Une crise durable du capitalisme. Depuis 2008, l’actualité est rythmée par la succession et le déplacement de crises, des subprimes à l’automobile, d’un continent à l’autre. A peine un feu est-il éteint qu’un autre menace de se déclarer, semant la panique jusque dans les états-majors des partis bourgeois. L’éclatement des bulles financières sur la dette des États menace d’éclater et justifie la généralisation des politiques d’austérité. Avec le blocage de la croissance, toutes ces irruptions démontrent que la sortie de crise n’est pas pour demain…

Mais le déchaînement des marchés financiers, la spéculation, la dette publique, ne sont pas à l’origine de la crise capitaliste. Ils sont les symptômes des contradictions qui agitent de plus en plus bruyamment la survie du capitalisme. Lohoff et Trenkle nous invitent donc à voir, à leur racine, ce qu’ils manifestent : une crise durableau coeur de cette société.

Il est vrai que les crises ont rythmé, régulièrement, la vie de la société capitaliste. Elles sont toujours l’occasion de corrections brutales, qui consacrent la supériorité des capitalistes plus avancés, plus productifs, et préparent la reprise sur une nouvelle base. Mais l’originalité de la période actuelle tient dans le rétrécissement de cette base sur laquelle le capital s’alimente en richesses, le travail humain dépensé et exploité dans la production. C’est en effet le travail vivant qui fait la richesse d’un capitaliste : celui-ci n’en paie qu’une fraction, et s’approprie l’autre partie.

Valorisation ? Dans ce système, le travail n’est employé pour produire des marchandises que si ces marchandises sont l’occasion pour un capitaliste de dégager du profit. Cette nécessité d’accroître sans fin le capital, aussi vital pour ce système que l’air que l’on respire, est appelée par Marx : la valorisation. Des TV, des voitures, des tomates, … sont des supports pour fabriquer plus d’argent avec de l’argent. Produire pour produire, produire pour accumuler de la richesse : telle est la logique impérative qui s’impose, à travers la concurrence. Un capitaliste produit du profit, et pour cela il emploie des machines et des travailleurs qui sont occupés à la fabrication des TV, ou des voitures, ou bien encore des tomates…

Deux méthodes sont mises en œuvre dans la course à la valorisation. La 1ère consiste à prolonger le temps de travail, le rendre plus intensif et flexible, pour augmenter le nombre de marchandises rendues par travailleur. A cette méthode s’oppose les limites de la journée de travail, et bien sûr la résistance des travailleurs. La 2ème méthode consiste à rendre le travail plus efficace, à augmenter sa productivité. Cela veut dire qu’avec moins de temps de travail, un travailleur rend davantage de marchandises. Augmenter la productivité signifie donc économiser du temps travail.

Ainsi, avec une hausse de productivité : une même heure de travail est à même de produire davantage de produits. Ce gain de productivité ne change pas la valeur qui peut en être obtenue  : avant comme après, 1 heure = 1 heure. En revanche, la quantité de produits augmente. Exemple : si le nombre de TV écran plat produit en 1 heure de travail est doublé, le prix de la TV passe de 600 à 300€. Mais l’équivalent en € d’une heure de travail est le même, 600€, qui donne maintenant 2 TV au lieu d’1 seule.

Une crise repoussée… mais pas surmontée. Obtenir davantage de richesses matérielles avec une quantité réduite de travail se transforme en calamité pour les prolétaires. Les uns, au travail, sont pressés comme des citrons. Les autres, en nombre grandissant, sont rejetés au chômage, dans la précarité. « Plus le travail gagne en ressources et en puissance, plus il y a pression des travailleurs sur leurs moyens d’emploi, plus la condition d’existence du salarié, la vente de se force devient précaire », disait Marx.

Mais ce potentiel de crise prend également une forme explosive pour la survie du capitalisme. Car celui-ci repose sur une contradiction en développement. D’un côté, il tire sa richesse du travail vivant, qu’il exploite dans la production. De l’autre côté, il se valorise en économisant du travail. Le résultat est inévitable, c’est la dévalorisation du capital : trop productif, insuffisamment alimenté en travail direct à exploiter.

Les effets de cette dévalorisation ont pourtant été limités par le gonflement du capital dans une sphère bien particulière de la marchandise : les actifs financiers. Le gonflement de la sphère financière depuis les années 1970 prend le relais, attire vers elle des capitaux qui ne trouvent plus ailleurs de quoi se satisfaire en profit. Trenkle et Lohoff montrent de façon convaincante que la dynamique capitaliste (= produire plus d’argent avec de l’argent), peut se poursuivre avec l’accumulation de titres financiers. Valoriser l’argent par des TV, des tomates, ou des crédits immobiliers, peu importe !

Mais la crise n’est alors repoussée qu’à titre provisoire. Développer le crédit, par exemple, augmente un moment les opportunités de placement. Cependant, lorsque les défauts de remboursement se multiplient, la crise de solvabilité menace de faire s’effondrer tout l’édifice. Repousser la crise a donc un prix : « l’accumulation de masses énormes de traites tirées sur l’avenir, impossibles à honorer, et dont la dévalorisation est suspendue désormais comme une épée de Damoclès au-dessus du monde entier ».

Une issue révolutionnaire ! Le dernier intérêt du livre est de montrer en quoi sortir de la crise, c’est sortir de cette logique infernale capitaliste. Aussi démonte-il avec soin l’argumentaire réformiste qui s’en prend aux marchés financiers, à la politique d’austérité, et s’oppose ainsi à une lutte résolument anti-capitaliste. Comme les politiciens libéraux, les réformistes estiment en effet que « l’économie réelle » se rétablirait, si les excès de quelques financiers étaient corrigés et contrôlés (« le coût du capital », version CGT Front de Gauche). Rétablir l’économie ne serait qu’une question de volonté politique. En cela, ils contribuent à minimiser l’ampleur de la situation et à prolonger ses effets destructeurs. Se tromper sur les origines de la crise, c’est nous tromper sur les remèdes à y apporter.

La capacité à produire des valeurs d’usage avec de moins de travail, à l’origine de la crise chronique, est pourtant forte d’un potentiel d’avenir. Dans une société révolutionnaire qui placerait « la satisfaction des besoins concrets et sensibles au centre de ses préoccupations, les potentialités que le capitalisme a créées pourraient certainement être utilisées pour permettre à tout le monde de connaître une vie bonne et réduire le travail nécessaire à un minimum », avec la transformation du type de production héritée du capitalisme et la prise en compte des limites de la nature.

Et nous rajoutons : sous la direction des exploités ! Car c’est bien là le point faible de Trenkle et Lohoff, qui refusent d’envisager l’organisation des exploités pour cette issue révolutionnaire. Or, on ne peut attendre des contradictions, engendrées spontanément par la production capitaliste, qu’elles suffisent seules à provoquer cette issue. La libération du capitalisme ne peut être qu’une démarche de lutte, politique, organisée, qui se construit dès aujourd’hui dans les combats quotidiens, autour d’une ligne communiste en construction.

MR