DV: Vous connaissez bien Nantes?

Pierre Carles: Oui, un peu. Je suis venu il y a 3 ans au cinéma Bonne Garde pour une rétrospective de mon travail. J’avais passé 3-4 jours à Nantes et j’en garde un très bon souvenir. La famille Clochard, qui tient le cinéma de quartier le Concorde, a toujours défendu mes films. J’ai aussi un peu suivi les dernières manifestations contre le projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes. Certaines personnes s’étaient déguisées en légumes, en patate notamment, et déambulaient Place du Commerce au milieu des manifestants cagoulés qui résistaient aux CRS. On ne voit pas trop ça ailleurs.

Les débuts dans la carrière journalistique

DV: Au début de votre carrière, vous avez commencé à « L’Assiette anglaise » avec feu Bernard Rapp, où vous jouiez un peu le rôle de journaliste-trublion.

PC: J’y faisais des détournements d’images et des reportages plutôt loufoques sur des événements médiatiques ou surmédiatisés. On a été, me semble t-il, des précurseurs sur ce créneau-là.

DV: Certains reportages tiennent encore le coup, comme le voyage de Mitterrand à Solutré.

PC: C’était tabou à l’époque, lorsqu’on suivait François Mitterrand lors de son ascension annuelle de la roche de Solutré, d’enregistrer quoi que ce soit en audio ou en vidéo. Gravitait autour de Mitterrand toute une cour de journalistes et il n’était pas question de transgresser la sacro-sainte règle du « off the record». Mitterrand pouvait engueuler des journalistes ou en flatter certains, c’était le monarque parlant à ses sujets, à ses subordonnés. De manière générale, ces journalistes politiques  étaient fascinés par Mitterrand et perdaient tout esprit critique si tant est qu’ils en avaient. On a retrouvé cela plus tard avec Chirac, Sarkozy, DSK et maintenant Manuel Valls : une fascination pour le pouvoir, que ce soit le pouvoir politique ou économique.

Dans une autre émission de Bernard Rapp à laquelle j’ai collaboré – « Tranche de cake » – je m’amusais à filmer  les intérieurs des domiciles de personnalités invitées sur le plateau de l’émission. Le fabriquant de best sellers Paul-Loup Sulitzer avait très mal pris le fait que je livre à l’antenne le code du système de sécurité de son grand appartement bourgeois qui donnait sur les jardins de Matignon. Il pensait qu’on allait le cambrioler après ce reportage (rires). Bernard Rapp s’est toujours bien comporté avec moi. Avec, les producteurs de « Strip-tease », c’est l’un des rares hommes de TV à m’avoir protégé.

DV: Vous avez aussi travaillé quelque temps à « Canal plus »?

PC: Oui, ça n’a pas duré longtemps. Juste le temps qu’ils censurent un reportage qu’ils m’avaient commandé  (rires). Alain De Greef, le directeur des programmes de l’époque, n’avait pas apprécié « Pas vu à la télé », mon enquête pour « La Journée de la télé » sur la proximité entre certains hommes politiques et responsables de l’information. Il l’a purement et simplement censuré. Lui et son acolyte Pierre Lescure, qui dirige aujourd’hui le festival de Cannes, claironnaient à l’époque que leur chaîne était la plus libre, la plus impertinente.  Canal + continue aujourd’hui d’entretenir cette illusion. C’est du pipeau, bien entendu.

DV: Actuellement, vous habitez dans l’Hérault?

PC: Oui, prés de Montpellier. Je ne suis pas mécontent d’avoir quitté « le marigot » audiovisuel parisien et d’être retourné en province.  A Montpellier, on peut louer des locaux moins chers qu’à Paris, par exemple pour y installer une société de production. Des amis et des techniciens ayant participé à l’aventure de mon premier film « Pas vu pas pris », ou producteurs indépendants, comme Annie Gonzalez et Geneviève Houssay, ont créé C-P Productions en 1998. Quelques années plus tôt, j’avais tourné un documentaire à Montpellier sur Jacques Blanc, à l’époque président du conseil régional de Languedoc-Roussillon. Un drôle de personnage, hyperactif, un véritable drogué de la politique. C’était mon premier contact avec la région. Et C-P Productions est venu s’installer ici au début des années 2000.

DV: Et vous êtes sur quoi actuellement?

