Le ton est « neutre ». C’est-à-dire qu’il ne comporte aucune émotion. Fini les «il est mort le mec, c’est vachement grave, faut pas qu’ils le sachent!». Dans le langage officiel, «[le massage cardiaque] est interrompu par la découverte d’une plaie importante dans le haut du dos.» C’est le même langage quand un bébé naît, ce n’est qu’une statistique pour l’administation. Tout ce qu’il y a de dégoûtant dans le fait de tuer une personne n’existe pas.

Bien sûr, le rapport contient des tas d’erreurs et de mensonges, sinon ce ne serait pasl’armée. La civilisation des Machines, cela consiste à pouvoir éventrer, crever des yeux,tordre des boyaux sans tâcher la chemise. C’est comme le nucléaire: faire péter lesbombes et exploiter des centrales sans être irradié. C’est tout une organisation pour enarriver là. Faut pas mollir, comme disait le Maréchal-des-Pintades Pétain au général-des-frottis Franco en 1937.

Il y a une première énormité à corriger. J’ai observé les événements en fin d’après-midile 25 octobre. Contrairement à ce qu’indique le rapport, personne n’a jeté de pierre sur les CRS stationnés dans le périmètre des engins. Sinon, ils auraient répliqué. La présence d’une soixantaine de personnes cagoulées, qui se tenaient à 50m et qui chantaient «on défend la barricade avec des pierres», sur l’air de «elle descend de la montagne à cheval», a fait venir 12 fourgons de GMs et les amuse-gueules détonants ont eu lieu plus haut sur la colline. Les « pacifistes » situés près des douves du chantier empêchaient toute confrontation à cet endroit.

La première annonce du rapport, si vous avez bien suivi ce qu’il se dit dans cet exercice de propagande inverse, c’est qu’on peut dire que Rémi est mort sur un ton « neutre » dans une communication nationale, autour d’un verre pendant les petits fours après la remise des breloques au Palais Pas-besoin-de-Beaujolais-Quand-on-a-du-Bourbon. La deuxième annonce donc, c’est que personne n’est responsable.

C’est normal. Figurez-vous que les unités de GM ont dû faire face à un «phénomène de «professionnalisation» de la contestation». Les opposants «sont équipés pour résister aux effets des munitions des gendarmes». Ils résistent tellement bien que le rapport ne décompte strictement aucun blessé chez les manifestants. C’est l’armée: quand tu éventres, il n’y a pas de sang qui gicle, tu ne ressors pas avec la chemise mouchetée derouge-noir. Tu ressors comme un sou-neuf, pimpant et bien fringué comme pour aller au bal ou au défilé suivant que c’est le 14 juillet ou le 20 août. Et hop, une petite valsemademoiselle? Ouh là là, la journée a été fatigante, ils ont été pénibles ces opposants professionnels.

Alors «les opposants, qui tirent avantage de la nuit adoptent une posture dynamique et offensive en recherchant le contact et l’affrontement. Dans ce contexte, le recours aux différents moyens et aux grenades pour tenir à distance les manifestants s’impose». Les opposants recherchent le contact? Peut-être. Mais la zone des engins où sont stationnés les GMs est entourée de douves de 3m de profondeur et de 2m de large, puis à l’intérieur immédiatement après la douve, se trouve un grillage de 1,80m de haut. Pour éviter tout contact, du côté des uniformes, il n’y avait qu’à défendre le portail. Nulle part dans ce rapport n’est fait mention du mot douve ou fossé. Dans les annexes, sur un plan dessiné à la main, on observe le mot fossé pour désigner les douves qui entouraient la zone des engins mais il manque la partie sud! Le rapport laisse donc imaginer que le groupe de manifestants dans lequel se trouvait Rémi Fraisse était en mesure d’atteindre les gendarmes! Balivernes. On peut d’ores et déjà écrire à l’IGGN pour leur montrer des photos et corriger le plan, voir en fin de chapitre.

Ensuite, figurez-vous que selon l’IGGN (à ne pas confondre avec «li gégène», en arabe, qui désigne le téléphone à pinces croco, c’est autre chose), il est «particulièrement difficile de viser de nuit un point précis d’une zone en procédant par un lancer à une quinzaine de mètres, avec une trajectoire courbe imposée par un obstacle (dans le cas présent une clôture de 1,80m de hauteur).» Et oui, on l’oublie trop souvent, c’est difficile de jeter des grenades dans le noir sans tuer quelqu’un. C’est un métier difficile, vous comprenez la difficulté? Comment par exemple faire péter Hiroshima sans abîmer ses faubourgs et sa banlieue? Il y a là une grosse difficulté certes, mais qui se transforme en défi technique, redressez la tête Maréchal-des-squattis et relevez le défi, à défaut de pouvoir relever Rémi!

Selon li gégène, il n’y donc pas de faute professionnelle, également parce que le gendarme prend la «précaution d’utiliser une paire de jumelles I.L pour vérifier sipersonne ne se trouve dans la zone où il s’apprête à jeter la grenade». Alors leMaréchal-des-maudits décide de faire joujou avec les machines qui explosent (il n’est là que pour ça d’ailleurs), il vise à la jumelle, des mecs bougent dans tous les sens. Il voitune zone où il y a personne, mais pas trop loin quand même des manifestant, hein, sinon ça sert à quoi? Il laisse tomber ses jumelles, il prend la grenade dans la poche à grenades, il «adresse ensuite à haute voix un avertissement destiné aux manifestants»qu’il ne voit pas, il dégoupille, attend un peu en comptant soigneusement, il lance encloche dans le noir parce que sinon ça va lui péter dans la main. Mais qu’est-ce qui prouve que personne n’est entré dans son champ de tir entre le moment où il a laché les jumelles et le moment où il lance? Ouarf!

Enfin, un ancien de la gendarmerie nous signale que l’effet de souffle d’une grenade est beaucoup plus grand si elle est contrainte: par exemple un simple tissu recouvrant la grenade multiplie les effets dévastateurs. C’est peut-être ce qui a pu arriver à l’engin tiré en cloche le 26: s’il s’est coincé entre le sac-à-dos et le dos de Rémi. Ainsi, une GLI4 ouF4 pourrait très bien avoir tué Rémi Fraisse.

On observe l’ordre d’un gradé à 1h53: «Stop pour les F4! Il est là-bas le mec. Ok, pour l’instant on le laisse!»; cette information parue dans la presse et non pas dans le rapport de l’IGGN. La grenade offensive, OF pour les intimes, est normalement utilisée pour les lieux clos: le soldat balance le machin dans une pièce, ensuite il rentre, tout lemonde est KO. On se demande bien ce que ce genre d’engin vient faire à Sivens. C’était facile pour le ministre de faire l’annonce de la suspension de son utilisation! Et pour cause, si ça se trouve, elle n’a jamais été utilisée, si ça se trouve, c’est une F4 qui a tué Rémi Fraisse. Par contre, les F4, ils continuent de les balancer en manifestations, etc.

L’administation du désastre passe son temps à décrire les choses sans émotion. Nous on,passe notre temps à conserver cette capacité d’émotions, dont la colère. On passe notre temps à ne pas se laisse pas gangréner lle cerveau par leur fausse neutralité. Continuons.