21 mars 2004

NOUVELLE AGRESSION NEOLIOBERALE DE LA COMMISSION EUROPEENNE

Par un communiqué de presse rédigé dans le style cher aux poujadistes comme aux fédérations patronales, la Commission européenne annonçait, le 13 janvier, qu’elle propose « une directive visant à réduire la paperasserie qui étouffe la compétitivité » (IP/O4/37 du 13 janvier 2004). Derrière ces propos populistes se cache une nouvelle attaque de ce gouvernement irresponsable contre ce qui reste du « modèle européen » agonisant après les privatisations successives et les remises en cause répétées des droits sociaux.

Il s’agit d’un projet de directive « relative aux services dans le marché intérieur » rédigé par les services du Commissaire européen en charge du marché intérieur, le très libéral Frits Bolkestein. On trouvera le texte de ce projet ainsi que le communiqué de presse et une évaluation d’impact de la directive proposée en consultant le site :
http://www.europa.eu.int/comm/internal_market/fr/services/services/index.htm

L’objectif est d’imposer aux 25 Etats membres de l’Union les règles de la concurrence commerciale, sans aucune limitation, dans toutes les activités de services qui ne sont pas, déjà, couvertes par des dispositions légales européennes (services financiers, télécommunications et transports). Ce qui signifie que la logique de la rentabilité va s’imposer partout.

Ceux qui sont familiers dès règles de l’OMC et de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) en particulier vont reconnaître dans ce projet des principes et des procédures établis par ces accords. Une fois de plus, l’Union européenne ne protège pas contre la mondialisation néolibérale, elle en prend la tête.

Objet de la directive

Le projet de directive établit « un cadre juridique général en vue d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services au sein des Etats membres » (IP/04/37).

La directive définit (art. 4) les services comme suit : « toute activité économique non salariée visée à l’article 50 du traité [de la Communauté européenne] consistant à fournir une prestation qui fait l’objet d’une contrepartie économique. ». En clair, sont visés tous les services, à l’exception de ceux qui sont fournis directement et gratuitement par les pouvoirs publics : l’enseignement et la culture sont bien entendus concernés, mais également la santé et l’ensemble du système de couverture des soins de santé qui font l’objet de dispositions particulières de cette directive.

Un mémo de la Commission (MEMO/04/03 du 13 janvier 2004), disponible uniquement en anglais, présente une liste non limitative de services visés par la directive qui vont des services juridiques aux professions artisanales comme plombier ou charpentier en passant par la construction, la distribution, le tourisme, les transports, les services de santé et de couverture des soins de santé, les services environnementaux, les cabinets d’architecte, les activités culturelles ou encore les agences de recrutement.

Il s’agit donc d’éliminer les « obstacles » à l’établissement et à la libre circulation des services.

Les « obstacles » sont formés par les législations et réglementations nationales jugées par la Commission européenne comme « archaïques, pesantes et en contradiction avec la législation européenne. » Il convient donc de « réformer » pour « moderniser ». On retrouve bien là le langage typique des libéraux de droite comme de gauche qui sous le couvert de modernisation démantèlent les acquis démocratiques et sociaux des deux cents dernières années. Car, les « obstacles » sont le plus souvent des dispositions arrêtées par les pouvoirs publics dans l’intérêt d’une meilleure prestation du service concerné du point de vue de la gestion des deniers publics, de l’accès de tous au service, des garanties fournies quant à la qualité du service, du droit du travail, des règles tarifaires, des réglementations visant la publicité. Ces « obstacles » ciblés par la Commission européenne, ce sont les dispositions arrêtées pour éviter que l’immense secteur des services devienne une jungle où se livre une concurrence débridée parce que la recherche de la rentabilité et du profit est la finalité première.

