Certes la joie des égyptiens de s’être débarrassés de ce régime est immense. Elle explose sur toutes les videos et dans tous les reportages. Les messages de mes amis sont enthousiastes. Mais tout de même, de ce côté de la Méditerranée, ceux qui sont toujours prompts à donner des leçons de démocratie, comment peuvent-ils nous expliquer qu’il y a de bons coups d’Etat ?

Sur le pont de l’Université hier

Alors que 1500 jeunes en 2011 ont perdu la vie pour arracher un début de démocratie aux griffes d’un pouvoir militaire en place depuis 60 ans, alors que l’armée en a torturé des milliers (souvenez-vous des caves du Musée, des tests de virginité), qu’elle a essayé d’étouffer dans l’oeuf  les organisations telle « Asker kazaboun » (militaires menteurs) qui dénonçaient leurs pratiques, il a fallu une mobilisation sans faille et des centaines de manifestations pour faire accepter le processus démocratique des élections présidentielles et législatives.

Souvenez-vous de la femme au soutien-gorge bleu, des massacres de la rue Mohamed Mahmoud, souvenez-vous du massacre des coptes devant Maspero et des autres épisodes racontés sur ce blog.

L’autre avancée a été de permettre à l’Egypte de faire l’expérience d’un gouvernement par les Frères. Ces derniers, auréolés par plus d’un demi-siècle de résistance, durant lequel bon nombre d’entre eux ont connu la torture et la prison, étaient la seule force organisée. Leur participation à l’avenir du pays était incontournable. Pour faire tomber le masque de leur discours religieux il n’y avait rien de mieux que l’épreuve de la conduite du pays. Et ils ont été d’une incompétence au-delà de toute espérance (peut-être l’armée, propriétaire d’une bonne part de la distribution des carburants a-t-elle légèrement savonné la planche). Le pays a rapidement plongé dans une crise économique terrible, et, cerise sur le gâteau, les Frères ont renoué avec la politique autoritaire dont ils avaient souffert, mettant de plus en plus en cause les libertés individuelles, enfermant des journalistes, poursuivant la pratique de la torture (qui n’a jamais vraiment cessé) et menaçant gravement la liberté d’expression. Des coupures d’eau et d’électricité ont achevé de détériorer la vie des égyptiens qui passaient déjà de longues heures à chercher du diesel pour leur voiture… enfin ceux qui avaient encore un travail et une voiture.

C’est alors que s’est lancé le mouvement « tamarod » (rebellion) au printemps dernier. Qui participe à ce mouvement ? Des jeunes, des milliers de jeunes de toute évidence, ceux qui étaient dans les premiers réseaux de la révolution, ceux du « 6 avril », ceux de « al-Ikhouan kazanoun » (les Frères menteurs) et de tas d’autres mouvements généreux et dynamiques. Du Nord au Sud la pétition demandant le départ de Morsy a circulé comme une traînée de poudre, tant la colère était grande.

Mais qui a fait imprimer la pétition ? Qui a fait le choix que la revendication-phare ne soit plus celle d’élections législatives anticipées, ou d’une autre « constituante »  ? On ne mobilise pas 22 millions de personnes sans qu’il y ait débat sur la stratégie, au moins au niveau des responsables politiques existants. D’ailleurs où sont-t-ils ces responsables et comment se fait-il que, dans une situation économique et sociale aussi désastreuse, ils n’aient aucun programme alternatif à faire entendre ?

Tout se passe comme si on avait soigneusement guidé la colère égyptienne vers cette seule revendication, totalement contradictoire avec la conquête d’un processus démocratique et qui va, au bout du compte, redonner aux Frères de quoi lustrer leur couronne de martyrs alors qu’elle allait tomber aux oubliettes de l’histoire (la chasse aux sorcières a déjà commencé).

Une autre information est absente des analyses éclairées d’aujourd’hui. Des centaines de journées de grève ont eu lieu depuis l’hiver dernier, dans l’industrie textile, dans le delta, dans les faubourgs du Caire pour exiger un salaire minimum, et une loi sur la liberté syndicale qui n’existe toujours pas. L’OIT a classé en juin 2013 l’Egypte sur la liste noire des pays où le droit du travail est bafoué. Jamais l’Egypte n’avaient connu autant de conflits sociaux, et les Frères ont tout fait pour faire taire ce mouvement qui clame toujours le slogan du 25 janvier : « pain, liberté, justice sociale ! ». Mais sont-ils les seuls à vouloir faire taire un mouvement ouvrier qui porte des revendications précises posant de véritables questions politiques ?

Au fait, ils sont où les felouls ? Dans les manifestations anti-Morsy bien sûr.

 

http://snony.wordpress.com/2013/07/04/ou-sont-les-felouls/