EXPLORATION:

Une forêt qui ne sert à presque personne, dans le nord Isère, les Chambarans (champs bons à rien), 7300 hectares. Des chasseurs, des bûcherons, quelques fermes isolées et une zone militaire.
On y venait ramasser des champignons avec les parents.

Depuis 2007, la commune de Roybon, a vendu une part du gâteau, 200 hectares (l’équivalent de la superficie de 400 terrains de foot!) à Pierre & Vacances, une multinationale du tourisme pour riche, le club Med des forêts… 1000 cottages façon bois dans un village pavillonnaire clôturé apparaîtront d’ici 2016. Une opération immobilière éco-spectaculaire. Une gated community mais « locale » pour touristes en mal de « nature sauvage » et de villages pittoresques clôturés. Une grosse verrue parasitaire dans la sylve, irriguée par des routes, des câbles, des chemins d’accès goudronnés apportant les intrants nécessaire à sa croissance:

fluides & personnes.

Supermarchés, parkings, lampadaires, camion pizza… ce « village de vacances » sera le nouveau cœur de la forêt. Un environnement sous cloche, normé et aseptisé, au doigt et à l’oeil ! L’Attraction de la zone, le centre parc !
Ici & maintenant le déboisement a bien commencé, ce sont plusieurs hectares d’hêtres, de bouleaux et de sapins qui sont détruits, « défrichés » qu’ils disent ! L’enjeu n’est pas de savoir qu’est-ce qui est naturel ou artificiel (débat sans fin qui a fait surchauffer bien des cerveaux) mais plutôt de sortir du Schème Standard et d’aborder nos sensibilités politiques: Qu’est-ce que nous voulons sur ce lieu ? Qu’est-ce qui nous fait du bien ? Qu’est-ce qui nous fait kiffer ? Dans quels espaces voulons-nous vivre ?
FUCK LA TERRE-MÈRE !
Le Maire de Roybon (M. Serge Perraud, UDI, centre-droit) lui, ne se pose pas de question. Il a trouvé un nouveau gagne-pain et ça lui suffit: vendre la forêt à qui veut. Bobos en mal de nature, site d’enfouissement de déchets, multinationale du tourisme, entreprises de vente de bois…la forêt se fait tailler en pièces de tous les côtés. Les habitant-es du coin le confirment, depuis quelques années les coupes à blanc s’accroissent en Chambarans.

LE SAUVAGE V.S. LE PRODUCTIVISTE:

Privatiser la forêt c’est se croire maître et possesseur d’un territoire au mépris de la vie qui la peuple. Un espace privé c’est un espace utile, utilisé à profit, exploité par ce qu’est le capitalisme aujourd’hui :
L’INDUSTRIE. La gestion mécanique à grande échelle, maintenant ou à crédit.
N’allez pas nous parler d’ »exploitation raisonnée », de « compensation écologique » ou de « chantier vert ». Les vautours sont là où il y a du fric à se faire ! Ils connaissent les spots, les gisements d’arbres et d’eau pure. L’exploitation sera toujours LA DOMINATION de celles et ceux qui se croient possesseurs du vivant ou du milieu où se développent celui-ci. Ceux qui se sentent légitimes à perturber un équilibre au nom du « bien commun », c’est-à-dire du bien supposé de l’argent au dépend des communs.
Habiter un territoire c’est se situer dans une histoire, un contexte, interagir avec une ambiance, faire partie d’une trame de relation vivante et intense. L’aménager, c’est adopter une posture externe et soustraire tout ce qui faisait sa vitalité pour n’en laisser qu’un squelette mort, fait de routes, de câbles, de flux, de gestion.

C’est signifier le « réseau » quand celui-ci devient l’infrastructure de la domination.