PC: Je réalise un reportage sur l’omerta de la presse audiovisuelle française à propos de la politique économique et sociale du président équatorien Rafael Correa.  Ça s’appelle « Les ânes ont soif ».  Correa est venu en visite officielle en France en novembre 2013 et personne n’a eu l’idée de l’inviter. Les seuls journaux français qui ont couvert sa venue à l’université de la Sorbonne où il a donné une grande conférence sont « le Monde diplomatique » et… « Le Figaro ». Le journaliste du « Figaro » a raconté à Aurore Van Opstal, qui a fait la plupart des interviews, qu’il était obligé de parler de Rafael Correa en raison de ses incroyables performances économiques. Le taux de chômage de l’Equateur est en effet de 4 % et la dette publique du pays représente aujourd’hui moins de 25 % du PIB, des chiffres meilleurs que l’Allemagne. Pourquoi les Yves Calvi, David Pujadas, Christophe Barbier, Claire Chazal, Laurent Delahousse et cie n’ont pas proposé à Rafael Correa d’expliquer sur leur plateau ses recettes anti-crise ? Probablement parce que ça ne correspondiat pas avec le discours pro-austérité et anti-étatiste ambiant…

Autre video que je viens de tourner, avec Nina Faure et Brice Gravelle cette fois-ci : la journée du livre politique à l’Assemblée Nationale en février dernier. A cette occasion, nous avons interpellé Frédéric Mitterrand, Christophe Hondelatte et d’autres journalistes vedettes. On leur a demandé quel était le journal français le plus influent à l’étranger, celui qui avait le plus grand nombre d’éditions étrangères, en nous faisant passer pour un organisme de promotion de la presse française à l’étranger. Nos interlocuteurs ont été surpris d’apprendre que « le Monde diplomatique » était la publication française disposant de plus d’éditions étrangères. Ils se sont retrouvés à faire la publicité pour ce journal à l’insu de leur plein gré (rires). La plupart d’entre eux ce sont prêtés au jeu, alors que normalement, ils détestent ce journal et les idées qu’il véhicule, trop à gauche pour eux.

Dom: Vous n’êtes pas à votre coup d’essai de « poil à gratter » journalistique.

PC: Non, ce n’est pas la première fois. Lors du tournage de  « Fin de concession », nous avions repeint en doré le scooter David Pujadas. Il s’agissait de rendre clair le fait que Pujadas se comportait en laquais du pouvoir, notamment lorsqu’il sefait convoquer par Nicolas Sarkozy au palais de l’Elysée pour une interview cire-pompes. Il devrait assumer publiquement ce rôle de laquais du pouvoir et, par conséquent, rouler sur un scooter doré. Il n’y avait rien de gratuit dans cette action, ce n’était pas un happening à la « Rémi Gaillard ». Il s’agissait, par le biais de cette imposture, de rendre visible l’engagement politique de ce journaliste qui se prétend neutre d’une point de vue politique. Maintenant, dans ce registre-là, certains sont allés beaucoup beaucoup plus loin que nous, je pense notamment aux « Yes Men ».

Un ostracisme revendiqué

Dom: Et donc vous êtes ostracisé au niveau des médias,  même sur les émissions consacrées aux médias?

PC: Parce que je ne respecte pas les règles non-dites du système. Un journaliste spécialisé dans la critique des médias comme Daniel Schneidermann passe, lui, dans les émissions de télé ou de radio, notamment sur Canal +, parce qu’il respecte la lois du milieu audiovisuel, notamment celle qui consiste à ne pas trop critiquer la puissance invitante ou au moins à se fixer des limites en matière de critique de l’émission qui vous invite. Alors qu’en ce qui me concerne, je ne me sens pas tenu par ces règles tacites. Les gens de télévision sentent probablement cela. Autre chose qu’il faut respecter à la télé : ne pas utiliser de moyens non-orthodoxes, de caméras cachés, de systèmes d’enregistrement de conversations avec les puissants. Si l’on fait cela, c’est plutôt à l’encontre des « petits » ou des « moyens », pas des « gros ». Ceux qui se disent libres, indépendants et impertinents comme « Le petit Journal » de Canal Plus le savent parfaitement. Ils respectent ces règles-là. Ils ont toujours épargné Michel Denisot, l’animateur du « Grand journal », l’émission phare de la chaîne.  Ils n’ont jamais montré que Michel Denisot avait fait de la pub pour la candidature DSK puis pour celle de Hollande, tout en ménageant Sarkozy et même Marine Le Pen, ou bien  que le rédacteur en chef de son émission avait réalisé un publi-reportage pro-DSK honteux avant l’affaire du Sofitel. Et les vrais candidats de gauche, eux, ont été ignorés ou méprisés par Apathie, Denisot et son équipe. Yann Barthès et  son « Petit journal » se sont bien gardés de raconter tout cela. Ça serait intéressant aussi qu’ils indiquent au spectateur leurs salaires astronomiques. Ils risqueraient de se  prendre des tomates dans la figure ou se retrouver enduits de plumes et de goudron, ils ont donc raison de ne pas le faire.

