Qui sont les terroristes ?
contre les extraditions des réfugiés italiens

Aujourd’hui, le mot  » terrorisme  » est une arme de propagande employée par les différents Ministères de la Peur pour tenter d’imposer des conditions sociales chaque jour plus invivables. Toute personne qui met en discussion l’ordre de l’argent et des matraques devient ainsi un  » terroriste « . Il s’agit en effet d’une représentation médiatique où l’ennemi extérieur – l’étranger, le barbare – rejoint l’ennemi intérieur – l’insoumi, le révolté.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les demandes d’extradition contre des réfugiés italiens et le lynchage orchestré par la presse de ce pays contre Cesare Battisti.
Mais ce serait aussi de l’aveuglement que de ne pas remarquer qu’un tel emploi du mot  » terrorisme » (avec toutes ses conséquences répressives) a été favorisé par des idées soigneusement confuses et des pratiques ouvertement collaborationnistes de notre côté de la barricade.
Si le terrorisme est – selon sa définition historique – l’usage aveugle de la violence afin de conquérir ou préserver le pouvoir, alors les terroristes sont les Etats (ou leurs homologues et concurrents), les armées et leurs chercheurs en blouses blanches, les patrons et leurs serfs en uniforme. Le terrorisme, c’est la logique de la guerre avec ses frappes dans le tas ; une logique qui pose au même plan exploiteurs et exploités, riches et pauvres. Une logique sur la base de laquelle on massacre une population sous le bon prétexte de destituer un chef d’Etat… Et c’est cette même logique meurtrière – commune aussi bien à l’ordre marchand qu’à l’ordre religieux – qui, exportée partout dans le monde, nous revient maintenant par derrière (comme les bombes de Madrid).
Mais si, au contraire, le terrorisme est – selon la novlangue étatique – l’action directe contre les oppresseurs et leurs structures de mort, alors nous sommes tous des terroristes. Nous, comme tous ceux qui se battent pour subvertir cette société et détruire son terrorisme industriel.
Nous crachons à la gueule de tous ceux qui qualifient de  » terrorisme  » la violence révolutionnaire – qu’il s’agisse d’affrontements urbains avec la police, de sabotages ou même de l’homicide d’un patron ou d’un général. On peut bien-sûr ne pas partager certaines pratiques, mais il est pour le moins infame de les mettre sur le même plan que celles de la violence – elle oui aveugle et terroriste – de l’Etat. Ou de prétendre, comme cela a pu par exemple être le cas d’un écrivain qui se targue de radicalité, que les groupes armés aient réintroduit la peine de mort en Italie !
Toute discussion sur « la violence et la non-violence » doit partir de cette banalité : on ne peut certainement pas gloser sur la « non-violence » tout en collaborant avec des institutions et des partis qui ont fondé leur pouvoir sur le monopole de cette même violence et sur les massacres quotidiens que la démocratie provoque de part le monde.
Le point de départ est le refus de toute collaboration – à l’heure actuelle, un des crimes qui contient tous les autres. N’est-ce pas là le sens des invitations – lancées par exemple aux réfugiés italiens dont on demande l’extradition ou aux militants d’Action Directe – à se dissocier ou à se repentir ? N’est-ce pas là le sens de certaines prises de position qui parlent au mouvement mais qui s’adressent à l’Etat ?  » Terroriste  » n’est-ce pas de plus en plus souvent celui ou celle qui refuse d’abjurer la violence, qui se refuse à toute collaboration ?
Une non-violence étalée devant les juges et l’Etat n’a rien d’un choix éthique et tout d’un opportunisme collabo qui se traduit – on l’a vu maintes fois – par une répression majeure contre ceux qui n’abjurent pas.

Il est nécessaire de s’opposer à l’extradition des réfugiés italiens, mais sur des bases claires : il y a des coups de main qui nuisent plus que des coups de pied.
Nul besoin de certaines exagérations, qui tournent assez vite à la falsification. Au cours des années 70 italiennes, il n’y avait pas de dictature, et des milliers de jeunes prolétaires n’ont alors pas choisi la subversion armée pour conquérir… la démocratie. Laissons ces crétineries aux intellectuels et aux démocrates soucieux de leur image vis-à-vis de cette fable qu’est l’opinion publique.
Les conditions de vie n’étaient pas pires que celles d’aujoud’hui – au contraire, la domination actuelle est sans doute plus totalitaire. La situation sociale était juste plus favorable pour les insurgés, c’est tout. Et c’est éloigner encore plus toute perspective subversive que de faire croire que les raisons de s’insurger sont à présent différentes.
Si nous nous opposons aux extraditions – au-delà de tout lien d’amitié et même des positions démocrates de nombreux réfugiés aujourd’hui -, c’est parce que nous en voyons les enjeux : d’un côté, le délire sécuritaire qui voudrait pérenniser le présent, de l’autre une police de la mémoire qui voudrait enfermer un passé encore explosif derrière les barreaux.

De la révolte généralisée en Italie des années 70, nous défendons une possibilité non aboutie mais toujours féconde : la possibilité de saboter un ordre social et technologique inhumain et de s’armer contre toute spécialisation hiérarchisée et militarisée. C’est en cela que cette histoire nous parle encore. Si d’un côté la domination sape de plus en plus les conditions d’autonomie individuelle et sociale, les rackets politiques gauchistes (y compris combattants), très forts à l’époque, ne sont plus, d’un autre côté, qu’un amas de ruines : la partie reste ouverte.
Et de même que personne ne peut décider quand un conflit social commence, personne ne peut dire, et encore moins au nom de tout le monde, quand il se termine. Chacun, chacune, peut simplement y prendre sa part.
Quelles que soient les visées  » tactiques  » et  » stratégiques  » des uns et des autres, c’est le fondement éthique de la révolte avec toutes ses armes qui est attaqué à travers la question des extraditions. C’est là aussi qu’il faut faire barrage contre ce nouvel assaut des tribunaux ( » la justice, cette forme endimanchée de la vengeance ! « ).

Si les prises de position des intellectuels, quand elles ne reproduisent pas un immonde discours républicain, peuvent faire illusion sur la minorité qui accorde encore une quelconque importance aux pétitions et aux déclarations médiatisées, il est hors de question pour nous de s’aveugler : c’est bien entendu une  » force  » qui fond comme neige au soleil face à la répression.
Il est donc urgent – surtout pour les camarades qui refusent ou ne peuvent pas compter sur le milieu des écrivains et autres degôches – de proposer des solidarités qui sortent du virtuel médiatique.
Enfin, vue la solidarité classique entre Etats dans la traque des rebelles et les nouveaux dispositifs européens, la guerre  » contre le terrorisme  » est grosse d’avenir et de geôles…

Quelques compagnons italiens et français

Discussion/débat le lundi 10 mai 2004 à 20h
au Vouvray, 18 rue St Ambroise, 75011 Paris