Prenons comme exemple de départ l’article « Quoi de neuf avec le nouveau féminisme ? », dans le numéro 229 de Courant Alternatif qui est fort intéressant et bien documenté (http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1348#forum2000).

Il est clair que les positions de Femen ou Pussy Riot ne sont pas en accord avec les idéaux communistes-libertaires. On peut en effet s’interroger sur tout groupe qui aurait des dérives nationalistes, racistes, hétéro-centrées, etc.

Egalement, je crois connaître et admire profondément les engagements des personnes féministes et des femmes de l’OCL, et ne désire en rien porter de jugement sur ces aimables personnes ou leurs propos. Au contraire.

Mais l’argument selon lequel tout groupe qui aurait des dérives nationalistes, racistes, hétéro-centrées, ne mériterait-il pas d’être retourné à d’autres groupes ou courants de pensée, y compris les groupes dont nous sommes les plus proches ?

Plusieurs remarques, m’y poussent :

En premier lieu, j’ai peine à comprendre ce que signifient les guillemets autour de « nouveau féminisme », dans le titre. Doit-on sentir qu’il y aurait un vieux féminisme (obsolète) et un nouveau féminisme (qui ne vaudrait guerre mieux) ? En lisant les 2 articles sur les genres dans ce numéro 229 de Courant Alternatif, je le crains par moments. Je reviendrais sur l’usage ici du singulier, (LE nouveau féminisme) qui mérite également d’être soulevé, me semble t’il.

Puis, je crois voir au delà de ces 2 articles, un peu « deux poids deux mesures » comme on dit : 5 pages au total à propos des questions de genres sur une excellente revue rédigée collectivement par un groupe dont les actions sur le terrain ne sont pas à mettre en doute, sur les 32 pages au total, soit 1/6e.

Chapeau, c’est déjà exceptionnellement beaucoup pour la littérature classiste (qui d’habitude escamote quasi entièrement les questions de genre) … mais il est clair que le ton et les arguments développés par exemple dans ces 2 articles de Courant alternatif ne sont pas de le même teneur que ceux qui visent des sujets dans les faits tout à fait similaires: j’y vois une sorte « d’exception de genre ». Je m’explique.

Il ressort que ces 2 articles sur les questions de genre sont au final franchement iniques et ont tendance à laisser entendre comme une généralité que les féministes, surtout dans l’hexagone, sont « naturellement » racistes, sous la coupe des media et de l’argent, et en quelque sorte des intellectuelles apolitiques.

Toute personne ayant vécu auprès de féministes durant les dernières décennies, ou pour les plus jeunes ayant parcouru le corpus impressionnant de récits, analyses et thèses issues des féministes de l’hexagone et d’ailleurs, ne peut que constater que les questions de racisme, d’âgisme, de militarisme, de genres, d’oppressions par la technologie, d’orientations sexuelles, ET d’exploitations économiques (dans et hors du libéralisme en général englobé sous le terme indéfinit de « capitalisme ») ont sans aucun doute été abordées par les innombrables voix des féminismes, avec plus de matérialisme et avec un grand souci de précision historique.

Face à ceci, je crains que la plupart des personnes qui liront « Quoi de neuf avec le nouveau féminisme ? » ne comprendront que deux choses.

La première, que LE féminisme est un truc de bourgeoises. Puisque LE féminisme n’a rien compris à ce bas monde et que LE féminisme fait / dit est juste bon à passer au pilori.

La seconde est que seules les féministes classistes seraient dignes d’être des prolétaires (et non des « bourgeoises »), voire d’être estampillées féministes.

Les questions de genres ne vaudrait-elles pour Courant alternatif qu’à travers le féminisme classiste ? Il n’y aurait qu’un seul et unique féminisme, au singulier (et pourquoi n’y aurait-il pas alors LA femme).

C’est d’ailleurs ce que je comprends de la conclusion de « Quoi de neuf avec le nouveau féminisme ? » : « il vaudrait bien mieux redécouvrir les méthodes d’action directe d’un féminisme lutte de classes pour aller vers une réelle émancipation sociale. » (SIC).