C’est la raison pour laquelle, la Commission européenne, dont la légitimité démocratique est quasi nulle, entend remettre en cause « le pouvoir discrétionnaire des autorités locales, » (IP/02/1180 du 13 juillet 2002), c’est-à-dire des institutions élues et contrôlées démocratiquement. La directive proposée est une véritable agression lancée par un collège de technocrates au service des firmes privées contre les choix opérés par des institutions légitimes issues du suffrage universel.

Modus operandi

1. le principe du pays d’origine (art. 16):

Afin de supprimer les obstacles à la libre circulation des services, le projet renonce à une pratique constante dans la construction européenne, érigée en quasi principe fondateur : l’harmonisation. Pour comprendre ce changement radical, il faut garder à l’esprit l’incidence de l’arrivée de dix nouveaux Etats membres dont les législations fiscales, sociales et environnementales vont dans le sens de l’Etat minimum. Harmoniser ne répond plus nécessairement à l’intérêt des firmes privées. On remplace donc, quand c’est utile, l’harmonisation par le « principe du pays d’origine. »

Selon ce principe, un prestataire de services est soumis exclusivement à la loi du pays où il s’établit et non à la loi du pays où il fournit le service. On se trouve en présence d’une incitation légale à délocaliser vers les pays où les exigences fiscales, sociales et environnementales sont les plus basses avec pour conséquence que ce phénomène devenu une règle européenne sera massif et provoquera donc une pression sur les pays dont les standards fiscaux, sociaux et environnementaux protègent davantage l’intérêt général.

En créant ce principe du pays d’origine, la directive viole l’article 50 du traité instituant la Communauté européenne. Celui-ci stipule que « le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que ce pays impose à ses propres ressortissants. » Avec le principe du pays d’origine, la Commission européenne dispense un prestataire de services établi dans un pays de respecter les lois des autres pays de l’Union. La Commission européenne, qui se considère au dessus des lois lorsqu’il s’agit de satisfaire les firmes privées, s’autorise à modifier le traité par le biais d’une directive.

Le pays d’origine, ce sera en quelque sorte le pavillon de complaisance des firmes prestataires de services.

2. Les régimes d’autorisation et les exigences interdites (art. 9 à 15) :

Afin de faciliter la liberté d’établissement, les Etats devront limiter les conditions d’autorisation d’une activité de service. Ces conditions devront être non discriminatoires, objectivement justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnelles à cette raison impérieuse, précises et non équivoques, objectives et rendues publiques à l’avance.

Un recours juridictionnel par le prestataire privé devra être rendu possible contre un non respect des limites apportées aux conditions d’établissement par les pouvoirs publics.

Les Etats n’auront plus le droit de formuler les exigences suivantes :

– l’exigence de nationalité pour le prestataire, son personnel, les personnes détenant le capital social, les membres des organes de gestion et de surveillance ;
– l’exigence de résidence sur le territoire pour les mêmes personnes ;
– subordonner l’autorisation d’établissement à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché ;
– subordonner l’autorisation d’établissement à l’évaluation des effets économiques potentiels ou actuels de l’activité envisagée ;
-subordonner l’autorisation d’établissement à l’adéquation de l’activité envisagée avec les objectifs économiques des pouvoirs publics ;
– l’obligation de constituer ou de participer à une garantie financière ou de souscrire une assurance auprès d’un prestataire ou d’un organisme établi sur le territoire où le prestataire de services opère ;
– l’obligation d’avoir été inscrit sur un registre ou d’avoir exercé l’activité pendant une période donnée.

En outre les Etats devront modifier leur législation afin d’enlever tout caractère jugé « discriminatoire » aux exigences suivantes, afin de justifier leur raison d’être et afin de prouver qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif :

