Rencontre avec sa présidente Dominique Poupard:

Dom: Bonjour, tout d’abord, je tenais à dire que j’ai fait pas mal de festivals BD et c’est bien la première fois que je vois le titre de festival BD engagée, ce n’est pas neutre comme titre:
Ce n’est pas neutre du tout, c’était aussi une provocation d’appeler ce festival comme cela et on en est à notre septième édition. Au départ, on était des militants d’Attac, Franck Loiseau et moi-même, on avait l’idée d’associer la BD à des débats d’actualité. L’engagement ici se fait au sens premier, on prend parti et on dialogue. On était aussi des amateurs BD, des enseignants qui utilisions ce support BD pour nos cours aussi, comme « Maus » d’Art Spiegelman. On a lancé cela il y a 7 ans et on ne pensait pas que cela allait perdurer.

Dom: C’est justement l’intérêt de festival, faire connaître des auteurs ou des thématiques.
En ce sens, nous avons eu des articles dans « le Monde Diplomatique » pas sur notre festival spécifiquement mais sur l’idée de BD politique ou engagée, il y a eu donc pas mal d’articles sur ces sujets car de nombreux auteurs font de la BD sérieuse ou politique à l’heure actuelle. Avant, la BD était plutôt pour la jeunesse et actuellement des auteurs comme Etienne Davodeau aborde soit des sujets sociaux ou politiques dans la BD.

Dom: Oui c’est vrai et c’est valable pour bon nombre de maisons d’édition comme Delcourt, ils sont présents dans tous les secteurs ou collections BD. Ils font aussi de la BD sérieuse, voire même engagée.
De manière générale, cette idée d’engagement était une forte provocation ; comme je suis professeur de français, je dois aussi faire connaître à mes élèves la poésie engagée par exemple ; c’est paradoxal, on va apprendre aux élèves, de manière officielle, des auteurs considérés comme dans la marge. Beaucoup de  monde se rend à ce festival et les gens se rendent  compte que ce n’est pas sectaire ou fermé du tout, il y a bien la possibilité de débattre dans ce festival. Il y a du fond et des débats dans ce festival. D’ailleurs, j’ai un ami africain et il considérait qu’à l’heure actuelle, les français débattaient peu ou plus au sein de leur famille ou avec leurs amis. Ce festival permet donc de confronter des idées et on a ainsi permet d’aborder des sujets délicats comme la guerre d’Algérie avec des témoins qui ont participé directement à cette guerre. Ils ont donc réussi à se parler dans le calme.

Dom: Votre festival se passe dans le choletais précisément.
Oui à May-sur-Evre plus précisément. On avait commencé à Cholet dans un lieu qui nous accueillait « la Résistancia », un lieu privé qui a dû malheureusement fermer pour des raisons financières et comme on n’était pas franchement soutenu par la mairie de Cholet, on s’est expatrié sur le May-sur-Evre à la galerie de l’espace Senghor et on y est très bien.

Dom: Et comme vous être présidente de ce festival, ce type d’événement se prépare 6 mois à l’avance?
Plutôt même un an à l’avance. Nous faisons tout avec l’association, on gère les invitations, la venue des auteurs, les refus aussi des auteurs…

Dom: Cette année, les thématiques seront sur quoi?
Il n’y pas vraiment de thématiques, c’est l’actualité qui fait la thématique. Cette année, au niveau des débats, on passe de l’Afrique du Sud à la désobéissance dans la fonction publique, de Notre-Dame-des-Landes à l’Iran, vous voyez c’est très, très varié. Il s’agit de penser le monde à partir d’oeuvres artistiques. De manière générale, on essaie de donner la parole à des auteurs inconnus, venant de l’étranger, donner la parole à différents regards en fait.

Dom:  D’où cette année, un sujet sur la désobéissance civique. Un sujet peu traîté de manière générale.
Oui tout à fait. Par le passé, on a mélangé des auteurs à contenu social, comme Etienne Davodeau avec « les mauvaises gens »notamment et des auteurs plus confidentiels mais dont le propos social nous intéressait. On n’est pas fermés aux auteurs connus ou ayant des prix aussi.