Ceci me semble beaucoup ressembler, mais au bord opposé de la scène politique, à ces discours abolitionnistes, qui parlent à la place des prostituées, qui ne décrivent qu’un seul angle – celui des prostitueurEs cherEs à nos amiEs d’Alternative Libertaire – pour au final interdire de féminisme les rares personnes recourant à la location de services sexuels comme moyen de subsistance et qui ont un tant soit peu de visibilité.

Par ailleurs, dans « Quoi de neuf avec le nouveau féminisme ? » ont lit : « Les trois femmes arrêtées … ont été condamnées … à deux ans de détention en camp … En appel, Ekaterina a été libérée avec sursis, et elle a aussitôt saisi la Cour européenne de justice afin de défendre ses camarades. »

La contraposée signifie que 2 de ces femmes écopent bel et bien de « deux ans de détention en camp », qu’elles semblent devoir purger.

Je trouve que la formulation par Courant alternatif tient de l’euphémisme pour une répression aussi brutale.

Qu’en est-il si on met en regard les justes positions et dénonciations dans Courant alternatif, avec d’autres répressions subies par des militantEs par exemple à Notre Dame des (toto) Landes ou dans une occupation d’usine (avec que des mecs qui en ont au premier plan, pour la photo).

Comparons : quand un camarade homologué se fait 48 heures de garde à vue parce qu’il a manifesté à poil, par exemple, ça provoque souvent des tollés bien plus véhéments. Que dirait Courant Alternatif si un garçon se prenait « deux ans de détention en camp », pour avoir simplement manifesté d’une façon contraire à la morale occidentale ?

Je vois là de plus une sorte d’asymétrie : sauf erreur ou omission, je ne vois pas ou peu de prises de dénonciations de la part de Courant Alternatif au sujet de la sur-représentation des mecs dans les articles sur telle ou telle lutte de terrain.

Par exemple, au delà de Courant Alternatif, de tout ce que j’ai vu et lu à propos de « La Saga des Conti » (dont l’affiche est riche en gros bras) néglige, sinon efface la part des non-mecs dans ces luttes. Le nombre d’exemples de ce type est énorme, pour ne pas dire systématique.

Pourtant, quand on participe à telle ou telle lutte, ou qu’on se renseigne sincèrement sur n’importe quelle révolte, on se rend presque toujours compte que la part d’action, de courage, détermination et l’efficacité des femmes dans les luttes est plus que significative. On ne peut également que constater que des femmes qui ne sont pas classistes ont bien souvent des faits et gestes d’une redoutable efficience à l’encontre des méfaits des multinationales et des guerres.

Un autre rapprochement qui me paraît désigner une sorte de sexisme intégré dans nos propres rangs: d’un côté l’image « préambule de la future constitution « (une femme Tunisienne accroupie et encerclée par un texte / mur en texte arabe) à la page 14 de Courant Alternatif.

De l’autre les deux images pages 19 et 21 dans l’article « Quoi de neuf avec le nouveau féminisme ? » qui présente en prétendu repoussoir contre l’ubuesque démocratie, des femmes blanches, conformes aux critères du sexage, valides, etc.

Est-ce que Courant Alternatif s’interroge pour savoir si l’image « préambule de la future constitution » a été dessinée par un homme ? Est-ce que cette image n’utilise pas l’image d’une femme comme unique victime de la future constitution en Tunisie, pour militer en faveur d’un groupe où le souci du sort concret des femmes est autant mis en avant que sur cette image ?

On me permettra d’en douter. Et le propos n’est pas de tout rabattre aux questions des féminismes, mais juste de pointer ce qu’on pourrait voir comme une limite actuelle trop courante à minimiser voire débouter ces questions.

En effet, je n’ai pas souvenir ces dernières années de pléthores de paragraphes dans les pages de Courant Alternatif sur ces questions féministes, quand il s’agit d’analyser les révoltes au nord de l’Afrique sont survenues. Tout ça me turlupine.

Faudrait-il accepter comme seule issue contre le patriarcat, de lutter contre le fait que « Nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles de leurs prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement », comme le proposaient Marx et Engels en 1848 dans le « Manifeste du Parti communiste » ?

Au passage, ne faut-il pas aussi, questionner qu’en 1862 Marx écrit à Engels qualifiait son indéfectible admirateur Lassalle de « Nègre Juif », d’être plus proche d’un animal que d’un homme comme eux ?