Nous, en revanche, nous ne respectons rien, nous ne fixons pas de limites et… pouvons donner nos salaires, proches du SMIC quand ce n’est pas en dessous.

Dans « Fin de concession », nous nous sommes amusés à rendre visite au directeur du « Figaro » Etienne Mougeotte déguisés en journalistes uruguayens (le fameux « Pedro Carlos », NDLR). Et Mougeotte l’a cru ! Cela montre l’égo de ces journalistes-vedettes. Ils pensent qu’ils sont célèbres, y compris en Amérique Latine où personne bien entendu ne les connait. On peut les piéger avec des ruses aussi minables que celle-là.

De manière plus générale, nous agissons en « kamikaze », en nous en fichant de nous griller avec tous ces grands médias. Passer à la télévision ou à la radio nous importe peu. Ce système médiatique est une des composantes essentielle du système capitaliste que nous combattons. Il faut forcer ces grands médias à révéler leur véritable nature, dévoiler leur fonction première : faire en sorte que rien ne change, perpétuer l’ordre établi, maintenir les relations de dominations dans nos sociétés…

Dom: Vous n’êtes plus présent sur les médias dominants, mais vous donnez toujours des interviews pour des blogs ou sites internet…

PC: Oui, je m’exprime plutôt chez les « petits ». Mais mon moyen d’expression, c’est d’abord et avant tout la réalisation de films. Et même si ceux-ci ne passent pas à la télé, il existe toujours un réseau de salles de cinéma indépendantes susceptibles d’accueillir mes réalisations comme « le Concorde » à Nantes, « Le Diagonal » à Montpellier, les Utopia à Avignon, Bordeaux ou Toulouse… En quinze ans, j’ai eu le temps de faire le tour des salles « Art et essai ». Le problème, c’est que tout une partie du public ignore ces lieux : les jeunes, les classes populaires…  Le public de ces salles est plutôt un public de retraités ou de profs lisant « Télérama », des gens comme ça, vous voyez.

Dom: Certaines personnes ou journalistes considèrent que vous prenez trop la pose de martyr médiatique.

PC: Si vous le dites… Mais je ne crois pas que ce soit le cas. J’ai été objectivement confronté à des actes de censure sur toutes les chaînes ou presque. Dès que l’on exerce le métier de réalisateur de de manière indépendante à la télévision, on est confronté à des réactions brutales. Etienne Mougeotte, l’ancien n° 2 de TF1, m’a traité de « petit merdeux » du  temps de l’émission « Ciel mon mardi ». En même temps, c’est souvent un honneur de se faire traiter de « merdeux » par ces gens-là pour lesquels je n’ai aucune estime, de se faire menacer d’un procès par des gens comme Jean-Michel Apathie, Laurent Joffrin ou Renaud Dély au moment du tournage de « Hollande, DSK, etc. ». Parfois, on va un peu les provoquer un ces responsables de l’information, on cherche à les pousser au procès. Ce fut le cas avec Pujadas et son scooter : on aurait bien voulu aller devant un tribunal expliquer pourquoi, de notre point de vue, le présentateur du JT de 20h00 de France 2 était un laquais du pouvoir. Mais il a senti le piège et n’a pas porté plainte contre nous.

Sur les documentaires

Dom: Vous avez réalisé divers documentaires, comment les classeriez-vous?

PC: Certaines personnes considèrent que l’un de mes meilleurs documentaires serait « ni Vieux, ni traîtres », coréalisé avec Georges Minangoy, sur le groupe de lutte armé Action Directe ». Or quand je le revois aujourd’hui,  je suis catastrophé : je ne vois que les défauts, les séquences qui manquent, les erreurs historiques…

Je suis plutôt critique à l’égard de mon boulot mais même avec leurs faiblesses ces documentaires ont le mérite d’apporter un autre son de cloche que le discours ambiant, me semble t-il.

Dom: Un de vos reportages les plus radicaux, c’est celui sur « Attention danger travail », voilà un vrai documentaire « alter ».