– les limites quantitatives ou territoriales basées sur la population ou sur une distance géographique minimum ;
– l’obligation de se constituer sous une forme juridique particulière (personne morale, société personnelle, entité sans but lucratif, société appartenant exclusivement à des personnes physiques) ;
– les exigences liées à la détention du capital : obligation de disposer d’un capital minimum pour certaines activités ou d’avoir une qualification personnelle particulière pour détenir le capital social ou gérer certaines sociétés ;
– les exigences qui imposent un nombre minimum d’employés ;
– les tarifs obligatoires (minimum ou maximum) que doit respecter le prestataire ;
– les interdictions et obligations en matières de ventes à perte et de soldes ;
– l’obligation faite à un prestataire de donner accès à certains services fournis par d’autres prestataires ;
– l’obligation pour le prestataire de fournir, conjointement à son service, d’autres services spécifiques ;

C’est la Commission européenne, dont on connaît la dévotion aux firmes privées, qui vérifiera l’adaptation des législations des Etats membres à ces nouvelles libéralités.

Ce projet dépouille les pouvoirs publics du droit à orienter la manière dont s’organise l’activité, le développement et l’expansion économiques.

A une époque où la criminalité en col blanc et les malversations des dirigeants d’entreprises sont en augmentation constante, alors que, comme l’avait constaté la Commission européenne elle-même dans son évaluation de la situation des pays candidats à l’élargissement, le crime organisé s’est considérablement implanté dans ces pays, on imagine aisément les facilités que l’abandon de ces exigences va offrir à tous ceux que l’éthique la plus élémentaire n’effleure même pas. L’abolition des exigences énumérées dans la directive, c’est un boulevard offert à toutes les mafias.

3. La prise en charge des soins de santé (art. 23) :

Alors qu’aucun secteur précis ne fait l’objet de dispositions particulières, le projet cible spécifiquement la prise en charge des soins de santé.

Si un prestataire de soins de santé d’un Etat A veut s’installer dans un Etat B, ce dernier ne peut pas subordonner l’autorisation d’installation à la prise en charge des soins de santé par ce prestataire de soins de l’Etat A, en vertu du système de sécurité sociale de l’Etat B (celui dans lequel il veut s’installer). Le prestataire de soins qui vient s’installer dans un pays n’est donc pas obligé de respecter le système de sécurité sociale du pays où il s’installe.

On se trouve en présence d’une volonté délibérée de la Commission européenne d’enlever aux Etats la maîtrise de leur politique de santé. Ce faisant, elle viole le principe de subsidiarité tel que prévu par l’article 152-5 du traité qui stipule que « l’action de la Communauté dans le domaine de la santé publique respecte pleinement la responsabilité des Etats membres en matière d’organisation et de fourniture des services de santé et de soins médicaux. » Une tentative supplémentaire de modifier le traité par le biais d’une directive.

4. L’harmonisation de la publicité commerciale (art.29)

La Commission retrouve les vertus de l’harmonisation dès lors qu’il s’agit de prononcer l’abrogation d’une norme éthique : l’interdiction de la publicité commerciale pour les professions réglementées. Cette interdiction, considérée par les technocrates de la Commission comme « désuète et disproportionnée » (IP/04/37 du 13 janvier 2004), doit permettre, par exemple, aux médecins, aux pharmaciens, aux architectes, aux avocats, aux notaires de se livrer à la compétition commerciale et d’user des règles de la concurrence au mépris de la réserve qu’impose leur déontologie. Le projet préfère confier le respect de la déontologie à des codes de conduite, sans pouvoir contraignant.

L’impact

Les conséquences de cette directive, si elle est adoptée, vont être considérables :

1. – la définition des services ouvre la voie à la privatisation et à la mise en concurrence de presque toutes les activités de services, y compris la quasi-totalité de l’enseignement, la totalité de la santé et des activités culturelles ; c’est une logique purement marchande qui va prévaloir dans toute une série de secteurs où elle n’a pas sa place ;

2. – le principe du pays d’origine permet la dérégulation et la privatisation complète de tous les services qui ne sont pas fournis directement et gratuitement par les pouvoirs publics en permettant au prestataire de s’établir dans le pays le plus libéral et d’offrir ses prestations dans toute l’Union ;

