SUR UNE CRITIQUE DE L’ISLAMOPHOBIE

Il y a peu un texte intitulé « Libertaires et sans concession contre l’islamophobie » a été publié sur plusieurs sites de contre-information, Indymedia Nantes et Alsace Libertaire pour n’en citer que deux. La source de ce texte étant la même [1], il semblerait qu’il est était écrit par des militants participant ou gravitant autour du site BBoyKonsian [2], site axé principalement sur la musique avec un aspect anti-commercial et qui présente des caractéristiques anti-capitalistes. Savoir qui l’a écrit importe car le propos de notre texte, qui part de l’appel précis mais qui pourrait s’adapter à plusieurs autres, vise un débat plus général sur la question de l’islamophobie et de sa critique par un milieu de personnes qui partage cette dernière.

À la lecture de ce appel, en ayant toutes les caractéristiques (liste de signataires très divers), nous n’avons pu qu’être empli de colère face à ce qui ressemble à mauvaise blague. L’idée générale de cet appel serait de nous mettre en garde face à une montée de l’islamophobie et de plus généralement du racisme en France contre les musulmans, pratiquants ou non. Le ton est posé dès le début : « Anarchistes, communistes libertaires, anarcho-syndicalistes, autonomes, artistes, organisés ou non-organisés, nous faisons part de notre condamnation totale de l’islamophobie sous toutes ses formes. Nous affirmons que l’islamophobie est une forme de racisme. »

Si pour commencer nous ne désirons pas revenir sur les propos envers la gauche et le PCF taxés de « racistes », c’est que nous pensons la même chose. Par contre, quand on en vient à la critique qui est dirigé contre les libertaires qui seraient islamophobes et qui la mettraient en oeuvre en son nom [3], là on s’énerve. Parler de « notre famille politique » (même entre guillemets) pour désigner des Michel Onfray ou certains militants de la FA tient de la vision faussement unitaire qui devrait se tenir au nom des idées libertaires. Non, pour nous, les deux sus-citées, pour ne parler que d’eux, ne sont en aucun cas des camarades mais plus des ennemis à abattre. De par les propos d’un Michel Onfray utilisant l’étiquette de « libertaire » à toutes les sauces pour s’auto-qualifier [4] et de par les actes d’une FA moribonde qui pue la rigueur et le conservatisme [5] nous savons très bien de quel côté de la barricade ils se placent, c’est-à-dire pas le nôtre mais celui de la conservation de ce monde sous une autre forme. Si on veut développer plus en profondeur, c’est la question du « front commun » exprimé par le « tous ensemble contre x ou y truc » qui est en jeu car ceci est un leitmotiv à chaque fois qu’on parle de l’islamophobie. Le « front commun » qui est tant présent dans les mouvements et luttes antifascistes et antiracistes est une des limites les plus claires de ceux-ci. Le front commun, au nom du consensus, écrase les divergences selon le mode de pensée qui statue que les divergences n’amène que des divisions et qu’ils faut donc les mettre sous silence. Logiquement, on assiste par la suite à un aplanissement des pensées et des modes d’actions, on choisit le quantitatif au mépris du qualitatif, ce qui est une logique de politiciens. Seul le nombre de participants compte et non ce qui peut être porté comme charge subversive contre ce monde. Bien souvent les anarchistes se leurrent, consciemment ou non, font des compromis inacceptables avec des réformistes, pour au final se faire avoir (pour être poli), pensant pouvoir agir avec eux tout en gardant leurs caractéristiques libertaires propres. Au sein d’un quelconque front commun il n’y a pas de synergie crée par la rencontre des parcours différents mais la création d’une structure donnée qui ne vit que pour son existence au mépris de l’individu.