L’aménageur est un possédant, son acte principal est la dé-possession, celle-la même qui colonise toutes les stances de nos vies, en forêt comme en ville. Qui est à la base même du système, c’est-dire la propriété privée, l’abusus en droit.
La plupart des opérations d’aménagement n’excluent pas la présence d’une population : ce qu’elles vident, pour s’assurer d’une perpétuelle possibilité de conquête, c’est la possibilité pour les habitant-es, de déployer des manières pleines d’habiter.
En parfait capitaliste, l’aménageur n’a d’estime QUE POUR CE QUI A DE LA VALEUR. Son but : valoriser « l’inutile », lui donner raison d’être au yeux du Pouvoir. Faire des lieux des biens, puis vendre ou acheter ces fameux biens. Ainsi la compensation écologique ne fait que cela : elle part du principe capitaliste que tout se vaut. Un hectare de forêt des Chambarans vaut un hectare de forêt dans les Cévennes ou un hectare de prairie au Chili ! Tout est interchangeable et n’est rien d’autre qu’une marchandise monnayable en argent comptant.
« Pour 1 hectare détruit, 2 offerts2 !!! »

SORTIR DES CADRES, SORTIR DES ZAD :

Troisième ZAD, les pratiques s’affinent, l’efficacité est au rendez-vous dès le départ, les cabanes poussent très vite. En sus de la majorité des insurgé-es, une caste d’expert en zone à défendre est en train de naître. Ils débarquent de Sivens où d’ailleurs et connaissent les recettes du succès pour qu’une zad marche ! Et elles prennent en charge avec zèle les rôles dans la lutte : apôtre de la non-violence ou barricadiers vétérans (avec cicatrices), modérateureuses en A.G., créateurs de commissions « utiles», écrivent des communiqués plus vite que leurs ombres, donnent à manger au média…ils sont de partout et prennent toute la place. Sans distinction ni observation du terrain, ils appliquent le Manuel à la lettre : occupations, barricades, actions directes, A.G., commissions média, blog, « ZAD » employé à toute les sauces…

Auto-critique : Nous nous laissons volontiers fixer dans l’imaginaire, dans la théorie et sur le terrain. A basse intensité, la guerre des tranchées de l’an 2000. Après une occupation sur le terrain des luttes, nous croyons avoir gagné la bataille. Preuves : les chantiers sont arrêtés, les flics battent en retraite et la vie reprend son cours. Notre énergie se concentre sur un projet, un futur idéalisé fait de communes libertaires et de nourriture sans pesticides. Nous construisons du futur, du projet anarchiste dans nos petits îlots sécurisés (pour un temps) pendant que l’Exploitation rampe de toutes parts tout autour, ici dans le présent. Pourtant nous sommes encore à l’heure des tranché-es, nous n’avons pas beaucoup avancé 

La charrue avant le feu.

Ne nous trompons point, ni à Notre-Dame-des-Landes, ni au Testet et encore moins aux Chambarans, les projets sont abrogés. L’ennemi attend patiemment, caché derrière le battage médiatique. Quand le buzz s’arrêtera, quand le terme ZAD sera une marque déposée, quand il ne restera qu’une poignée de paysan anars sur place, le Pouvoir attaquera. Une guerre (en)cadrée des Projets est déclarée : l’État et les capitalistes promeuvent les infrastructures de leur avenir (Barrages, Aéroports, zones de loisirs), ils ont le temps. De l’autre, les zadistes tentent la vie communautaire. Fermes en autarcie, démocratie directe, agricultures paysannes, artisanats sont déployés sur des dizaines d’hectares. Quand un-e insurgé-e plante des patates et s’occupe de bêtes, elle n’a plus le temps de casser des algecos. Une résolutions des contradictions individuelles voudrait qu’il faut produire sa propre nourriture et son habitat, être auto-suffisant pour combattre Moloch ou Babylone. Ce dogme est très persistant dans toutes les zad et masque (comme tous les dogmes) la manœuvre capitaliste : toujours vouloir reporter la contradiction du système sur nos petits êtres individuels et ainsi l’individu par culpabilité (« responsabilité » qu’ils disent) tente de sortir de celui-ci, de s’en sortir. C’est-à-dire se mettre soi-même au ban de la société sans la renverser. Actes contre-révolutionnaires par excellence, posture du consommateur impuissant face à l’émiettement de nos forces et de nos imaginaires.
De moins en moins de zadistes, à chaque ZAD, épuisement des puissances en présence. La négation en action se transforme en guerre interne du « projet contre projet » et nous lamine. Chaque Parti dévoilent son Plan pour le Futur. Les médias s’en régale – day-dreaming – et commencent à être l’enjeu central de la lutte. Il ne manque que quelques reportages sensationnels pour que les ZADs passent de mainstream à has been, c’est-à-dire un produit médiatique qui, comme tout produit spectaculaire, sera périmé à un moment ou à un autre. Quand l’œil avide du téléspectateur se sera acclimaté aux images émeutières (cagoules, jets de pierres, lacrimo, violences policières…), il cherchera autre chose et les média aussi. Toujours plus fort, toujours plus vite !
Mais une opportunité s’offre aux Chambarans. Une brèche dans l’histoire de nos luttes. Le lieu-dit de lui-même et nous donne l’occasion d’avoir un coup d’avance sur les Média et la Force allié, c’est-à-dire le Pouvoir :