PC: Avec Christophe Coello et Stéphane Goxe, nous avont été parmi les premiers à interviewer des « déserteurs du marché du travail », des personnes habituellement invisibles dans les granss médias. Le documentaire a surpris les spectateurs, car on se demandait d’où  sortaient ces gens-là. C’est sûr que ce ne sont pas les chaînes de télévision qui vont raconter ce genre de choses. Pour elles, il est impensable qu’un chômeur ne puisse pas accepter n’importe quel boulot pour pouvoir consommer et ainsi trouver les moyens d’être heureux. Car c’est cela le discours dominant :  le bonheur passe par la consommation ou la surconsommation et donc le travail salarié, quel que soit sa nature. C’est sûr que l’on est dans une société où la valeur travail est très importante, est centrale même, mais on devrait admettre aussi que certains ne veuillent pas adhérer à ce système de valeur. Notre boulot, c’est de donner la parole à ces minoritaires, à ces hérétiques, à ces irrécupérables…

Dom: Lequel de vos documentaires a le plus marché en terme d’entrées?

PC: « Pas vu, pas pris » qui a fait près de 170 000 entrées. Le deuxième en terme d’entrées c’est « La sociologie est un sport de combat » avec 100 000 entrées, un score remarquable pour un documentaire plutôt austère, pas très rigolo. Le troisième c’est « Attention danger travail » avec 75 000 entrées. 

Dom: Avez-vous fait des progrès sur le plan réalisation?

PC: Oui, je crois, en terme de montage notamment, ou même sur le plan narratif. Entre « Pas vu, pas pris » (1998) et « Fin de concession » (2010), il y a un sacrée différence. « Fin de concession » était plus désenchanté, moins jubilatoire  que « Pas vu, pas pris » mais beaucoup plus intéressant du point de vue de la réalisation, plus «  expérimental », disons. Le scénario initial a pris des directions inattendues et en raison de la manière dont la productrice Annie  Gonzalez conçoit la production d’un film. Nous avons pu intégrer certaines péripéties de tournage alors que ce n’était pas prévu initialement. C’est le cas par exemple de la séquence avec Jean-Marie Cavada où ce dernier arrive à retourner à son profit l’entretien dont il aurait dû sortir ridiculisé. Avec Bernard Sasia, l’un des monteurs, et Annie Gonzalez, on a regardé les rushes et on s’est dit que ce serait intéressant que mon personnage incarne plutôt l’échec ou le doute dans ce film. Il finit par se poser un certain nombre de questions sur l’efficacité de son travail de contestataire et sur les limites de l’action individuelle, ce qui ne m’empêche pas de repartir à l’attaque mais à plusieurs cette fois-ci. Ce « Carlos Pedro » montrait une certaine impuissance alors qu’au même moment des millions de  personnes défilaient dans la rue contre la réforme des retraites sans rien obtenir du gouvernement. La « fiction » rejoignait d’une certaine manière la réalité. Mais on ne peut faire cela qu’à condition de s’inscrire dans une démarche artisanale, ce qui exclue de travailler pour la télévision qui privilégie, elle, des scénarios pré-établis.

Dom: Vous avez des retours par rapport à vos documentaires?

PC: Vous voulez parler des gens à qui l’on s’en prend ? L’avocat de Charles Villeneuve nous avait interdit d’utiliser des images de son client dans « Fin de concession ». On a filmé le moment où l’on lisait cette lettre d’avocat, un courrier qui nous faisait plutôt rire, et on a gardé cette séquence dans le film. C’était une manière de leur dire « même pas peur ! ». En revanche, ces gens de télévision doivent avoir, eux, un peu peur de nos films puisqu’aucun d’entre eux n’est passé sur le petit écran en France. Sept longs-métrages sortis en salles non diffusés à la télévision, c’est un cas unique je crois ces dernières années.

Dom: Et avec « Choron dernière », vous vous attaquez frontalement à Philippe Val.

PC : Philippe Val, on s’est vite aperçu que c’était quelqu’un d’autoritaire et sûrement pas de libertaire, à l’inverse de ce qu’il faisait croire jusque là, notamment dans le duo Font & Val. C’était quelqu’un qui ne supportait pas la contradiction en tant que rédacteur en chef de « Charlie hebdo ». Il était aussi grandiloquent et pontifiant que BHL, un personnage aurait été la risée du « Charlie hebdo » 1ère période, celui des fondateurs. Bref, il avait trahi l’esprit «  Charlie hebdo » en y introduisant un discours de curé insupportable, tout le préchi précha que l’on retrouve chez les socialistes de droite actuellement au pouvoir. Ce documentaire réalisé avec Eric Martin se voulait d’abord un hommage au professeur Choron. Il montrait la grandeur et le panache de Choron, y compris vers la fin de sa vie, face à la petitesse des dirigeants du nouveau « Charlie-Hebdo ». A l’époque de  Choron et Cavanna, les rédacteurs et les dessinateurs de « Charlie-Hebdo » ne s’auto-censuraient pas. Choron leur disait  « allez-y, foncez, ne vous bridez pas, je vous couvre en cas de procès ». C’est pour cela que Choron a fini ruiné à la fin de sa vie.