Au-delà de la question du front commun, l’appel regroupe plusieurs points qui doivent être critiqués. Tout d’abord il revient bien souvent que l’islam en soi est une culture. Rien n’est plus vrai, tout comme la religion chrétienne fait partie de notre culture en Europe (celle-ci est peut-être moins présente en France, mais bien plus dans des pays comme l’Espagne, la Grèce ou l’Italie où l’église chrétienne – ou orthodoxe – garde une place importante dans la société). Le problème n’est pas tant que le texte reconnaisse cet état de fait mais bien que les auteurs s’attache ensuite à nous prouver que, donc, il faudrait défendre cette culture : « Nous devons avancer côte à côte et lutter contre le racisme sous toutes ses formes, de toutes nos forces » et « L’islamophobie dominante, encouragée par tous les pouvoirs occidentaux, est aussi l’occasion de diviser ceux qui devraient s’unir, et unir ceux qui devraient être divisés ». Ce n’est pas dit explicitement mais si l’on lit entre les lignes on comprend mieux.

Plus généralement, cette notion de « culture » et sa défense ne date pas d’aujourd’hui, elle a déjà fleuri dans nombre de texte de Pierre Tévanian (pour ne citer que lui) ou de libertaires divers traitant de ce même sujet, l’islamophobie. La base de la réflexion n’étant ni plus ni moins qu’une notion qui fait appel à l’État de droit laïc (d’ailleurs la phrase « des lois liberticides » est assez significatif) et de multi-culturalisme. Qualifier l’islam de culture permet de cacher le fait premier que c’est une religion et donc un instrument de pouvoir comme le sont toutes les religions. Ce n’est pas rien de l’affirmer à nouveau, surtout dans ce débat, que la chrétienté, l’islamisme, le judaïsme et toutes les autres religions sont des vecteurs de domination extrêmement puissants dont on ne peut faire abstraction et qu’il faut détruire au même titre que l’État, le capitalisme, les prisons. De plus, et un peu d’histoire ne fait pas de mal [6], les religions ne sont pas que des instruments de manipulation mentale des individus et masses, mais aussi des institutions qui se sont faites les défenseurs acharnés de la propriété privée, du pouvoir en place (la royauté au Moyen-Âge, le franquisme en Espagne et les royaumes chrétiens ou musulmans lors des Croisades). La religion n’est absolument pas seulement qu’une histoire de foi, c’est une des bases fondamentales du monde dans lequel nous vivons.

Nous pouvons aussi faire ici un parallèle entre d’un côté un discours virulent contre l’église chrétienne en Europe de la part des libertaires (et qui certaines fois s’accompagne d’actions comme des attaques d’églises) et de l’autre l’acceptation de l’islam. Pour nous cela tiendrait à plusieurs facteurs. Tout d’abord ce côté culpabilisant tant présent dans l’hexagone sur la question de la colonisation et de l’immigration qui engendre une mauvaise conscience d’être né blanc et donc d’être de fait un dominant, chose présente chez nombre de camarades. Sans justifier, accepter ou minimiser aucunement le racisme et l’esprit colonialiste qui habite l’État français et nombre de ces « citoyens », nous ne pensons pas que le fait d’être musulman d’origine algérienne (ou autre, ce n’est qu’un exemple) est en soi une base de départ pour construire un quelconque rapport de camaraderie et de rapprochement pour lutter ensemble. Cette vision de masse pourrait s’apparenter à celle encore en vogue dans certains milieux plus marxistes de l’ouvriérisme qui statuerait ouvrier équivaut à allié dans la guerre de classe. Rien n’est plus faux. Faire partie d’un corps sociologique particulier plus opprimé (l’ouvrier, le jeune de banlieue, etc.) n’est pas une condition sine qua none de révolte. C’est en d’autre termes ne pas voir les gens comme des individus avec leurs propres parcours, idées et pratiques mais comme des pions au sein d’une masse donnée et circonscrite.

