Ça fuit de partout. Voilà qui, d’un point de vue local, du point de vue de la commune, n’a rien de désastreux. Partout, des gens cherchent et expérimentent d’autres façons de s’organiser, de vivre, de se lier les uns aux autres et au territoire qu’ils habitent. Ça fuit, mais ça ne fuit pas comme des rats. Il y a une recherche à l’oeuvre, qui est à la mesure du désastre général. Seulement, ce serait une erreur que de voir là de simples « alternatives » au système économique dominant. La situation est bien plus panique que cela, et en un sens plus politique. En fait d’« alternatives », ce qu’il y a c’est bien plutôt un combat. Un combat entre une organisation sociale en restructuration violente au profit de la petite minorité nécessaire au pilotage de la machine économique mondiale depuis les métropoles, et toute la vie qui s’agence à l’écart et contre cette organisation. Ce qui se constitue, ce ne sont donc pas des îlots, des oasis, des niches existentielles au milieu du désert néo-libéral, mais de véritables mondes, une sorte de condensation territoriale de forces, d’idées, de moyens et de vies qui attirent magnétiquement tout ce qui fuit, tout ce qui déserte, tout ce qui fait sécession avec le nihilisme dominant.

Ces dernières années, c’est un tel processus de regroupement que nous voyons s’accélérer, à notre petite échelle, sur le plateau de Millevaches. Il y a là, sur cette rude terre, pas à pas, un dehors partiel à l’ordre global qui se construit. Un dehors qui ne concerne pas seulement ceux qui y vivent, mais aussi tous ceux qui pourraient être tentés, à un moment ou à un autre, de laisser derrière eux une forme d’existence devenue par trop toxique pour eux. À tel point que l’on se prend à imaginer par ici que si la politique nationale devait continuer de suivre sa pente néfaste, le plateau pourrait bien assumer en tant que tel une sorte de rupture avec cet ordre vermoulu. Au reste, une telle chose s’est déjà vue par ici dans l’histoire récente. Les maquis pourraient bien, un de ces jours, ressortir des musées.

Mais venons-en à la raison de ce courrier. Cela va faire bientôt dix ans que nous avons pris la ferme du Goutailloux à Tarnac. Depuis le premier jour, nous rêvons d’en faire un grand lieu collectif ouvert sur le plateau et sur le monde. Un lieu où l’on pourrait réunir des centaines de personnes à l’occasion de séminaires, de grands repas communaux, de fêtes, de la venue de troupes de théâtre ou de groupes de musique. Nous rêvons depuis dix ans d’une grande salle de plus de 300 m², de granit et de bois brut, et dont l’atmosphère porterait la réconciliation du merveilleux, de l’expérimental et du populaire. Une sorte de collision architecturale, toute proportion gardée, entre le théâtre du Globe de Shakespeare, le club rock underground CBGB à New York et le saloon. Un lieu qui, par son ambiance, appellerait à lui tout ce que ne peut accueillir une salle des fêtes anonyme, carrelée et éclairée au néon. Un lieu donc, de rencontre, de réunion, de retrouvailles et de réjouissances. Jusqu’ici, et cela n’est pas tout à fait étranger à une certaine opération policière survenue le 11 novembre 2008, nous n’avons eu ni les forces, ni le temps, ni les moyens de nous lancer dans ce chantier considérable.

Or cette fois-ci, nous en avons fait les plans et une équipe d’une trentaine de compagnons bâtisseurs allemands a d’ores et déjà programmé de venir nous aider à réaliser ces travaux l’été prochain, en août. Ces compagnons font partie d’un groupe mixte de menuisiers, charpentières, tailleurs de pierre et maçonnes qui, passée leur formation, partent sur la route pour un tour de trois ans à travers l’Europe. Chaque année depuis 1982, ils interrompent leur itinérance et convergent pour un mois à l’occasion d’un chantier dans un lieu collectif qu’ils ont choisi de soutenir. Cette année, ils ont choisi le Goutailloux. Un chantier de cette ampleur coûte évidemment cher, et il nous manque encore, à ce point, quelque 70 000 euros pour financer la construction d’un bâtiment dont l’usage sera gratuit et débordera largement les seuls habitants de Tarnac. Pour tout vous dire, nous avons rarement eu autant besoin d’aide financière pour un projet qui nous tient à ce point à coeur et depuis si longtemps. Quant à ceux qui auraient le savoir-faire et du temps à consacrer, entre mars et juillet 2014, à des travaux de menuiserie, de charpente, d’électricité ou de maçonnerie, ils sont plus que les bienvenus. Il leur suffit de nous joindre, dès maintenant. Chaque semaine de ces chantiers préparatoires se concluera par un week-end consacré à la discussion politique et/ou l’élaboration théorique. Une façon d’être fidèle à ce que nous entendons par « commune » : une certaine manière de ne pas délier construction matérielle, pensée et geste politique.

À très bientôt,

Des amis de la commune de Tarnac