Le mouvement des indignés a rencontré ses limites les 28 et 29 juin 2011, quand le rassemblement pacifiste des indignés s’est transformé en champ de bataille où l’auto-organisation a trouvé ses vrais caractéristiques, où un esprit de soutien mutuel, de solidarité a émergé et la station de métro de Syntagma15 a été occupée. Il faut dire bien sûr que ces jours-là une grève générale avait été déclarée. Et quand la manifestation appelée à la suite de la grève a rencontré le rassemblement des indignés à Syntagma, la partie la plus radicale de la manifestation a donné ses caractéristiques à cette rencontre, des caractéristiques qui ont été généralisées. Ce n’était pas une minorité qui s’affrontait avec les forces de la répression, mais beaucoup de gens qui soit participaient aux affrontements, soit les approuvaient, des gens de tous âges.

A : – Mais, comme on l’a déjà signalé, ces moments d’explosion sociale ont des limites, dans le sens où ils sont en fin de compte récupérables par le système, posant ainsi une question de perspective politique.

S : – A travers décembre 2008 et à travers ces luttes auparavant évoquées, à travers notre présence et notre intervention dans ces luttes, on a constaté que notre mode d’organisation n’était pas suffisant et que, tant sur un plan politique que sur un plan social et de classe, on a besoin d’organisations de base qui puissent fonctionner en commun. J’entends par là qu’il y a maintenant beaucoup de monde, que les conditions ont changé, que les personnes qui participent à ces luttes sont très nombreuses. Et toutes ces personnes ne peuvent pas s’organiser en groupes affinitaires. On a besoin d’autres formes d’organisation qui gardent le caractère de l’auto-organisation et le caractère anti-hiérarchique, mais qui répondent en même temps aux nouvelles données où de grandes masses de gens ont besoin, cherchent, essaient de s’exprimer contre le régime et doivent avoir un mode de rencontre sur une base permanente.

C’est à travers ce processus qu’ont en réalité émergé entre autres les assemblées de quartier, alors que des syndicats de base avaient déjà commencé à se créer. Les squats, les locaux et les espaces occupés se sont multipliés dans tout le pays. Particulièrement en ce qui concerne les anarchistes, il y a eu l’idée et le besoin de créer une organisation anarchiste qui, selon un cadre politique issu d’un accord commun et sur une base durable, s’efforce d’intervenir sur un plan politique central.

A : –  Aujourd’hui, cinq ans après la révolte de décembre et au milieu d’une crise généralisée du système, il est indispensable pour les anarchistes de diffuser le plus largement possible leur discours et leurs positions, à travers leur présence politiquement distincte et leur intervention  dans les luttes sociales et de classe, dans le but de contribuer à la radicalisation de ces dernières, à leur connexion ainsi qu’au renforcement des ruptures que celles-ci sont capables de créer avec le régime. Mais cette présence et cette intervention ne doivent pas être momentanées et occasionnelles ; elles doivent être durables et organisées. Pour contribuer à la création d’un mouvement révolutionnaire massif capable de renverser l’Etat et le capital, ouvrant le chemin vers l’Anarchie et le Communisme. 

Athènes, février 2013

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  1. Le mont Parnitha, à côté d’Athènes, a subi les conséquences néfastes de l’offensive étatique et capitaliste (construction d’un casino, installation d’antennes, de radars et de bases militaires, construction urbaine, etc.). En 2007, un incendie provoqué par les pylônes de l’Entreprise Publique d’Electricité a détruit une partie de ses forêts et brûlé vifs les animaux qui s’y trouvaient. Mais « le casino a été heureusement sauvé », selon les déclarations officielles du ministre de l’Ordre Public de l’époque. Le 29 juillet 2007, le casino a été attaqué symboliquement à coup de peinture par 27 militants et militantes, acte qui a mobilisé un grand nombre de forces policières terrestres et aériennes pour les poursuivre dans la forêt. A la même période, des marches contre le pillage de Parnitha et des blocages de la route menant au casino ont eu lieu, et depuis 2008, un camping et des manifestations annuels sont organisés contre la destruction de la montagne.

2.       Le projet pharaonique de détournement de l’Achéloüs et de construction de barrages hydroélectriques sur ce fleuve, l’un des plus grands du pays, entraînera la disparition de vallées, d’écosystèmes et de villages. La lutte a débuté en 1990 quand les habitants de Messochora, l’un des villages menacé d’évacuation, ont occupé le chantier de construction du barrage de l’Entreprise Publique d’Electricité et se sont affrontés à la police. Depuis 2008, des interventions-manifestations, telle que la marche vers le barrage de Messochora, ont lieu chaque été dans la région, à l’initiative de la « Rencontre Autonome de Lutte » constitué par des collectifs de compagnons d’Athènes et d’autres villes du pays.