Si nous voulons encore creuser la question, et sortir par la même du cadre simple de la critique de cet appel, on pourrait revenir sur ce qui est un point fondamental dans ce débat : le côté unitaire, ou en tout cas faussement unitaire. Le discours qui revient souvent quand on parle de l’islamophobie et de la nécessité de lutter tous ensemble, c’est la raisonnement type : « Ils [les jeunes de banlieues, les filles voilées, ETA, le PKK, etc.] sont contre l’État tout comme nous, donc nous sommes ensemble ». Encore une fois, c’est faux. Ce n’est parce nous nous considérons d’un côté contre l’État en tant qu’anarchistes, communistes, etc., et que de l’autre une lutte, un groupe bien spécifique, une organisation, se place contre l’État et sa politique que nous sommes forcément des alliés. La réalité est bien plus complexe et cette vision « blanc-noir » fait la part belle à des compromis inacceptables si l’on se considère comme libertaire. Aucune lutte ni aucun mouvement n’est bien entendu pur ni dénué de contradictions, mais quand par exemple des filles voilées ont défilé en 2006 carte d’identité brandie bien haut, drapeaux français claquant au vent et revendiquant donc une appartenance à une nation, nous ne pouvons que nous dissocier de ce qui n’est qu’un appel à une réforme de l’État et non à sa destruction. La même chose vaut pour le PKK [7] ou l’ETA [].

Pour conclure, si nous avons passé autant de lignes à critiquer cet appel c’est parce qu’il existe une nécessité de s’affronter aux racismes en tout genre, mais pas selon la forme et le fond que les auteurs de « Libertaires et sans concession contre l’islamophobie » le voudraient. S’unir ensemble non pas sur des bases d’appartenance à un groupe social défini dans le champ de notre société actuelle mais selon des critères d’idées et de pratiques communes dans la guerre sociale est ce qui pour nous importe le plus. Si nous agissons dans les termes premiers, nous ne serons qu’alors perdants car partant sur des bases qui font appel à des notions que nous devons combattre. De plus, le racisme n’est qu’une des bases de l’existant et nous devons ardemment lutter pour sa destruction totale. Attaquer seulement une de ces formes sans remettre en question le reste revient à lutter pour un domination plus vivable, humaine.

(A)

Notes :

[1] http://www.bboykonsian.com/Libertaires-et-sans-concessi….html

[2] http://www.bboykonsian.com/ Par ailleurs nous connaissions déjà ce site comme mettant en ligne plusieurs autres appels et textes sur des sujets proches de l’islamophobie.

[3] « En tant que libertaires nous réfutons et combattons tout raisonnement islamophobe porté au nom de l’idéologie libertaire et avons décidé de l’affirmer clairement par cet appel. »

[4] Pour une critique un peu plus poussée sur ce sinistre personnage, même la revue redskin parisienne Barricada, pourtant peu clairvoyante dans son analyse politique et totalement adepte du soutien à la « cause palestinienne » et aux luttes de libération nationale, en a écrit une critique bien faite.

[5] Ici non plus on ne va pas énumérer tous les faits, la lecture de la brochure « Pour en finir avec la Fédération Anarchiste, Une nécrologie » éditée par Ravages Éditions en mars 2013 est largement appropriée.

[6] On peut lire sur ce sujet le livre « L’Incendie Millénariste » et surtout le chapitre consacré à Luther qui montre bien comment le protestantisme n’était en soi que la volonté de passer à une économie plus libérale qu’avant (l’économie postérieure au protestantisme étant fortement contrôlé par l’église chrétienne catholique et présentant donc trop de frein à l’expansion du marché). On peut télécharger le livre ici : http://basseintensite.internetdown.org/IMG/pdf/incendim…t.pdf

[7] Bouchers qui ont le sang de camarades apatrides sur les mains et qui se battent pour un État avec ses frontières, usines et taules.

[8] Qui a passé des accords avec la Camorra de Naples pour avoir des armes en échanges de quoi ils se chargeaient de passer de la cocaïne, pour ne prendre qu’un fait dans une montagne ni même analyser leur idéologie nationaliste puante.
Pour ceux qui veulent lire une critique plus poussée, le livre « Contre le racket abertzale » est disponible ici : https://archivesautonomies.wordpress.com/2013/01/30/con…zale/