Dom: Ce sont souvent des auteurs ou maisons d’édition indépendantes.
On a eu de tout en fait en 7 ans d’existence. On a invité, par exemple, un certain nombre d’auteurs de « Futuropolis », mais aussi de « Glénat » ; cette année, ce sont plus des maisons d’édition indépendantes invitées mais ce n’est pas un choix délibéré.

Dom: Et cela se passe bien pour inviter les auteurs?
On est un petit festival donc on ne peut pas avoir tous les auteurs que l’on souhaite. On voulait inviter Kris par exemple cette année, il était déjà venu pour « un homme est mort » par le passé. On a nos réseaux et un bon bouche-à-oreille de la part des auteurs ; certains souhaitent revenir chaque année. Il faut bien comprendre que l’on fait tout nous-même, il n’y a pas de salariés au sein de notre association.

Dom:Cette année, encore beaucoup de débats?
Oui, 5 débats (l’année dernière, il y en avait 6) et souvent, les débats on les met en ligne sur Internet, sur Youtube notamment. Pour lancer le débat, on part d’abord de la vision d’un artiste et de son point de vue.

Dom: Et les médias locaux et nationaux parlent de vous?
Oui à « France Info » par exemple, Jean-Christophe Ogier dans son émission sur la BD. Mais, de manière générale, pour prendre de l’ampleur, il faudrait des financements supérieurs ; on n’est pas soutenu par des mairies. c’est un petit peu difficile lorsque tout repose sur des bénévoles, le risque c’est l’essoufflement. Actuellement, c’est surtout la région des Pays-de-la-Loire qui nous finance. On cherche d’autres financements, mais c’est difficile car on est un festival marqué et tout le monde ne veut pas être associé avec nous.

Dom: Il n’y pas de prix BD chez vous?
Non, on n’organise pas de prix. On n’y avait pensé à un moment donné, mais on a abandonné l’idée.

Dom: Pour ce festival, ce qui est frappant, c’est que vous diversifiez aussi les supports: comme les concerts, les vernissages ou les dédicaces…
Oui oui et pour le festival, le ciné-club de Cholet va projeter « la vie d’Adèle » de Abdellatif Kechiche pour le débat sur les amours homosexuelles à travers les âges. Film qui est tiré d’une BD, « le bleu est une couleur chaude » qui est très bien d’ailleurs.

Dom: Et sur le plan de la fréquentation? Vous attendez du monde?
L’année dernière, on a eu beaucoup de monde. On ne compte pas nécessairement. L’année d’avant un peu moins de monde et cette année, je ne sais pas trop. L’année dernière, des réseaux se sont mobilisés et on a senti que les gens se mobilisaient pour venir au festival et en même temps, on avait un auteur comme Didier Daeninckx qui a attiré du monde.

Dom: Et cette année, vous avez un auteur vedette?
Non pas cette année, sans vexer personne. Etienne Davodeau est venu plusieurs fois pour le festival les autres années.

Dom: Vous existez depuis 7 ans et votre pérennité est presque un fait politique, non?
Oui et il s’en est passé des choses depuis 7 ans. Notre premier festival s’est passé le 6 mai 2007 d’ailleurs ; le dimanche soir du festival, on a même assisté en direct à l’élection de Nicolas Sarkozy comme chef d’Etat.

Dom: Et votre visibilité médiatique? Elle se fait sur autant sur le plan local que national?
Local plutôt, régional aussi. Jean-Christophe Ogier sur « France Info » annonçait notre festival dans son émission chaque année.

Dom: Vous faites le lien aussi entre littérature et BD?
Tout à fait, avec des gens comme Didier Daeninckx par exemple avec ces romans noirs, ces polars à connotation politiques aussi. Une année, on avait fait un débat sur l’Irlande avec un auteur comme Kris et son expérience personnelle irlandaise ; on a eu aussi la venue de Sorj Chalandon et son roman sur l’Irlande, notamment l’histoire d’un dirigeant de l’IRA qui aurait joué double jeu avec les autorités policières anglaises.