  1. La lutte des habitants des villages de Ierissos et Megali Panagia, en Chalcidique, contre le projet de la multinationale Eldorado Gold d’installer des mines d’or dans la région, remonte à 2009. Ce projet implique la contamination du sol et du sous-sol par de grandes quantités de substances toxiques nécessaires à l’extraction de l’or. Dans les années 1990, une lutte similaire dans des villages voisins avait mené à la révolte, obligeant une autre compagnie, la TVX Gold, à abandonner ses plans d’installation de mines d’or dans la région. La lutte massive et dynamique de Ierissos et Megali Panagia s’est confrontée à une répression féroce, notamment à des raids policiers et à des arrestations d’habitants accusés de sabotage.
  2. Le raid policier dans le squat de Lelas Karagianni a eu lieu le 15 janvier 2013, un peu avant que l’entretien ait lieu.
  3. La grève aux aciéries de Halyvourgia à Aspropyrgos, déclenchée le 30 octobre 2011 contre la réduction des heures de travail accompagnée d’une réduction de 40 % des salaires, fut la plus longue grève d’usine en Grèce : elle a duré neuf mois. Malgré les difficultés financières énormes, les licenciements continus et les attaques répétées de briseurs de grève qui ont essayé d’entrer dans l’usine, la lutte n’a pas fléchi. Le 20 juillet 2012, juste après la formation du gouvernement issu des élections de juin, la police a envahi l’usine et arrêté des grévistes, premier acte de la politique répressive du nouveau gouvernement qui se poursuivra, entre autres, avec l’attaque des squats et des lieux auto-organisés.
  4. Anomie : absence de lois. Le terme « foyer d’anomie » a été aussi utilisé dans le discours gouvernemental essayant de légitimer l’opération répressive contre les squats et les lieux de lutte auto-organisés. Ce terme témoigne de la volonté de l’Etat de détruire tout espace échappant à son contrôle.

7.       En septembre 2013, après qu’ait eu lieu cet entretien, quand les fascistes ont assassiné Pavlos Fyssas, l’Etat a procédé à des arrestations de cadres du parti néonazi Aube Dorée, en se présentant comme protecteur de « la légalité démocratique » et en utilisant cette affaire pour légitimer l’application de lois d’urgence qui seront par la suite utilisées contre ceux qui luttent. Voir Les fascistes sont des sections d’assaut de l’Etat et des sbires des patrons. Le monde de la résistance les écrasera, eux et leurs protecteurs, tract du Cercle du feu traduit en français sur le site www.squathost.com/anar_gr.

  1. Xenios Zeus : dans la mythologie, c’est ainsi qu’on qualifiait Zeus de dieu de l’hospitalité.
  2.  Le 20 décembre 2012, la police a procédé à l’évacuation du squat Villa Amalias qui a été réoccupé symboliquement le 9 janvier 2013 par un grand nombre compagnons. Ce même jour, après l’intervention des forces policières et après des arrestations massives, tandis que d’autres compagnons occupaient les locaux de la Gauche Démocratique, qui à l’époque participait au gouvernement, la police a expulsé un autre squat, celui de Skaramanga. Plus de 10 000 personnes ont participé à la manifestation du 12 janvier appelée par les squats, signe d’une dynamique sociale inquiétante pour le gouvernement. Trois jours plus tard, la tentative d’évacuer le squat de Lelas Karagianni fut un échec : après le raid policier, le bâtiment a été immédiatement réoccupé par de nombreux compagnons rassemblés à l’extérieur du squat pour manifester leur solidarité. Cela a marqué la suspension provisoire de l’opération répressive contre les squats et les lieux de lutte auto-organisés.   
  3. Quartier proche du centre d’Athènes où se situe le squat de Lelas Karagianni. 
  4. Plus précisément, en ce qui concerne la période d’après-guerre, la première présence d’anarchistes est liée aux événements de la révolte de l’Ecole Polytechnique de 1973, un peu avant la chute de la dictature. La participation de compagnons anarchistes à cette révolte a été très importante, pas en raison de leur nombre mais en raison de leur contribution politique particulière, dans le sens où ils ne se limitaient pas à des slogans contre la dictature, mais, au contraire, ont adopté des caractéristiques politiques plus larges, anticapitalistes et anti-étatiques. Cela a marqué l’histoire et l’évolution du mouvement anarchiste/antiautoritaire, un mouvement qui, dans les années 1970, constituait la composante la plus radicale d’une dynamique sociale et politique remettant en question le passage de la dictature militaire à la démocratie parlementaire.  
  5.  Rappelons que le début des années 1980 a été marqué par l’arrivée au pouvoir du PASOK (PS) et par l’assimilation de luttes sociales. Par opposition aux gauchistes, les anarchistes ont été les seuls à ne pas être assimilés par le régime. En 1985, après l’assassinat par la police dans le quartier d’Exarchia du jeune de 15 ans Michalis Kaltezas, ils ont été à l’origine d’une multitude de résistances combatives, voire même de révoltes qui ont elles-mêmes constitué un terrain de rencontre entre les anarchistes et la jeunesse sauvage. A partir du début des années 1990, l’intensification de l’offensive de l’Etat et du capital, au nom de la modernisation et de la restructuration, a donné lieu à une série de luttes de travailleurs et d’étudiants, créant parfois de nouvelles formes d’intervention anarchiste.
  6. Metapolitefsi : terme désignant la période qui s’ouvre avec la chute de la dictature militaire en 1974, caractérisée par un esprit d’agitation sociale particulièrement intense qui est le signe d’une dynamique sociale et politique débordant largement le cadre d’un passage pur et simple de la dictature militaire à la démocratie parlementaire. Mettre fin politiquement à cette période a longtemps constitué – et sous certains aspects constitue encore – un enjeu majeur pour l’Etat, et ce quelle que soit la forme de sa gestion politique. 
  7.  Après sa destruction, le parc Kyprou et Patission a été réinvesti, par des habitants du quartier et des solidaires, et est devenu un foyer d’activités sociales auto-organisées. Le maire actuel, après avoir coupé l’eau pour obliger en vain l’Assemblée de Résistance et de Solidarité Kypselis-Patission à l’abandonner, tente de le récupérer en prétextant sa rénovation.
  8.  Place Syntagma : littéralement, place de la Constitution. Place où se trouve le Parlement.