A moins de trois semaines de l’événement hyper-symbolique (médiatique et coûteux) du 11 mai, où les opposants « traditionnels » attendent des milliers de personnes pour une immense chaîne humaine qui entourerait la ZAD, on a la sensation que certains voudraient bien que les squatteurs se fassent discrets et ne gâchent pas leur flashmob citoyenne.

De fait, après les événements organisés selon des modalités propres aux squatteurs, il est tout a fait légitime que l’ACIPA puisse organiser son événement sans avoir à craindre des perturbations (ça ne ferait pas bonne impression sur la photo prise de l’hélicoptère). La collaboration des anciens et des nouveaux doit bien souffrir quelques compromis.

Du coup, après le départ des casques bleus des carrefours de la Saulce et des Ardillières, une assemblée s’est tenue pour discuter de la manière dont on reprendrait le « contrôle » sur les routes qui traversent la ZAD. Tout le monde s’est accordé pour dire qu’il ne fallait plus bloquer les routes (exigence du préfet certes, mais également des habitants et paysans) et trouver des moyens alternatifs, compromis entre la barricade et la libération totale des voies. Il est donc question de se donner les moyens de tenir la route avec un accueil, plutôt que des écueils. On verra bien ce que ça donne.

En tout état de cause, les barricades sont jetées aux oubliettes. Pourtant symboliques d’une lutte qui a fait beaucoup parler d’elle ailleurs, la décision apparaît comme un premier renoncement à la lutte. Qu’elles soient efficaces ou non, les barricades symbolisaient néanmoins le combat mené par les occupants de la zone pour ne pas céder du terrain à la préfecture et aux bétonneurs du Grand-Ouest. Et puis il faut l’admettre, ça avait de la gueule ! Tout une iconographie de la ZAD est née de ces défenses de bric et de broc, inventives et insolentes, qui défiaient le pouvoir par leur message de défi à l’égard de ceux qui voudraient nous voir plier. Aujourd’hui, il y a si peu à montrer aux journalistes qu’on est contraints de faire un concours de la plus longue chaîne humaine pour intéresser l’œil aguerri des chasseurs de scoop de la presse parisienne.

Comme le dirait si bien le préfet : c’est un retour à la normale. Désormais, les forces de l’ordre agiront au coup par coup, et aucune barricade ne sera plus là pour leur compliquer la tâche. Les fourgons bleus de l’occupant n’auront qu’à contourner les chicanes et tout fossé creusé dans le bitume sera prétexte au retour des moblos. A défaut de subir les contrôles et les spots éblouissants des plantons de la gendarmerie, leur hélicoptère pourra informer à tout moment le préfet de la moindre tentative visant à reprendre vraiment les routes.

Question : que se passera-t-il après le 11 mai ? Qui ira négocier avec le préfet pour empêcher ses troupes d’aller dégager les insupportables squatteurs anarchistes ?

Dans la continuité de cette décision visant à montrer patte blanche, il a été décidé de nettoyer le chemin de Suez, ce qui aurait dû être fait il y a belle lurette. Encore une fois, l’autogestion montre ses limites lorsqu’il s’agit de ne plus dépendre des services d’enlèvement des déchets.

Là, il faut bien l’admettre, on a loupé tout un aspect de la guerre de l’information. Nous savons produire des brochures, ça oui. Des textes aussi. Mais lorsqu’il s’agit de faire la preuve qu’on est respectueux de notre environnement, y compris en situation de conflit, ça on a encore du mal.

Qu’on dise du mal de nous, peu importe. Tant que les anarchistes seront mal vus, cela signifiera qu’ils sont subversifs et non consensuels. Mais ce ne serait pas un mal qu’un jour on cesse de nous décrire avant tout comme « sales et bordéliques ». Est-il utile de rappeler que « l’anarchie, c’est l’ordre moins le pouvoir » ?

En regardant ce qu’il reste des barricades, on ne peut s’empêcher de soupirer. Non entretenues depuis leur construction, transformées en immenses dépotoirs, affaissées et délaissées de tout leur potentiel subversif et créatif, elles feraient mieux de disparaître plutôt que de laisser une si triste image de notre lutte. Il faut se dire ce qui est : en les regardant, elles ne donnent plus l’espoir, mais invitent à la nostalgie.

Et puis franchement, comment expliquer qu’elles soient polluées par autant de plastique ? La lutte a-t-elle vocation à laisser derrière elle un tel étalage de polymères et de merdes pétrolifères, alors qu’elle prétend combattre (en partie) une catastrophe écologique ? A y réfléchir, rien ne justifie la présence d’une telle quantité de plastiques sur les barricades. Toute émeute peut se passer de plastique : bouteilles de verre et tissu pour les cocktails molotov, ficelle, métal et cailloux pour les frondes et les lance-pierres, bois et papier pour le feu… et tout le reste peut bien être collé dans son sac plutôt que d’être balancé dans le bocage qu’on prétend défendre !

Ce serait cool si, étant éclairés comme nous le sommes, nous évitions tout simplement de répandre autant de merde sur les barricades et aux abords des routes. On était quelques uns ces derniers jours à ramasser toutes sortes de déchets en décomposition dans les chemins de la ZAD, ce qui n’arriverait pas si chacun prenait soin de ne pas y venir dans une attitude consumériste. Après l’émeute, la zone a vocation à survivre. Si tout y est détruit, autant y construire un aéroport…

Quoi qu’on pense de « l’opinion publique » (si elle existe vraiment), l’adhésion des autres à nos modes de pensée et de lutte passe par certains changements concrets dans notre manière d’habiter le monde, qui est aussi leur monde. Ce serait bien qu’un beau jour, les gens qui nous voient arriver le matin ne souhaitent pas nous voir repartir le soir.

Morale : anciens ou nouveaux, on a tous des efforts considérables à faire pour pouvoir agir ensemble sur le long terme.