Dom: Quels sont les arguments que vous pourriez développer pour attirer les gens à ce festival?
Et bien de venir dans un cadre verdoyant comme May-sur-Evre. C’est tendance et très branché de venir (Rires).

Dom: Vous êtes un festival régional, mais êtes-vous régionaliste?
Pas vraiment mais on insiste sur le local tout de même. On a mis en valeur la production régionale et un auteur par exemple comme Michel Humbert, ses BD sur les luttes sociales ou l’Algérie notamment. On n’est pas vraiment régionaliste tout de même.

Dom: Une question un peu plus polémique: vous en avez pas marre que les médias vous interrogent sur le maire de Cholet, Gilles Bourdouleix, et ses dérives sur les Roms.
Si, si on en a marre. Il faut bien comprendre que lorsqu’on a crée ce festival, on avait la forte impression d’être isolé sur le plan local et on avait vivement le besoin d’exprimer d’autres voix. On avait vraiment l’impression d’étouffer et c’est pourquoi on a crée ce festival.

Dom: Pour ce festival, vous avez invité des auteurs mangas ou comics?
Mangas non, des auteurs comics parfois suivant les années.

Dom: En tant que présidente de cette association, vous avez fait le tour de la BD et des maisons d’édition?
Oui, on connaît un peu mieux ce milieu-là, ainsi que les auteurs. On est un peu moins naïf qu’au début c’est sûr.

Dom: Pour en revenir au festival, que voulez-vous montrer avec le terme désobéissance civique dans la fonction publique?
Et bien on voulait montrer comment des fonctionnaires refusent d’appliquer ou de mettre en place certaines directives et dérives de leur ministère ; je le vois, pour ma part, dans le système éducatif qui cherche à se normaliser. Cet album « les désobéisseurs » s’inscrit dans le cadre des nouvelles politiques de la fonction publique, on le voit dans certaines fonctions publiques et leurs obligations de résultat comme dans le privé, politique qui n’a rien à voir avec l’humain.

Dom: C’est vous qui animez ce type de débat?
Oui et je vais en animer deux au moins cette année. Par le passé, j’en ai beaucoup fait.

Dom: Vous maîtrisez donc ce genre d’exercice?
Déjà, en tant qu’enseignante, je fais un métier où je parle devant un groupe. Animer un débat, j’ai appris et communiquer avec les médias pour ce festival aussi.

Dom: C’est une bonne affaire pour les auteurs ou maisons d’édition d’être dans ce festival?
Ah tout à fait, certains auteurs sont spécialisés dans des sujets difficiles et ils ont leur public à ce festival ; en plus, ils vendent bien leurs albums.

Dom: Vous parliez d’isolement au début de votre organisation, est-ce toujours le cas?
Ah non, c’est moins le cas car on est soutenu par notre public, public qui revient chaque année ;  certains auteurs nous connaissent mieux aussi et se passent le mot. On a eu des retours très, très positifs d’auteurs qui souhaitaient revenir à notre festival donc on ne se sent pas si isolés que cela quand même. Politiquement dans la région, on reste isolé ça c’est sûr.

Dom: Vous êtes fière de certaines éditions qui ont eu lieu par le passé?
Oui tout à fait, il y a eu de beaux débats ; le débat sur l’Irlande notamment avec Sorj Chalandon; le débat sur l’Algérie l’année dernière aussi avec les différents témoins de l’époque.

Dom: En ce sens, vous dépassez le média BD pour pousser vers des thématiques d’actualité.
Ah oui tout à fait, il y a une véritable synergie entre l’oeuvre, la BD et les divers intervenants. On fait donc intervenir pas seulement des auteurs BD, mais aussi des syndicalistes, des chercheurs et c’est ce croisement des regards avec le public qui est intéressant aussi. Mais, pour ce festival, j’ai à coeur de faire connaître certains auteurs et de petites maisons d’édition aussi (je pense à « Vide Cocagne » cette année).