Au niveau national, les Verts autrichiens pourraient bénéficier du reniement controversé du SPÖ

« C’est scandaleux » : le porte-parole des Verts autrichiens, le très pondéré
Alexander Van der Bellen, a eu des mots cinglants, samedi 13 mars, pour
qualifier l’attitude des dirigeants du Parti social-démocrate (SPÖ) de
Carinthie, au sud de l’Autriche, qui ont accepté de collaborer pendant cinq
ans avec l’homme fort du Parti libéral (FPÖ), Jörg Haider, s’engageant à
faciliter sa réélection comme gouverneur de la province.

Les élus du SPÖ, qui a obtenu 38,4 % des voix lors du scrutin régional du 7
mars, arrivant toutefois en seconde position derrière le FPÖ (42,5 %), ne
voteront pas formellement pour M. Haider lorsque la diète provinciale devra
élire le gouverneur, le 1er avril. Mais il a été convenu que cinq d’entre
eux quitteraient la salle afin de permettre au FPÖ d’atteindre le quorum. En
échange de sa complaisance, le SPÖ se verra attribuer les fonctions qu’il
convoitait au sein du gouvernement du Land, au détriment de ses rivaux
conservateurs du Parti populaire (ÖVP). Ces derniers ont décidé, lundi
matin, de s’abstenir lors du scrutin.

L’accord conclu, samedi à Klagenfurt, la capitale provinciale, prouve que la
stratégie d’exclusion appartient « une fois pour toutes » à une époque
révolue, s’est réjoui le chef du FPÖ local, Martin Strutz, qui espère que le
« modèle carinthien » d’une alliance entre « rouges » et « bleus », la droite
populiste, fera école. Ce pacte rompt le « cordon sanitaire » établi par les
sociaux-démocrates autour du FPÖ depuis que Jörg Haider en a pris les rênes,
il y a dix-huit ans, lui imprimant une ligne xénophobe et anti-européenne.

ADMIRATEUR DU IIIE REICH

Sans doute, le SPÖ de Carinthie est-il marqué, plus que dans le reste de
l’Autriche, par le nombre important d’anciens nazis qu’il a absorbés après
la guerre. Mais en 1990 comme en 1999, les sociaux-démocrates carinthiens
avaient refusé de porter M. Haider au siège de gouverneur, celui-ci
parvenant à ses fins grâce aux chrétiens conservateurs. En 1991, les deux
grands partis ont voté ensemble sa destitution, après que le tribun
populiste eut fait sans complexe l’éloge de la « politique de plein emploi »du
IIIe Reich, lors d’un débat à la Diète. En février 2000, le SPÖ autrichien a
discrètement approuvé les sanctions diplomatiques prises par les partenaires
européens de l’Autriche pour isoler la coalition du chancelier conservateur
Wolfgang Schüssel avec le FPÖ. Mais, au printemps 2003, le chef du SPÖ,
Alfred Gusenbauer, avait ostensiblement déjeuné en tête à tête avec Jörg
Haider.

« Sur les questions concrètes, notre ligne ne s’est jamais beaucoup démarquée
de celle du FPÖ », s’est justifié le chef des sociaux-démocrates carinthiens,
Peter Ambrozy, qui avait pourtant axé toute sa campagne contre Haider. Mais
ses troupes sont divisées : « Partout dans le Land, des membres et des
permanents menacent de à la Diète veulent démissionner ou passer dans le
groupe des Verts », rapporte, lundi, le quotidien Standard.

Avec 6,7 % des voix et deux mandats, les écologistes entrent pour la
première fois au Parlement provincial. « Pendant la campagne,rappelle leur
tête de liste, l’humoriste Rolf Holub, le SPÖ expliquait que chaque voix
donnée aux Verts était perdue si on voulait empêcher Haider de redevenir
gouverneur ! »

Représentés désormais dans les neuf Lãnder, disposant de bases solides à
Vienne et dans l’ouest du pays, gouvernant en Basse-Autriche en coalition
avec les conservateurs, les Verts seront les principaux bénéficiaires du
désarroi du SPÖ. M. Ambrozy a cédé aux avances de Jörg Haider pour
s’accrocher à son poste : il avait été attaqué par des maires socialistes
qui se sont publiquement déclarés pour M. Haider avant le scrutin du 7 mars.
Les dirigeants nationaux du parti s’abritent derrière la décision
« autonome »de la branche carinthienne. Ils ont sans doute calculé que cette
échappée vers la droite permettrait de récupérer des voix du FPÖ lors du
scrutin présidentiel, fin avril, où le candidat socialiste, l’ancien
président du Parlement, Heinz Fischer, affrontera la ministre conservatrice
des affaires étrangères, Benita Ferrero-Waldner. En revanche, il est plus
difficile d’estimer les conséquences, pour la gauche autrichienne, de la
chute d’un tabou politique vieux de près de vingt ans.