Dom: Dans « Les nouveaux chiens de garde », le documentaire montre comme vous les relations incestueuses entre journalistes et hommes de pouvoir, comme pour le « dîner du Siècle ».

PC: Ils ont tourné avant nous mais leur film est sorti après le nôtre. Dans « Fin de concession », nous manifestions devant le « dîner du Siècle » pour que les journalistes « retenus en otage »  soient relâchés. D’où les slogans comme « Libérez Arlette Chabot ! ». On essayait de faire passer l’idée que les journalistes qui fréquentaient le « dîner du Siècle », les Pujadas, Field, Chain et cie, avait été contaminés par les idées néo-libérales omniprésentes dans ce cercle, avaient subi un lavage de cerveau, et il fallait les empêcher de propager ces idées néfastes à l’ensemble de la population française. Voilà pourquoi nous voulions les empêcher d’entrer, les « libérer ». Pour les aider, pour les décontaminer. Inutile de vous dire que ça ne les faisait pas rire du tout. Ils nous ont d’ailleurs envoyé les CRS et ça a failli mal se terminer.

Dom: Dans « Fin de concession », vous revenez sur les conditions de la privatisation de TF1 en 1987. Certaines images font froid dans le dos à postériori.

PC: En 2010, Arnaud Montebourg présentait comme une grave erreur cette privatisation de la 1° chaîne française. On va voir si, à présent qu’il est pouvoir, il propose la nationalisation de TF1 ou, au moins, le non-renouvellement de la concession de TF1. Le réseau hertzien appartient à l’Etat et l’on peut fermer une chaîne ou la réattribuer, ça s’est déjà fait. La meilleure solution ce serait de fermer toutes celles qui propagent la même vision du monde, non ? Il n’en resterait que deux ou trois et ce ne serait pas plus mal.  C’est seulement à partir de ce moment-là que l’on pourra peut-être créer de vrai médias alternatifs, adoptant des points de vue anti-libéraux, marxistes, anti-productivistes, décroissants…

L’autoproduction

Dom: Sur le plan de la formation initiale, vous avez fait l’école de journalisme de Bordeaux ; à l’époque, c’était Pierre Christin le directeur?

PC: Oui, il dirigeait l’école de journalisme et y enseignait. Je suis passé par cette école à la fin des années 1980, après avoir fait une formation d’animateur socio-culturel, en même temps que Gilles Balbastre, le futur réalisateur des « Nouveaux chiens de garde ».  Cette école de journalisme ouvrait son recrutement à des profils un peu atypiques, comme le mien. Ça m’a permis de me former à la caméra et au montage, d’acquérir ma carte de journalisme et d’intégrer en franc-tireur la télévision.

Dom: On vous demande pour des conférences?

PC: Quelque fois. L’an dernier j’ai été invité par l’IUT de journalisme de Tours, mais plutôt à la demande des élèves que de la direction. L’école de journalisme de Bordeaux m’a aussi fait venir une fois, il y a longtemps. Je ne suis pas vraiment le bienvenu là-bas. Les écoles des Beaux-arts de Grenoble, de Lyon et de Perpignan m’ont aussi fait intervenir ces dernières années.

Dom: Dans le prolongement de vos documentaires, vous écrivez des livres ou des articles?

PC: Des livres non, des articles parfois. Mon travail est avant tout de nature audiovisuel. On aura prochainement une bonne vue d’ensemble de ce travail grâce au site internet <www.pierrecarles.org> en chantier. C’est Alexandre Borrut, un militant de l’ « internet libre », qui est  à l’initiative de ce projet.

Dom: Vous êtes dans l’autoproduction? Vous avez un site qui vend vos propres DVD?

PC:  Certaines de mes réalisations sont des autoproductions mais la plupart d’entre elles ont produites par Annie Gonzalez et C-P Productions (cf lien http://www.cp-productions.fr/).  C-P ne produit pas seulement mes documentaires mais également ceux d’autres réalisateurs. C’est le cas de « Squat, la ville est à nous » de Christophe Coello ou « André et les martiens » de Philippe Lespinasse. On édite aussi en dvd les documentaires de Gilles Perret (« De mémoire d’ouvriers », « Les jours heureux »), d’Elvira Diaz. On ne roule pas sur l’or mais on reste indépendant et cela n’a pas de prix.