J’aimerais dire quelques mots sur ce cancer fasciste qui a conduit à la mort de Clément Méric.

Parlons d’abord de ces caractéristiques évidentes sur lesquelles nous tomberons tous d’accord ici : les JNR, le Bloc Identitaire, le Renouveau français, les nationalistes autonomes, Jeune Bretagne ou Egalité et réconciliation sont des groupuscules de quelques dizaines de membres tout au plus. Mais ils bénéficient, aujourd’hui plus que jamais depuis l’après-guerre, d’un climat idéologique très favorable. On peut dire que les éléments cancérigènes se sont démultipliés depuis plusieurs décennies et se sont renforcées encore ces dernières années.

Le FN est évidemment sur le plan politique un foyer infectieux permanent par le poison qu’il distille. Une stratégie de « dédiabolisation » est à l’oeuvre que chacun ici a constaté : avec une exclusion partielle des militants les plus imprésentables. Cette stratégie ne trompe personne ici : chacun sait que ce parti est l’hériter du maréchal, des volontaires pour la SS, de l’OAS et des ratonnades. On sait aussi qu’il s’agit d’une stratégie d’hégémonie culturelle, concept qu’ils volent d’ailleurs à la meilleure tradition marxiste et antifasciste italienne. Quant aux groupuscules, ils ne conservant pas toujours de liens organiques avec la maison mère, ceux-ci peuvent s’adonner à l’outrance et à la violence de rue. La maison mère n’ayant plus qu’à distinguer d’entre les irruptions médiatiques de ces rejetons le bon grain de l’ivraie, quand les circonstances l’y obligent.

Cette stratégie ne pourrait être aussi payante si dans le même temps, au sein de l’Ump et de la droite en général, nous n’assistions pas à la liquidation désormais presque complète du compromis, hérité de la Résistance qui séparait d’une barrière (certes non-étanche néanmoins relativement solide) la droite conservatrice de la droite fasciste. Il est vrai que ce compromis et ce cordon n’ont été bâtis qu’à contre-coeur et sous la contrainte. Ils ont d’ailleurs été maintes fois levées au cours des ces 50 dernières années quand il s’est agit de combattre les mouvements qui exigeait un peu trop vigoureusement leurs droits (guerre d’Algérie ou mai 68 par exemple).

On a raison de dénoncer la quasi fusion des droites dans la rue dernièrement, mais ce mouvement est à l’oeuvre depuis plus longtemps. Sarkozy, on l’a dit, a été le nom de l’accélération de ce mouvement de fusion. Il est clair dès lors que les métastases du cancer se sont propagés dans la droite d’une façon évidente et presque naturelle.

Je n’enfonce là que des portes ouvertes, bien entendu, tout le monde sait ça. J’en viens encore à des choses que nous savons tous, toutefois celles-ci semblent plus difficiles à dire, car sujet à un large déni.

J’en viens à la Gauche et donc à la question de nos défenses immunitaires.

Qu’est-ce que vient faire la gauche dans un odieux crime commis par d’immondes fascistes, je vous le demande ? Les gens que nous venons de décrire brièvement : ces droites, ces groupuscules et leur idéologie prolifèrent, se sentent forts non parce qu’il y a la crise (nombre de parties politiques racistes, xénophobes,… se sont développés dans des situations économiques plutôt prospères) mais parce que la gauche ne s’occupe que de gérer les affaires courantes du capitalisme, parce que la gauche transige sur ces principes, est tiède, docile et ne fait peur à personne, surtout pas aux puissants, dans la mesure… où ils sont parfois désormais eux-mêmes de « gauche ».

Nous disons nous que la gauche ne peut avoir de sens qu’à être extrémiste, voire fanatique sinon intransigeante : dans sa défense de ceux qui ne comptent pour rien, des pauvres d’où qu’ils viennent, des déshérités. Sans quoi toute proclamation sur les droits de l’homme, le pouvoir du peuple ne sont que trompe-l’oeil, confiscation et mensonges. Le modérantisme fait perdre toute crédibilité à « la gauche », à nos syndicats, à nos collectifs et à nos organisations.

De là que sur fond de cet abandon et de ce modérantisme, les gestionnaires de gauche et de droite soient désormais presque d’accord sur tout : les « problèmes » sont les mêmes et les « solutions » sont les mêmes : le problème du déficit, de la sécurité, des immigrés, des syndicats (qui seront peut-être arc-bouttés sur leurs acquis, nous dira-t-on à la rentrée), le problème des banlieues, le problème du chômage (qui se transforme en problème des chômeurs) et le problème de « la finance » (petit bout de la lorgnette qu’on a d’ailleurs bien vite jeté aux oubliettes).

Dès lors, pourquoi le FN, ses idées et ses groupuscules ne prospéraient-ils pas, ne sentiraient-ils pas pleinement légitime à agir ? La solution, nous répète-t-on, n’est-t-elle pas de se serrer la ceinture, de faire du chiffre pour chasser les sans-papiers et de mettre les chômeurs au boulot avec ou sans coups de mentons ?

L’alternative politique véritable demeure la suivante, nous le savons : ou bien, on doit se serrer la ceinture pour que les banques s’engraissent, débusquer les mauvais français qui ne sont pas à leur place : les fonctionnaires, les immigrés, les chômeurs. Avec ce discours, les capitalistes et les fascistes auront toujours un coup d’avance. ou bien, le problème est celui du capitalisme, les moyens de s’y attaquer en sont : l’égalité, la lutte de classes et la solidarité des peuples.

Pourquoi ces métastases fascisantes n’infecteraient-ils pas les tissus et les cellules de la société, si nos défenses organiques sont si chétives ?

Je voudrais profiter de l’occasion même si je n’ai aucun titre pour le faire pour décerner une petite médaille, celle de l’imbécilité, à François Rebsamen, le sénateur-président du groupe socialiste-ancien administrateur de Dexia-maire de Dijon, qui lui, ne cumule aucun mandat… et qui expliquait sans rire que la domination idéologique de la droite était dû au fait que la gauche de la gauche n’était pas assez ouverte aux marchés…

Vous me rétorquerez qu’il est commode de désigner ainsi les coupables et les responsables qui ont conduit aux sentiments de puissance et d’impunité, à partir desquels un tel crime devient possible, en se donnant bonne conscience. Et nous justement, l’extrême gauche, les syndicalistes de lutte, les autonomes, que faisons-nous ?

Nous sommes hésitants quand nous ne ne résignons pas simplement. Nous estimons trop souvent que nous en avons fait assez, que d’autres pourraient aussi en faire un peu à leur tour. Nous menons quelques actions ici et là et nous sommes déjà fatigués. Nous sommes rarement prêts à prendre de véritables risques, à persévérer coût que coût dans l’action. Une garde à vue, un casier judicaire nous paraîssent coûteux, un séjour en prison exhorbitant. On se plaît parfois à imaginer un homme providentiel, des élections plus favorables. Nous sommes souvent vaincu par la peur ou par la lassitude du bien, les deux sans doute. On espère secrètement – un peu d’honnêté intellectuelle nous l’interdit pourtant- que le P.S. va quand même arranger un petit peu les choses, que les métastases fascisantes seront stopées avec des prises homéopathiques d’égalité.

Il nous faut donc malheureusement une sorte de traitement de choc.

Les événements autour de ce crime ne doivent pas se réduire à une commémoration dénonçant la bête immonde mais être le point de départ d’un sursaut collectif pour nous sortir de l’atonie et de la convalesence politique dans laquelle nous sommes plongés.