LIBERTÉ, ÉGALITÉ… MON CUL !

Par Matt Lechien

SURRÉALISTE hebdo version papier s’arrête. N’ayez crainte, on ne vous demande ni argent ni compassion. Par contre, l’analyse de cet échec pourra s’avérer utile pour beaucoup.

Au départ une idée simple : lancer un hebdo d’infos alternatives sans aucune forme de publicité dedans. Le Canard enchaîné ayant mal vieilli (ça ressemble maintenant plus à un ramassis de ragots recueillis dans des salons parisiens huppés qu’à un vrai contre-pouvoir journalistique), il semblait utile de donner une nouvelle impulsion à ce type de presse dont le rôle est primordiale pour le bon fonctionnement d’une démocratie.

Seulement voilà, là où le bât blessait c’était bien évidemment sur la question financière. Faisant abstraction de quelques blocages tout droits issus de ma culture punk, je frappe donc aux portes des institutions publiques qui délivrent des aides. Bingo ! Après un rendez-vous informel, le conseil régional m’assure que j’ai droit «comme tout le monde» à une subvention de 10000€. Connaissant pas trop mal le monde de la presse, je suis conscient qu’au début il faut être prêt à supporter un déficit le temps que la mayonnaise prenne un peu. Avec cette somme, l’aventure était risquée mais possible. Par la suite, en tant que érémiste, j’ai réussi à glaner héroïquement un chéquier conseil à la DDTE, ce qui me permet de bénéficier d’aide pour remplir toutes les paperasses écrites dans un langage extra-terrestre dont l’administration aime inonder le citoyen déjà fort stressé par ses soins. J’arrive donc chez un comptable, avec une bonne tête de comptable, mon dossier de subvention sous le bras. Ce dernier éclate de rire « Mon pauvre môssieur ! Vous vous êtes fait berner, je suis sûr que vous avez fait votre demande avant les élections. Vous n’avez droit à rien. Ah, ce qu’ils ne feraient pas pour qu’on vote pour eux ». Sûr de mon coup, je lui rétorque qu’il doit faire erreur et par la même occasion je prends aussi conseil ailleurs. Et là, c’est la consternation ! Effectivement, pour avoir droit aux «largesses» du conseil régional il faut un capital d’au minimum 20000€. Autrement dit avoir beaucoup d’argent pour que l’on vous en donne encore plus. Autant dire qu’avec mes 300€ de départ, je pouvais passer mon chemin. Quant à la DDTE, pour avoir quelque chose c’est un peu comme pour avoir une réduction à la SNCF, faut vraiment avoir le profil pour en bénéficier. Mais bon, on ne va pas rentrer non plus dans tous les détails sous peine de somnolence.

Le gros problème que cette mésaventure soulève est le suivant : Quel espace reste t’il vraiment en France pour la libre expression ? L’espace public, pas question. Pour s’exprimer il faut pouvoir payer cher. Si je colle une belle affiche, si je fais un beau tag, si je marque un truc intelligent sur une grosspubkipue… allez zou, amende ou encore mieux, une nuit au violon. Par contre, si je paye, je peux exposer n’importe quelle merde en 4×3 (même la tête du gros jean-marie). Si je veux monter une publication papier. Il faut le numéro ISSN, faire des dépôts au ministère de l’intérieur, avoir un accès à la diffusion vampirisée par les grands groupes, ne toucher aucune aide alors que des Lagardère et compagnie se gavent des largesses de l’État et disposer de beaucoup de cash. Quant à l’audio-visuel n’en parlons même pas, ce n’est pas la peine d’essayer c’est la chasse gardée des bobos et autres mondains qui s’ignorent. Reste la musique, à condition d’aimer l’underground. Le tour est presque fini, j’en oublie sûrement, mais ce n’est pas là le plus important. Le plus important, c’est que la liberté d’expression soit sournoisement confisquée, qu’une caste de penseurs agréés se permette de dicter sa vision des choses à toute une population, et surtout : que tout cela soit devenu tellement banal que presque tout le monde s’en fout. Et pourtant, si l’on arrivait à instaurer une vraie liberté d’expression, croyez moi que la vie serait tout autre, car il y aurait enfin de vrais débats dans ce pays et quand il y a de vrais débats on trouve de bonnes solutions. La monarchie républicaine est vraiment écoeurante tellement elle est manipulatrice. A l’instar du héros de Hitchcock dans Psychose, la république présente régulièrement à sa fenêtre la liberté, l’égalité et la fraternité alors qu’elle a tordu le cou à ces valeurs depuis belle lurette, mais ce n’est pas grave, ça fonctionne, le citoyen lambda les croit encore vivantes.

En tous cas c’est bien dommage d’arrêter ainsi au bout du deuxième numéro. Surtout que le nombre d’abonnés avait carrément dépassés nos espérances les plus folles, preuve qu’il y a quand même une grosse demande en matière d’info indépendante. Mais bon, on ne va pas se laisser abattre :

1) tous ceux qui ont souscrit un abonnement à l’hebdo seront intégralement remboursés, ils recevront en plus le numéro deux en début de semaine, soit par la poste soit par mail suivant la formule qu’ils ont choisie.

2) Vu que l’on n’est pas des gros radins comme les collectivités territoriales et les DDTE, afin de remercier comme il se doit tous les abonnés qui nous ont fait l’immense plaisir de nous accorder leur confiance, nous leur enverrons sans aucune contrepartie, telle qu’elle soit, un livre (une de nos éditions) par voie postale dans un délai de trois semaines.

3) Les deux hebdos dans leur version numérique seront placés en libre téléchargement en milieu de semaine prochaine.

4) D’ici peu nous éditerons un trimestriel grand format de quarante pages.

Les questions que vont sans doute poser certains d’entre vous, c’est :

1) pourquoi ne pas continuer en numérique ?

Parce que ce mode d’édition n’est pas assez porteur, il est hors de question de demander d’effectuer du travail à des personnes et de ne pas pouvoir les rémunérer en échange. Je sais qu’il est possible de faire appel à du bénévolat, mais vu que l’hebdo est payant (avoir des moyens, c’est la seule solution pour fournir un travail de qualité), il est hors de question de bosser comme ça. J’ai déjà personnellement eu de mauvaises expériences avec ce genre de plan. On te demande de bosser gratos pendant un certain temps et après tu te rends compte que tu te fais avoir, je ne veux pas avoir l’impression de devenir mon pire cauchemar.

2) Pourquoi ne pas se battre ?

L’hebdo est loin d’être le pilier de nos activités. En continuant dans cette voie on plombe tout le reste, c’est-à-dire, la partie édition et par la même les auteurs qui ont besoin de nous, le site internet, les animations surréalistes, la vidéo… Quand ça va droit dans mur il vaut mieux s’arrêter et réfléchir. Ce n’est par pour autant que nous baissons les bras, non seulement la motivation est intacte, mais en plus la rage est renforcée. En tous cas, un très grand merci à tous nos lecteurs et un très grand merci aussi à tous ceux qui nous ont aidé dans cette aventure, nous espérons que vous serez nombreux à notre grand RDV du premier mai.
Dans la suite de l’article un message subliminale adressé à intention de l’oligarchie de ce pays qui croit orgueilleusement qu’elle va pouvoir continuer pendant des siècles à confisquer le pouvoir au peuple.

Le collectif Surréaliste

http://www.surrealiste.org