« On sentait que la ville voulait vivre, qu’elle avait tout pour cela, mais qu’une sorte de détresse intérieure, impitoyable, la tenait immobile, avec ses lumières forcées, ses marchandises et son aisance criminelle. Elle avait la parfaite apathie d’un monstre repu. Elle dévorait tout. Elle s’étendait avec une rage constante, implacable. De partout on la voyait venir. A Notre-Dame-des-Landes, au Testet. Elle poussait dans le désert. Et le paysage fuyait devant elle, rapide et monotone. Cependant, les villes et les campagnes regorgeaient d’êtres qui n’avaient rien de commun avec ces désordres et ces lumières, ces barrages et ces avions. Ils passaient près de toutes ces lumières comme des ombres. Ils étaient visibles comme des plaies. On leur faisait la chasse mais ils s’obstinaient à rester. » Rémi était un de ceux-là.

La manifestation pour Rémi et contre les violences d’Etat a bien eu lieu ce samedi après-midi. La préfecture a préalablement interdit le rassemblement et a mobilisé plusieurs centaines de C.R.S pour faire respecter cette interdiction. Le préfet, par le biais de ses flics, met Rennes en « état de siège » comme le titre très justement Ouest-France. Les commerçants sont vivement encouragés à baisser le rideau, le marché est bouclé deux heures avant le rassemblement et les familles sont invitées à ne pas se balader « dans les possibles zones de heurts où il pourrait y avoir des tirs de flash-ball et des gaz lacrymogènes ». Violence d’Etat nous disions donc. Tout laisse penser qu’il ne va rien se passer, à commencer par la présence massive des flics dans les rues quasiment désertes, autour de la place st michel et de la place des Lices. Mais des badauds circulent tout de même entre les rangs de C.R.S qui bloquent l’accès à plusieurs rues. Et bientôt ces derniers se reculent, sûrement pour ne pas effrayer la population. Si des commerces étaient fermés, c’est du conseil avisé du préfet Patrick Strozda. Si les rues sont désertes et si le métro est bloqué, c’est sur l’ordre du préfet.

A 15 heures donc, les gens se massent place st michel. La préfecture croyait nous dissuader et bien c’est raté. Trois cent personnes s’élancent vers la place Ste Anne aux cris de « Flics. Porcs. Assassins » « La police mutile. La police assassine ». Nous croisons régulièrement des policiers qui bloquent les accès aux rues piétonnes de l’hypercentre. Ils se font huer. On approche et ils nous repoussent. Le cortège est assez mobile pour les esquiver et aller là où bon lui semble. On passe devant le centre commercial de la Visitation qui enferme ses clients de crainte que nous l’investissions. On continue vers le Parlement toujours en criant « Rennes debout, un camarade est mort ». La déambulation passe devant le Parlement, des flics bloquent la rue en direction de la préfecture. On s’engouffre rue Le Bastard. Le cortège grossit. Place de la mairie on s’époumone : « Assassins, tueurs d’enfants », « Rémi en hommage. Résistance et sabotage ». Le message est clair. On retourne place des Lices au beau milieu de l’énorme dispositif. Un moment d’hésitation, on descend vers le bas de la place. Les flics ne souhaitent apparemment pas que nous marchions sur les quais car ils bloquent toutes les rues, nous sommes presque encerclés. Qu’à cela ne tienne nous faisons fi de leur présence et franchissons un de leur barrage. On passera coûte que coûte. Ils se mettent à matraquer mais savent qu’ils ne font pas le poids face à une foule déterminée. Ils en sont quitte pour deux ou trois coups et une volée d’injures. Cependant des flics de la BAC courent le long du trottoir pour contenir cette percée. Ils se mettent en travers de la rue mais une partie du cortège passe par un parc et les contournent. Ils sont encerclés. Des invectives et des noms d’oiseaux s’abattent sur eux. Ils gazent, ça ne fait fuir personne. Ils ont l’air plutôt anxieux et constatent leur impuissance. On continue notre route sur la place de Bretagne vers République. Encore des flics, tant pis ça repart par la ruelle du Carthage. Les cris et les chants se font plus forts à mesure que l’on s’approche de la mairie et que l’on croise à chaque carrefour de nouvelles lignes de C.R.S. « Les policiers c’est des connards et les gendarmes c’est des bâtards » « Si t’aimes pas la police tape dans tes mains ». On est place de la mairie on veut aller à République mais des bleus s’interposent encore, cette fois assez nombreux. L’altercation dure une quinzaine de minutes durant laquelle ils gazent et frappent le crâne d’un type les mains en l’air. Au bout d’un moment ils sont contraints de reculer et nous nous rendons sur la place de la République avant que tout le monde ne se disperse.

La manifestation était une réussite, non parce qu’il y avait assez de flics pour éviter la casse mais parce qu’il n’y avait pas assez de flics pour que rien ne se passe.

Il y aura d’autres manifs, à Rennes ou ailleurs. Violentes ou non. Interdites ou non.