DÉMOLIR LE FUTUR.

Le touriste est un consommateur d’espaces, passif d’une vie faite d’images GÉO-magazine qu’il projette sur un décor artificiel quoique « naturalisé ». Un zadiste est un producteur de lieu autonome face aux Pouvoirs. Ici et là nous restons enracinés dans le couple producteur/consommateur. Notre rage, notre élan est comme capturé-e par une posture mentale qui serait indépassable. L’opposition, la ré-action, le Refus d’un projet dégueulasse donne énergie et envie au départ : destructions, jets de pierre, recul de la Police, le Pouvoir tremble quelques secondes… puis cela cesse, se transforme inévitablement en une industrie de l’Avenir.
Les Chambarans n’ont pas besoin de nous. Ayons l’audace de n’avoir pas besoin d’eux. « Dès que j’entends le mot « projet », je sors mon revolver » entendu sur une Zad il y a quelques jours. Sortons nos revolvers et tuons les schèmes inculqués par l’histoire récente.

COMMISSION INUTILE ET GUERRE TOTALE:

Des Champs bons à rien. Un milieu un peu plus sauvage que la normalité citadine/pavillonnaire des campagnes alentours.
Là où il y a beaucoup de gibier c’est que la présence humaine est moindre qu’ailleurs et les chasseurs des Chambarans l’ont bien compris… Au-delà de la distinction Nature/Culture, la sauvagerie se presse là où l’humain et ses infrastructures n’y sont pas. Voici une définition, prenez-la comme telle dans ce texte.
Les infrastructures du Pouvoir n’ont pas tout colonisé dans l’coin: le réseau GSM ne passe quasiment pas, il n’y a qu’une seule départementale minuscule qui traverse la forêt, pas de gros villages, pas de supermarché, pas de rond-points, encore moins le wifi. La gendarmerie locale fait pitié et les systèmes d’échanges interpersonnels n’ont pas encore été totalement remplacés par l’argent.
Voici un bon début.
Des pratiques forestières, des regards situés, des luttes adaptées aux territoires existent déjà dans les parages. Les vieux et les vieilles des villages éparses en sont les détenteurs et il suffit des fois d’un peu de sympathie pour lier la praxis à travers l’histoire. La géographie, le contexte, les histoires et légendes locales peuvent nous en appendre beaucoup sur ce qui a été fait. Par exemple, un mandement de Chambaran (l’an 1294) octroie exemptions et privilèges aux habitant-es de Roybon. Droits de chasse, d’essartage et droit de hallebotage (ramassage du bois). Cette charte modèle le paysage en petites parcelles défrichées au milieu de la forêt, offrant cet aspect d’habitat dispersé surprenant en contraste avec un bourg étroit et ramassé entouré de ses murs d’enceinte3.Les Chambarans et Roybon en particulier ont été une terre d’accueil pour toute une population flottante : les harkis venu d’Algérie (250 pers.), ou les juifs fuyant le nazisme. Un camp pour bagnards puis pour déserteurs militaires fut construit par le Pouvoir. La forêt devient un maquis pendant la seconde guerre mondiale, lequel accueille des jeunes, réfractaires au STO ou recherchés pour faits de résistance.