Car cette tendance des hommes blancs à employer des symboles anti-sexistes ou anti-racistes à l’encontre d’autres hommes blancs qui leurs sont directement concurrents est, je ne peux que le constater, plus générale que ce que laisse entendre l’article intéressant sur Femen.

Une discussion en balayant devant sa porte, même au sein des groupes que l’on fréquente touTEs est rare, il faut l’admettre. Tandis que les changements concrets de pensées et de fonctionnement à l’intérieur même de nos groupes sont il me semblent assez liminaires.

Alors plutôt que de honnir LE féminisme en hexagone qui piétinerait depuis 40 ans, ne serait pas plus juste de ne pas éluder les analyses matérialistes et historiques sur les fonctionnements internes de nos groupes, plutôt que de se contenter de se chauffer avec la paille dans l’œil de la voisine ?

Est-il à craindre que de telles analyses matérialistes et historiques ne démontrent que depuis 40 ans, les camarades hommes de nos groupes n’ont en fait eu comme action vis-à-vis des questions de genre, que celle d’un feu de barrage ?

En gros, que des hommes blancs hétérosexuels ne chercheraient t’ils pas qu’à préserver leurs privilèges, y compris parmi nous ?

A cet égard, une égalité de traitement qui me paraît criante, c’est une sorte d’amnistie permanente pour certains hommes blancs, pour autant qu’ils sont de véritables camarades. Quelles que soient leurs prises de position sur le racisme ou les questions de genre.

Dans l’article sur Femen, un « communiste libertaire » à savoir Claude Guillon, est à plusieurs reprises cité en recours à l’argumentaire à l’encontre de ces nouvelles féministes. En parallèle de Mona Chollet, certes. Je suis plutôt d’accord en général avec Mona Chollet.

/…/ passage retiré à la demande des auteur-e-s /…/

Mais j’ai jamais pigé comment Claude Guillon peut dire sans provoquer plus de réactions dans le livre Au-delà du personnel (Ateliers de Création Libertaire, 1996) qu’il ne s’est pas fait vasectomiser pour être aux côtés d’une copine qui désirerait avorter ( … ) et que s’il avait sût ça, il ne serait pas venu à un week-end (annoncé pour lui comme une tranche de « baise », au départ) avec cette copine.

Personnellement, je trouve nombre d’analyses de Claude Guillon par exemple sur la sodomie (Le Siège de l’âme, éloge de la sodomie, Zulma, 1999) tout à fait empreintes de domination, d’une sorte de sexualité impérialiste et somme toute franchement dominatrices, virilistes et dénigrantes en termes de genres. Et je ne peux que constater que dans Courant Alternatif, les ressentions sur les propos de Claude Guillon, ne soulèvent pas – sauf erreur – ces points qui me paraissent tout à fait flagrants.

Voici quelques exemples à cause desquels je disais au début qu’il serait certainement fructueux d’étendre l’argument selon lequel tout groupe qui aurait des dérives ethnocentrées, racistes, hétéro-centrées, ne mériterait-il pas d’être retourné à d’autres groupes ou courants de pensée, y compris les groupes dont nous sommes les plus proches ?

Voire d’analyser ce qu’il peut y avoir de masculin dans les rapport à l’argent, au sexe, aux origines ethniques, qu’elles se présentent pour ou contre des hiérarchies économiques, genrées ou raciales.

Lamamaterielle.

NB : le livre « Au-delà du personnel » est malheureusement épuisé (Ateliers de Création Libertaire, 1996) mais disponible
là : http://www.atelierdecreationlibertaire.com/IMG/pdf/Aude…a.pdf (une prochaine ré édition serait bienvenue). Au
delà des affirmations très personnelles de Claude Guillon, cet ouvrage contient une palette fort éclairante de
témoignages et d’avis. L’un des passages édifiants de Claude Guillon se trouve page 257 : « J’avais rejoint Edith au
Puy pour y passer avec elle l’été 79. Lorsque je la revis nue, je trouvai à sa poitrine un volume inhabituel.
Craignant – non sans raison – que je renonce à mon voyage, elle s’était abstenue de me prévenir qu’elle était
enceinte ».