… Dur dur d’être un militant anti sexiste quand on est un mec. Oui hein, on a beau faire des efforts, ces grincheuses de féministes sont toujours là pour jouer les troubles fêtes et imposer proposer des pratiques de non mixité !

Un peu de paternalisme…

Parce que les auteurs sont sympas, ils ne font pas que critiquer, ils nous donnent des conseils pour nous améliorer, chouette ! En début de texte, ils prennent quand même la peine de nous dire qu’il y a aussi des filles qui exercent des rapports de domination, et ce même au sein des réunions non-mixtes. Sans blague ?!? Mes illusions volent en éclat : toutes les nanas ne sont donc pas des gentilles filles bienveillantes les unes avec les autres ? Les nanas classistes/lesbophobes/transphobes/racistes… ça existe ? J’aurais pas cru tiens.

Mais le mieux c’est quand même vers la fin, quand ils reconnaissent, grands seigneurs, que la « non-mixité a des effets bénéfiques pour [nous] ». Comme ils ont bien réfléchi, ils savent qu’il y a des sujets plus faciles à aborder entre meufs, et dans cette perspective là, ils nous accordent le droit de nous réunir en non-mixité. « Mais pour le reste, non !La Non-Mixité n’est pas la réponse à tous [nos] problèmes. » Comme ils ne précisent pas dans quelle mesure les réunions non mixtes sont légitimes ou non, je dirais simplement que ces messieurs sont quand même culottés de prétendre nous expliquer comment nous devons lutter, quand nous avons le droit de nous auto organiser et quand ça n’est pas pertinent. Mais ça doit être pour notre bien, puisque le texte se termine sur une note positive, les auteurs nous donnent plein de pistes pour déjouer les logiques patriarcales du militantisme :

« Alors qu’est ce que vous attendez ? » Oui, c’est vrai ça, qu’est-ce qu’on attend ?

« Forcez la main ! Imposez des discussions et des réflexions sur les rapports de genre entre nous ! Prenez la parole ! » C’est tellement facile quand il faut crier plus fort que tout le monde pour être écoutée !

« Faites taire ces mecs qui parlent trop et ne laissent pas de place aux autres ! » Mais alors pourquoi tu ne te tais pas ?

«  Envoyez chier ces connards qui vous paternalisent ou vous poussent au virilisme sur les chantiers ou autres activités ! » Le sexisme vient moins du fait qu’on nous pousserait au virilisme que de la tendance de certains militants à nous voir avant tout comme des meufs, et du coup à nous infantiliser, nous couper la parole, nous déconseiller les travaux de force ou les actions dangereuses…

« Rendez visible, ceux qui par leur comportement vous ont heurter, agresser !Et là je vous assure, vous en serez peut-être surprises, mais vous trouverez des gens qui vous soutiendront… des MECS ET DES FILLES ! » Eh bien, c’est marrant, mais la dernière fois qu’une camaradE (je dis une camaradE mais en fait je pense à plein de camaradEs) a rendu visible celui qui l’avait agressée, elle n’a pas trouvé tant de soutien que ça…

Les féministes, ces pleurnicheuses misandres…

Les auteurs de ce texte ne doivent pas parler souvent avec des féministes, ou alors ils ne les écoutent que d’une oreille peu attentive. D’abord, dire que les « adeptes de la non mixité » défendent « l’idée qu’une fille est dans tous les cas une dominée tandis qu’un mec est dans tous les cas un dominant », c’est extrêmement réducteur. Oui, dans les rapports de genre, un homme sera toujours en position de domination. Ce qui ne veut pas dire qu’il profite de cette position, mais qu’il le veuille ou non, qu’il en ait conscience ou pas, par rapport à sa camaradE il est en position de domination. La plupart des féministes n’accusent pas leurs camarades d’être en position de domination, mais de profiter de cette position, ou de ne pas vouloir y réfléchir. C’est quand même une nuance de taille : mais ça, les auteurs n’ont pas l’air de l’avoir compris car ils sont fatigués de voir que les féministes renvoient tous les mecs « à la même image, la même représentation, les mêmes attitudes dégueulasses de ce « mâle alpha » » dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Merci les gars de contribuer à la propagation du mythe de la féministe misandre qu’on essaie de combattre !