3. – le principe du pays d’origine permet la déstructuration et le démantèlement du marché du travail dans les pays où il est organisé : ainsi, une entreprise polonaise qui détachera des travailleurs polonais en France ou en Belgique, par exemple, ne sera plus tenue de demander un agrément aux autorités françaises ou belges si cet agrément a été accordé par les autorités polonaises et seule la législation polonaise s’appliquera à ces travailleurs; en outre si cette entreprise polonaise utilise du personnel provenant, par exemple, d’Ukraine (pays qui ne fait pas partie de l’Union), seule la législation polonaise s’appliquera à ce personnel. Enfin, ce principe va permettre aux entreprises d’intérim de détacher des travailleurs intérimaires dans les autres Etats membres sans la moindre restriction, les conditions salariales étant celles du pays d’origine ;

4. – la disparition des restrictions nationales à l’établissement ouvre la voie à l’Etat minimum, celui-ci ayant perdu le droit de définir des choix fondamentaux dans l’organisation de la politique d’enseignement, de la politique de santé, de la politique culturelle et des politiques visant à permettre l’accès de tous à des services essentiels. Appliqué, à titre d’ exemple, à la politique de santé, l’impact des principes de base de la directive sera le suivant :
– principe du pays d’origine : un prestataire de soins d’un pays peut s’installer dans un autre pays sans devoir respecter la réglementation de son pays d’installation, ce qui conduit à une privatisation totale de la politique de santé ;
– limites quantitatives et territoriales : là où elles existent, les réglementation en matière d’établissement des officines pharmaceutiques ou d’implantation des services de radiothérapie ou de tout autre service médical spécialisé devront disparaître ;
– obligation d’adopter un statut juridique : les législations qui imposent un statut ou subordonne l’octroi de subsides à un statut particulier devront disparaître ;
– obligation d’encadrement : les normes d’encadrement des maisons de repos et de soins, les normes en personnel médical et infirmier par nombre de lits en milieu hospitalier devront disparaître ;
– tarifs obligatoires minimum ou maximum : les accords tarifaires, la réglementation portant sur la limitation des suppléments d’honoraires devront disparaître ;
– remboursement des soins par les systèmes de sécurité sociale : c’est l’Union européenne qui fixe désormais les conditions de remboursement tant pour les soins non hospitaliers que pour les soins hospitaliers en privilégiant non pas les patients, mais les prestataires de soins.
– un certain nombre de dispositions concernant les simplifications administratives auxquelles la directive aurait du se limiter peuvent être considérées comme des éléments positifs.

La directive et l’AGCS

Tout comme l’AGCS, le projet de directive peut être appliqué à quatre modes de prestation de services, définis comme suit dans l’AGCS:

– Mode 1: les services transfrontaliers : ceux en provenance du territoire d’un membre et à destination de tout autre membre : par exemple la transmission par courrier électronique de consultations d’avocats d’un pays A à un pays B sans déplacement physique d’une des deux parties.
– Mode 2: la consommation transfrontalière ou la consommation à l’étranger : par exemple la location par un touriste d’un pays A d’une voiture à l’étranger.
– Mode 3: l’établissement d’un fournisseur de services d’un pays membre sur le territoire de tout autre Etat membre.
– Mode 4: le détachement temporaire de personnes : par exemple des ouvriers du bâtiment du pays B occupés temporairement dans le pays A dans le cadre d’un contrat de construction exécuté par une entreprise du pays B.

L’AGCS porte sur tous les services de tous les secteurs. Une exception est prévue: les services publics définis comme ceux fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental, mais à condition qu’ils ne le soient ni sur base commerciale (ils doivent être gratuits), ni en concurrence avec d’autres fournisseurs. La directive sera d’application à tous les services fournis aux entreprises et aux consommateurs à l’exception des services fournis gratuitement et directement par les pouvoirs publics.

