël Gicquel. Hervé vivait chez ses parents, il était aide familial, et ses parents sont partis à la retraite, en se disant « on ramasse la monnaie, on vend la ferme », parce que le Conseil général achetait déjà à l’époque. Mais Hervé voulait rester à la ferme, alors nous on est intervenus, dans les années 76-77. On a monté le dossier d’Hervé, on l’a accompagné dans ses démarches administratives et on a imposé au père que son salaire différé soit payé en vaches. Il a eu ses premières vaches comme ça, et nous on a fourni les uns ou les autres des génisses comme ça, pour l’aider à démarrer, comme à la ferme de Bellevue !

Cette politique là, on l’a toujours menée : défense de la terre. Et on l’a imposée au Conseil général parce que au départ c’était vraiment dans l’illégalité : Joël et Hervé c’était du squat si tu veux, ils ne pouvaient pas cotiser à la sécurité sociale agricole, pas contracter de crédit, pas toucher les aides publiques.. Ils pouvaient rien avoir et donc on les a aidés à se financer. En 1981, la gauche était passée, on a obtenu du ministre des Transports Fitterman un document par lequel on pouvait exploiter les terres avec un bail précaire, puis une dérogation pour que des jeunes puissent s’installer. Voilà. Et c’est comme ça que se sont installés des jeunes dans les fermes de la Geneslière et de Saint Antoine. Installés en 76-77, puis régularisés courant 81-82. »

On pense qu’il est précieux de partager la mémoire des luttes. Michel en avait un rayon à raconter.

Salut à toi ! Une pensée à tous les proches.

Une cérémonie d’adieu aura lieu mardi 4 août, 13h30, salle Simone-de-Beauvoir, à Treillières.  

Des occupant-es de la ZAD