Au milieu du texte, les auteurs écrivent que « ce [qu’ils trouvent] tout aussi choquant, c’est que vous, chères adeptes de la non-mixité, semblez vous complaire dans ce statuts de dominées. Ce repli qu’on peut voir en ce moment dans tous les lieux collectifs en lutte (ZAD, Grange de Montabot, Rennes, Nantes, Brest…) vers la non-mixité en est la preuve. » Donc, si des espaces de non mixité au sein de milieux militants se multiplient, c’est parce que les femmes se complaisent dans leur malheur, et pas parce que le sexisme ambiant de ces milieux rend nécessaires des espaces de non mixité, justement pour s’émanciper collectivement de ce statut de dominées ? La non-mixité est complètement dépolitisée, à lire ce texte on a l’impression que les réunions non-mixtes sont de simples exutoires, on imagine déjà des groupes de nanas en train de soupirer sur leur dure condition de femmes au milieu de tous ces méchants hommes (bon d’accord j’exagère, mais pas vraiment en fait). C’est assez révélateur du sexisme ambiant dans les milieux militants-plus-radical-que-moi-tu-meurs, où on voudrait nous faire croire que des meufs qui se réunissent, ça ne peut pas être politique et ça ne peut pas être un outil de lutte intéressant.

L’hégémonie de la non-mixité et la culpabilisation des féministes

La non mixité apparaît comme totalitaire et incompatible avec d’autres actions en mixité. Vers la fin du texte, les auteurs écrivent que les questions de genre « méritent des combats, des luttes, de tous les jours… Mais pas comme ça, pas en non-mixité ! ». Peut-être que vous préférez la mixité. Soit dit en passant, c’est le cas de beaucoup de nanas. Les réunions non mixtes n’entravent en rien la possibilité d’organiser des actions en mixité ; ces deux modes d’organisation peuvent se compléter, selon les envies et les besoins de chacun-e. D’ailleurs, sur Nantes, il existe un super collectif anti sexiste qui est mixte, et il y a des projections féministes ouvertes à tous-tes régulièrement.

La non-mixité est un outil, qu’on a tout à fait le droit et raison d’utiliser. D’ailleurs, c’est pour certaines meufs la seule possibilité de se sentir à l’aise dans des espaces politiques. Rien que pour ça, on doit pouvoir discuter, lutter et mener des combats, comme ça, en non-mixité, tous les jours.

Mais dans la tête des auteurs, la non-mixité ne semble pas être une possibilité d’action parmi d’autres. En lisant leur texte on a l’impression que les réunions non mixtes prennent tout l’espace, que les meufs l’imposeraient à tous-tes, tout le temps et sans laisser d’autres possibilités d’actions. Il [leur] apparaît intolérable que vous [les adeptes de la non-mixité] rameniez partout vos pratiques, sans d’abord discuter de leur pourquoi, de leur nécessité et de leur utilité avec TOUS-TES celleux qui vivent dans ces lieux. ». Un peu plus haut, ils parlent de « la domination de la non-mixité dans le féminisme ». On ne doit pas vivre sur la même planète, parce que ces pratiques ne sont pas du tout majoritaires, elles sont très souvent contestées (par des mecs ET des meufs ; d’ailleurs la dernière fois qu’on a voulu organiser une réu en non mixité à B17 ça a fait quelques grosses vagues) et surtout, elles ne s’imposent à personne. Les meufs qui organisent des réunions non mixtes n’obligent personne à y venir, n’obligent pas les mecs à faire des réunions non mixtes de mecs et ne punissent pas les nanas qui n’y prennent pas part.