La directive et l’AGCS reposent sur des principes communs:

– la règle de la transparence : l’obligation de fournir des informations sur les services,
– l’accès au marché : implique que les pays ouvrent l’accès à leur marché aux ressortissants de pays tiers et que ceux-ci obtiennent le droit de fournir des services sur leur territoire,
– le traitement national : l’Etat membre doit réserver aux fournisseurs de services étrangers le même traitement qu’à ses propres ressortissants avec cette circonstance aggravante par rapport à l’AGCS qu’il ne peut, dans le cas de la directive, imposer ses propres lois aux fournisseurs étrangers.

Alors que dans le cadre de l’AGCS, ces principes doivent être explicitement repris par secteur et que des restrictions sont possibles, cela n’est pas le cas de la directive. Celle-ci prévoit que les Etats membres ne peuvent plus subordonner l’accès à une activité de service et sa fourniture à un régime d’autorisation (comme les tests de nécessité économique) sauf :
– si l’objectif poursuivi ne peut être réalisé par une mesure moins restrictive,
– si le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard d’un fournisseur de services,
– si la nécessité d’un tel régime se justifie par un motif d’intérêt général contraignant.

L’AGCS reconnaît que les gouvernements peuvent intervenir par une régulation tout en prévoyant que cette régulation publique doit avoir un fondement scientifique et qu’il ne peut y avoir d’autre régulation qui ait des effets moins importants de distorsion de la concurrence.

Ainsi, le projet de directive apparaît clairement pour ce qu’il est en fait : une transposition d’un AGCS encore plus néolibéral dans le droit européen.

Il y a d’ailleurs un lien direct et avoué entre ce projet de directive et les négociations de l’AGCS. Au nom de la cohérence avec les autres politiques de l’Union, le projet (page 16) indique clairement que les négociations de l’AGCS « soulignent la nécessité pour l’UE d’établir rapidement un véritable marché intérieur des services pour assurer la compétitivité des entreprises européennes et pour renforcer sa position de négociation. »

En clair, si l’Europe a totalement privatisé les services dans son espace intérieur, elle sera en position de force pour exiger, dans le cadre des négociations de la mise en ouvre de l’AGCS, la privatisation des services chez les autres. Bolkestein-Lamy, même combat !

La directive et l’élargissement

Cette directive, une fois adoptée par le Parlement européen, s’appliquera à l’ensemble des 25 Etats membres de l’Union. Il faudrait être naïf pour croire à une coïncidence entre le dépôt de ce projet et l’élargissement.
Le principe du pays d’origine n’est intéressant que dans la mesure où l’élargissement crée deux espaces au sein de l’Europe : un espace composé de pays qui connaissent encore – même si on ne sait pas pour combien de temps – des règles de droit dans le domaine fiscal, social et environnemental d’une part et, d’autre part, un espace qui, suite aux pressions intenses du FMI, de la Banque Mondiale et de l’Union européenne, a été reformaté selon les principes néolibéraux avant d’entrer dans l’Union. Avec cette directive, c’est le dumping fiscal, social et environnemental qui est légalisé. Si certains doutent encore que la Commission travaille d’abord pour les groupes de pression des milieux d’affaires, ils en ont ici une éclatante démonstration.

Les réactions

Pour apprécier le niveau d’intérêt des partis politiques et des organisations syndicales pour les dossiers européens, il faut se rappeler que ce projet de directive, résultant de travaux en cours depuis deux ans, a été présenté à la presse le 13 janvier 2004 et qu’il figure sur le site Internet de la Direction générale en charge du marché intérieur depuis cette date. Quant au très contestable principe du pays d’origine, c’est la majorité formée au Parlement européen par les chrétiens démocrates, les libéraux et la plupart des sociaux démocrates qui l’a appelé de ses voeux dans une résolution adoptée le 13 février 2003 (point 35 de cette résolution).