Le capitalisme est cette bête immonde du changement perpétuel et schématique. Adaptation et innovation lui permettent la meilleure exploitation des ressources naturelles d’une région, la meilleure posture face aux possibles contestations. Elle est Force, force de proposition avant tout…Elle nous dit « qu’est-ce que vous proposez à la place ? » Elle nous impose bien plus le cadre, la temporalité de nos vies, qu’une façon de vivre. Et jouer avec elle sur ce terrain à l’heure de son hyper-puissance c’est courir derrière elle, jouer la récupération. Elle, elle ne rigole pas à ce jeu la. Avoir un coup d’avance, sortir des sentiers battus, ne pas se laisser fixer sur une lutte, sur un terrain, sur une posture, c’est d’abord cesser de vouloir courir, puis faire un croche-patte au coureur adverse. A la zad des Chambarans par exemple, il y a une poignée de personnes qui prône l’inutilité programmatique de leur présence sur place. Ces personnes, tout de noir vêtu (ou presque), vivent au présent la destruction du chantier. « Commission inutile !» est crié comme une insulte à la face des bureaucrates de la boue (papier, stylo, 2 téléphones dans la poche et un talkie-walkie à la bandoulière…) Cette commission qui n’est rien, ne sert pas à rien. Elle sert l’inutile, redonne le moral quand une bande de virilistes alcoolisés se croyant à l’armée abusent de la Générosité pour envoyer quelques insurgé-es au casse-pipe. Aller zoner, explorer les alentours, faire des confitures, discuter et aimer, se construire un arc et des flèches, barboter dans une flaque de boue… Tout ce qui est inutilement utile renforce notre ingouvernabilité, c’est-à-dire participe à la diminution des rapports de pouvoirs dans nos groupes et face à l’ennemi. Se réclamer inutile aux Chambarans c’est avoir compris qu’on ne passera qu’un temps par ici.
Construire le minimum vital, gambader dans les bois, fabriquer des plate-formes dans les arbres, des barricades éphémères, les châteaux de sable qui s’effaceront à la première vague bleu-marine…proposer des choses nouvelles, loufoques, qu’on n’a pas fait à Sivens ou à Notre-Dame. Ne pas se prendre au sérieux pendant les A.G., les déserter, privilégier l’expérimentation plutôt que l’efficacité, chercher l’ailleurs. La forêt est un terrain de jeu pour les chasseurs, les promeneurs du dimanche, les ramasseurs de champignons, les sangliers et maintenant NOUS ! Et le climat rude en hiver, l’humidité totale, la pauvreté du sol empêchent tout nos délires communautaires de se réaliser. Tant mieux !
L’inutile peut nous aider à combattre les relents militaristes qui fouettent de temps à autre nos pratiques en ZAD. Elle empêche toute discipline de s’instaurer et permet de déployer nos façons de vivre différentes et complémentaires. Contre les stratégies de tension du Pouvoir (montée crescendo des forces militaires sur place, hélicoptère de plus en plus présent, désinformations, excitateurs de la polices, barrages policiers…) vouloir ne pas répondre, éviter la nervosité guerrière et machiste, ne pas employer leur langage, sortir des routes tracées pour prendre les chemins, les pistes forestières ou les créer, attaquer sur les flancs, hors-champs de bataille…
c’est déjà gagner bien plus que la préservation de la forêt, c’est conquérir nos libertés, nos autonomies.

NE JOUONS PAS A LA GUERRE, jouons tout-court !

A tout-es celles et ceux qui disent « qu’on est pas là pour faire la fête », on pourrait leur répondre qu’à chaque fois qu’un projet meurt ou recule, c’est un moment de joie et de fête pour nous. La joie à l’idée que peut-être un jour plus aucune des infrastructures du capital ne tiennent debout.

« La tempête a beau abattre les arbres, les jeunes pousses ignorent son courroux.» CHUCK NORRIS IN FOREST WARRIOR (1996).