Et puis, cet amalgame entre non-mixité et ségrégation, franchement c’est foireux. Je cite : « Ce qui nous chagrine le plus, c’est que vous, camarades de lutte la plupart du temps, récréez exactement les mêmes logiques de ségrégations que le pouvoir et les classes dirigeantes vis-à-vis des pauvres, des immigrés et autres indésirables dont nous faisons également partie (parfois d’ailleurs dans plusieurs catégories). ». Pour information, la ségrégation dont tu parles c’est le fait de reléguer certaines catégories de la population (les immigréEs, les indésirablEs) dans des espaces d’habitation, de travail, de loisirs, assignés par les classes dominantes et dont ces populations ont du mal à sortir (parce qu’on leur interdit l’accès aux espaces occupés par les classes dominantes). Le fait qu’il y ait des espaces de non-mixité dans des lieux militants n’empêche personne d’aller et venir à sa guise dans ce lieu, à l’exception du lieu réservé à la non-mixité pour, dans la grande majorité des cas, un temps limité. Contrairement aux personnes ségréguées par l’état, les mecs qui ne peuvent pas aller dans des réunions non mixtes ne subissent pas d’atteinte à leurs droits, ni de discrimination dans tout le reste du milieu militant.

On en est déjà là à un stade assez élevé de la culpabilisation des féministes, mais ça empire à la fin du texte. On y lit que « Il y a pourtant pire que tout cela dans la non-mixité érigée en dogme. En créant cette division, vous vous coupez de nous, vous introduisez des fractures dans nos communautés de lutte, vous donnez à notre ennemi commun, le pouvoir, un biais pour nous diviser, mais surtout vous ôtez toutes perspectives de dialogue et de discussions pour faire avancer les choses. ». Reprenons : non, on ne se « coupe pas » de vous, on crée un entre-soi, pour un temps limité. Et, comme je l’ai déjà écrit plus haut, on n’enlève aucune perspective de dialogue puisque la non-mixité à un moment et à un endroit n’empêche aucunement la mixité à d’autres moments et à d’autres endroits.
On n’introduit pas plus de fractures dans les « communautés de lutte », on essaie juste de se donner des armes pour combattre le sexisme, dans nos milieux militants et ailleurs. Mais peut-être que les auteurs sous entendent qu’en s’auto organisant contre le patriarcat, on met de côté la seule lutte légitime en ce bas monde, à savoir la *lutte des classes* (à prononcer solennellement et la main sur le cœur). Ou alors, les auteurs pensent qu’ils ne faut surtout pas questionner nos attitudes et celles de nos camarades de lutte, parce que la division, c’est la mort… Si le militantisme va mal, c’est bien à cause de ces chieuses de féministes qui veulent (parfois) s’organiser de leur côté.

Et puis, tout au long du texte, on peut lire des reproches adressées aux féministes qui reconnaissent pas à leur juste valeur les efforts que font les mecs anti sexistes : « On entend très peu dans vos discours la description du camarade, du copain, de l’ami, de celui qui lutte avec nous, de celui qui sait rendre service, prendre sur lui parfois, qui tente de partager ses savoirs et de les apprendre de vous, de celui qui, comme vous, à encore tant à apprendre, tant à réfléchir, tant à remettre en cause, tant à changer. ». Je rêve ou ils veulent des cookies pour ne pas être des gros cons sexistes ?? Un peu plus loin, quand ils accusent les féministes de mettre tous les militants dans le même panier, nos gentils auteurs nous mettent en garde : « Ne vous étonnez pas donc que certains se mettent à cultiver des rancœurs à vos égards… ». Est-ce que c’est une menace ? C’est vraiment chiant, cette manie de dire que si les gens sont sexistes, c’est parce qu’il y a des féministes qui ne sont pas assez gentilles avec les machos et qui veulent s’organiser sans eux. Ça me rappelle les fois où je me suis faite doublement insulter par un mec à qui je n’ai pas répondu gentiment quand il m’a dit qu’il me trouvait bonne et qu’il me baiserait bien.

Bref, tout ça pour dire que y en a marre des mecs qui se découvrent anti sexistes quand ils ne peuvent pas aller à une réunion parce qu’elle est non mixte. Y en a marre de voir la légitimité du féminisme tout le temps remise en question, alors que l’attitude machiste de certains militants n’est elle presque jamais questionnée. Y en a marre que les mecs passent leur temps à nous dire comment on devrait lutter contre notre oppression. S’il n’y avait qu’un slogan féministe à retenir ce serait celui-là : Patriarcat, ne me libère pas, je m’en charge !