Au niveau des Etats membres de l’Union européenne, c’est le Parti Socialiste, en Belgique francophone, qui a donné l’alerte en publiant, le 20 février, un communiqué intitulé « La culture, la santé et l’éducation sont en danger, le PS tire la sonnette d’alarme et appelle à la mobilisation. »
A l’exception d’une réaction identique des homologues flamands du PS, aucune autre formation politique ne s’est exprimée dans aucun autre pays. Côté syndicats, la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB) s’est exprimée la première contre ce projet.

Au niveau européen, à ce jour, aucun groupe politique au Parlement européen ne s’est exprimé. Au plan syndical, le Comité Exécutif de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) s’est réuni les 17 et 18 mars avec ce projet de directive au point 10 de son ordre du jour. Il est apparu que plusieurs syndicats ignoraient l’existence même du projet et que d’autres, accordant la prééminence à la « loyauté européenne » sur la défense des catégories sociales qu’ils sont censés protéger, ont préféré adoucir le projet de réaction qu’il leur était soumis. Seul le Front commun syndical belge (FGTB et Confédération des Syndicats Chrétiens) a remis en cause plusieurs dispositions du projet de directive. Il demeure que, dans le langage très conciliant qui est habituellement le sien, « la CES est vivement préoccupée par l’application du principe du pays d’origine. »

Les échéances

L’actuelle Commission européenne termine son mandat le 31 octobre prochain.
Elle entend faire avancer ce projet autant que possible avant cette date et, au moins, qu’il soit déposé au Parlement européen afin d’être adopté définitivement en 2005. Voici les échéances connues à ce jour :

– ce 25 mars, la Commission soumet (c’est elle qui prépare les textes), au Sommet de Printemps de l’UE, un texte par lequel les chefs d’Etat et de gouvernement vont exprimer leur soutien à ce projet, lui donnant ainsi une impulsion politique. La formulation de ce soutien est encore en discussion en ce moment, la Belgique – seule – essayant d’obtenir une formulation plus nuancée : au point 20 du projet de conclusion de ce Sommet, il est dit que « davantage de concurrence est nécessaire dans le secteur des services » et qu’il faut donner « une haute priorité » à l’examen du projet de directive ;

– ensuite, des consultations, qui ont déjà commencé, se poursuivront entre la Commission et les gouvernements via un groupe de travail ad hoc. On ne devrait pas en attendre grand-chose si se répète ce qui a été observé à savoir qu’un seul gouvernement (celui de Belgique) a mis en cause certains principes de base du projet (le principe du pays d’origine, l’abandon du principe de subsidiarité, les remises en cause des articles 50 et 152 du traité) et demandé que la santé publique, l’audiovisuel et certains services sociaux soient exclus du projet. Ce qui ne protège pas d’un danger : si d’aventure le projet venait à provoquer trop d’objections, la Commission pourrait proposer d’arrêter une liste de services qui, provisoirement, ne seraient pas visés, sachant très bien que soit un Parlement européen encore plus néolibéral que l’actuel (qui voulait en matière de privatisation du rail aller encore plus vite que la Commission) pourrait demander une révision à la baisse de cette liste, soit des pays tiers qui, dans le cadre de l’AGCS et des demandes adressées par eux à l’Europe, voudraient amender cette liste ;

– le 19 mai, en pleine campagne électorale pour le renouvellement du Parlement européen, la Commission soumettra le projet au Conseil des Ministres qui examine les questions de compétitivité avec l’espoir d’obtenir un accord sur les grandes lignes du projet ;

– la Commission compte sur un accueil positif du Parlement européen, ce qui sera très probablement le cas. Même si, avec cette directive, le fameux « modèle européen » est mort.

A moins que.

A moins que, lors du scrutin européen, il y ait un vote massif de ceux qui veulent une autre Europe en faveur des candidats qui s’engagent, sans ambiguïtés, à combattre l’Europe néolibérale, individualiste, égoïste et marchande qu’on nous impose et à construire une Europe des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens.

Raoul Marc JENNAR
Chercheur
Oxfam Solidarité (Belgique) et URFIG (France)
Sites web :
www.oxfamsol.be
www.urfig.org